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Olivier Boitard : Tout d'abord une précision sémantique. On a entendu
parler ces derniers jours d'"évasions" de patients malades mentaux, or
quand on quitte un hôpital psychiatrique sans autorisation, c'est une fugue. Le
terme évasion est réservé aux détenus carcéraux.
Les sorties sans avis médical sont relativement fréquentes et généralement sans conséquences. Quelquefois, des patients se réfugient dans leur famille, mais en général, après discussion, ils sont réintégrés sans aucune difficulté. Pour les quelques rares cas de patients qui, dans le passé, ont eu des comportements dangereux, la meilleure prise en charge est de leur offrir les meilleurs soins, de façon à ce qu'ils n'aient pas envie de quitter le lieu d'hospitalisation.
A-t-on évalué le nombre de patients psychotiques jugés dangereux ? Comment
les soigner ?
C'est un tout petit nombre. Au CHI (centre hospitalier intercommunal) de Clermont-de-l'Oise, deux ou trois patients nécessitent une surveillance particulière. On a un pavillon spécialisé, dans lequel on observe au départ une surveillance très stricte. Grâce aux traitements actuels, psychothérapeutiques ou médicamenteux, les patients se stabilisent et très progressivement, on leur permet de sortir, d'abord dans une cour ou un parc, accompagnés, puis ensuite, seuls. Mais en psychiatrie, on a fermé beaucoup de lits et il est de plus en plus rare d'avoir un pavillon fermé dans un service.
Les récents faits-divers occultent le fait que les malades mentaux sont
les premiers victimes d'agressions, voire d'auto-agressions. Comment
gérez-vous leur protection dans les services psychiatriques ?
Il peut arriver qu'on mette quelqu'un en chambre d'isolement, en général pour
une durée relativement courte, pour éviter qu'il soit agressé par d'autres
patients. Nous cherchons également à créer dans les pavillons une ambiance
permettant aux patients d'être moins stressés et d'être moins tentés par
l'agression. Mais le personnel manque de plus en plus. Auparavant, on comptait
cinq infirmiers en moyenne dans un pavillon de vingt lits. Aujourd'hui, on ne
compte plus que deux infirmiers, voire parfois un infirmier et un aide-soignant.
On est ainsi à la limite de la sécurité au niveau de la surveillance. Et du côté
des médecins, il y a aussi pénurie : on estime qu'entre cinq cents et six cents
postes de médecins psychiatres sont vacants dans le public. Il y a deux
explications à ce problème : les difficultés à recruter dans certaines régions,
mais aussi les contraintes budgétaires qui font que, pour des raisons
financières, on ne renouvelle pas les départs à la retraite.
Le président de la République a promis plus de moyens pour les unités de malades difficiles. N'est-ce pas un geste positif ?
Ce n'est pas la priorité. La priorité, c'est plus de moyens globaux pour soigner les patients. Ce qui nous choque, c'est qu'au lieu de proposer un plan pour l'ensemble des soins psychiatriques, on n'offre des moyens qu'à l'aspect sécuritaire de l'hospitalisation.
Nicolas Sarkozy prône en effet la création d'un fichier de patients jugés
dangereux, le port du bracelet électronique et la généralisation de la
vidéosurveillance dans les centres hospitaliers. Craignez-vous l'intrusion du
carcéral au cœur des lieux d'hospitalisation ?
Absolument. Il faut un bon équilibre entre la protection de la société et le soin. Nous sommes face à des patients qui ont été reconnus, parfois même par la justice, comme nécessitant des soins. Quand on est malade, on doit d'abord être protégé soi-même et être soigné. Mon inquiétude, c'est qu'avec davantage de mesures de contraintes, les patients vont refuser les soins, se révolter, voire fuguer davantage. Or avec ces patients, il faut avant tout créer progressivement un climat de confiance. C'est la meilleure des sécurités.
Peut-on appliquer la logique du "risque zéro" à la psychiatrie
?
C'est une illusion. Malheureusement, même avec les mesures carcérales les plus folles, on n'arrivera pas au risque zéro. Dans les prisons, des détenus parviennent à s'évader. On n'empêchera donc jamais une fugue. Ce qui est important, c'est d'abord d'avoir des moyens au départ pour bien surveiller les patients, quand il y a des risques importants. Il faut ensuite, dans un second temps, des moyens pour libéraliser progressivement les conditions d'hospitalisation et redonner de l'espoir aux patients.