PSYCHIATRIE : un coup de gueule
Fin
2008, plusieurs évènements liés à la psychiatrie ont fait la une des
médias : à Grenoble un patient schizophrène a tué un homme en pleine rue,
à Marseille un autre schizophrène dangereux s’est échappé de l’hôpital psychiatrique
pendant une quinzaine de jours sans oublier d’autres drames pas si lointains
tel celui de Pau. Encore une fois la question de la psychiatrie fait irruption
dans l’actualité de la pire des manières.
Surfant
sur l’émotion et la peur, le président N. Sarkozy annonce un durcissement de la
loi de 1990 sur les placements d’office, la création d’un fichier et la
suspension du directeur de l’hôpital psychiatrique de Saint Egrève.
Ces
événements dramatiques, leur médiatisation et les conclusions que les autorités
publiques en tirent me poussent le soignant en psychiatrie que j’ai été pendant
40 ans à réagir.
D’abord et avant tout, je veux avoir une pensée pour tous ceux qui ont été touchés par ces accidents douloureux et dramatiques : les victimes, leurs familles, les hospitaliers…
Si exceptionnels, si dramatiques soient ces faits, réagir à chaud est absurde et dangereux ! Stigmatiser les patients schizophrènes n’est pas acceptable ! Ces malades habités par des délires effroyables, sont, au quotidien, en profonde souffrance, taraudés par leur propre peur et infiniment plus dangereux pour eux-mêmes que pour autrui. Ils sont malheureusement les premières victimes de l’incompréhension de la société, parfois même des soignants et trop souvent d’une insuffisance de structure d’accueil et de soin.
Si aujourd’hui, comme
d’autres l’ont eu, hier, le courage de le faire, nous jugions la société à la
façon dont elle traite ses fous, ses handicapés, ses déviants, ses accidentés
de la vie, serions nous fiers du verdict rendu ?
La psychiatrie publique est
sinistrée, elle manque de professionnels et de moyens, elle est victime de
l'esprit sécuritaire qui nous envahit.
La psychiatrie n'est plus à la mode, de plus le libéralisme économique
imposant son cortège de chômage, de
pauvreté et de violence, fragilise une frange de la population de plus en plus
importante.
Les "faits divers"
de ces dernières semaines sont d'autant plus regrettables qu'ils sont utilisés,
par les uns et par les autres, pour justifier des positionnements ou préparer
des régressions des libertés, rarement pour interroger les besoins et les
pratiques.
Au
cours de mon cursus professionnel la prise en charge de « l'homme
fou » s'est transformée, la pratique soignante a été révolutionnée, une
véritable formation s'est construite. Même si au cours de ces quarante ans, la
société a connu des soubresauts, vécu de profondes mutations… force est de
constater que la psychiatrie s’est humanisée, que l’enfermement a reculé au
bénéfice du maintien ou du retour des malades dans leur lieu de vie ordinaire,
c'est à dire la cité.
De
ces évolutions, j’en suis heureux et fier ; elles sont le fruit d’un
combat quotidien pour lequel j'ai toujours été un farouche partisan même si je
sais que, parfois, la démarche volontariste de réinsérer le maximum de malades
mentaux peut, si l'on ni prend garde, précipiter certains d'entre eux dans des
situations d'extrême solitude et de profonde souffrance. Je sais aussi que
l’accueil de la différence mentale (comme la différence raciale ou sociale) est
souvent un obstacle à cette insertion ou réinsertion, que des mixtures
médicamenteuses se sont subrepticement substituées aux camisoles de force, à
l’écoute et à l’accompagnement individualisé…
Face
à ces drames et aux différents discours qu'ils entraînent mon expérience
m'amène à poser une question : « l'hyper sécurité recherchée par notre
société n'est-elle pas à l'origine de la remise en cause de bien des avancées
de la prise en charge de la santé mentale ? »
Comment
nous expliquer à nous qui avons proscrit clés, cellules, entraves, camisoles…
qu'aujourd'hui il faille revenir à ces mêmes méthodes, qui plus est, méthodes
officialisées par des protocoles et que sais-je encore. Peut-on affirmer, même
si parfois des « gardes fous »
sont nécessaires, que les chambres d'isolement et l'enfermement en général conduisent plus facilement à la
guérison ?
L'hôpital
psychiatrique ne reste pas à l'écart de la violence qui imprègne aujourd'hui
toute institution et notre société. L, l'arrivée
dans certains hôpitaux de vigiles avec chien, le recours à des moyens
électroniques sophistiqués (caméras, et pourquoi pas dans l’avenir à des
bracelets etc.), le retour des chambres d'isolement ne remettent-ils
pas en cause l'humanité deà l'hôpital ?
Si hier la demande psychiatrique concernait la
psychose et la névrose, de nos jours le
rapport à la santé mentale est tout autre.
De nouvelles demandes découlant de l’environnement de pauvreté, de
violence et d’exclusion contraignent la psychiatrie d'ouvrir son champ
d'action. Des questions alors se posent : la psychiatrie doit-elle répondre à
toutes ces demandes ? Doit-on psychiatriser tous les « malheurs de la
vie » au risque, à mes yeux, d'oublier l'essentiel : la psychose et bien
sur, ceux qui en sont atteint. Je ne peux accepter que, par manque de
place ou de personnel et sous la pression des directives ministérielles, dans
l'indifférence générale, on jette à la rue des patients pour lesquels, beaucoup
trop souvent, on feint d'ignorer la souffrance qui les taraude. L’accompagnement psychiatrique se fait dans la durée, pour
obtenir des résultats, il faut savoir donner, dans cette discipline, du temps
au temps !
Mon
expérience me fait dire que la maladie mentale, d’une part, relève avant tout
d’un désordre psychique incommensurable qui nuit souvent à toute sociabilité,
d’autre part, s’accompagne d’une souffrance intérieure qui taraude les
individus en permanence.
Alors que chaque patient est
unique comment peut-on imaginer que sur la volonté de quelques
technocrates tout cela puisse être formaté dans des procédures, des protocoles…
que le discourst de la folie
puisse être comprimé dans des ordinateurs au détriment de l’écoute et
l’accompagnement individuel et collectif ?
Si dramatique soient les
événements de ces dernières semaines ils ne doivent pas servir de prétexte pour
remettre en cause les immenses progrès de la prise en charge de la santé
mentale dans notre pays. De nombreuses équipes se sont et sont investies, elles
doivent avoir le soutien du plus grand nombre.
La
psychiatrie est et sera toujours sur le fil du rasoir : à la recherche d'un
équilibre entre le besoin de soins de la personne et sa liberté individuelle,
entre les limites de la sécurité, celle du patient, celle de son environnement
et la solidarité nécessaire à toute intégration
Antonin
Artaud disait: "Nous attendons tous une révolution de la conscience, qui
nous permettra de guérir la vie."
Cette
révolution dont il parle n'adviendra qu'à travers notre propre action. Soignants, familles, citoyens, il nous
revient d'agir et réagir, sachons faire de la résistance, sachons imposer nos
points de vues.
En guise de
conclusion, si j’avais un message à lancer, je
reprendrais l’expression d’un grand homme
du 20° siècle : « N’AYEZ PAS PEUR ! »
et je dirai :
A tous les citoyens de ce pays :
N’ayez pas peur de la folie, elle est
intrinsèquement liée à l’homme et à son
histoire !
N’ayez pas
peur de l’homme qui est atteint de psychose, il est notre semblable !
N’ayez pas peur de vous opposer à tout ce qui
réduit l’homme fut-il malade au rang d’esclave, de
prisonnier, d’exclu !
Aux soignants :
N’ayez
pas peur d’affirmer les particularités
de vos métiers elles sont les conditions de base de toute vraie thérapeutique !
N’ayez pas
peur de vous appuyer sur votre expérience, sur le côtoiement quotidien de cette
folie pour défendre les libertés individuelles !
Aux politiques :
N’ayez pas
peur d’appeler la société à la tolérance, à la
solidarité, au respect, ne versez pas
dans la démagogie du tout sécuritaire, ne cherchez
pas à faire de l’hôpital en général et de la psychiatrie en particulier une
entreprise rentable !
Roland
Bourdais
E-mail :bourdaisroland@wanadoo.fr
P.S. Mon parcours professionnel se résume en 3
grandes étapes :
-14 ans
infirmier à l’hôpital Psychiatrique de Mayenne
-21ans
surveillant-chef – enseignant et enfin
Directeur de soins en psychiatrie au
Centre Hospitalier du Havre
-5 ans
secrétaire national fédération santé sociaux CFDT
Dès mon passage
en retraite j’ai écrit un livre « Parcours original d’un
soignant » en santé mentale, édité par les éditions L’Harmattan.
Je suis
actuellement membre du CESR Haute Normandie