MOUVEMENT DE GREVE A L’HÔPITAL PSYCHIATRIQUE D’ A.

 

 

Les moutons noirs de la psychiatrie de marché

 

 

 

 

 

Depuis un mois, le personnel soignant du centre hospitalier spécialisé d’A., qui s’occupe de la prise en charge de secteur psychiatrique de l’ensemble du département, est en grève pour le maintien de moyens suffisants pour exercer ses missions de service public.

 

En effet, revendiquant un EPRD (état prévisionnel des recettes et des dépenses) en baisse de plusieurs centaines de milliers d’euros, la nouvelle direction s’est attaquée brutalement à un certain nombre d’acquis : gel ou fermeture d’une douzaine de postes de soignants, arrêt de la prise en charge des frais de repas et de déplacement des soignants travaillant dans les CMP périphériques (situés jusqu’à 60 km), politique de restriction, de déqualification et de précarisation des équipes travaillant dans les unités intra-hospitalières… Nous ne dirons rien des méthodes employées pour amener l’ensemble des agents à accepter cette « mise à plat des organisations », méthodes s’apparentant à un « management par la peur » désormais bien documenté. Dans le même temps, plusieurs centaines de milliers d’euros sont débloquées pour améliorer la « sécurité » de l’hôpital, et vont servir essentiellement à rehausser les barrières et clôtures, à étendre l’usage des dispositifs émetteurs-récepteurs de « protection des travailleurs isolés », ainsi qu’à installer une première caméra de vidéosurveillance…

 

Depuis un mois donc, les soignants sont entrés en résistance, rassemblant à travers une multitude d’actions  toutes les disciplines (et notamment quelques cadres et médecins), syndiqués (CGT, SUD et Union Syndicale de la Psychiatrie) et non-syndiqués : journée de grève hebdomadaire avec paralysie de l’administration et pique-nique géant, actions de sensibilisation du public, des élus, des familles de patients, occupation symbolique du CHS par l’installation, 24 heures sur 24, d’une tente de résistance placée à l’entrée, lieu de rencontre festif (cette tente a été récemment déplacée dans la salle de réunion de l’administration, fraîcheur automnale oblige !).

 

Cette mobilisation sans précédent du personnel, dont la solidarité et la ferveur à défendre leur outil de travail au service de la population se sont renforcés au fil des jours, a contraint la direction de l’hôpital à des négociations, et à concéder un certain nombre de points : réexamen de la situation des contractuels avec engagement à en embaucher un certain nombre, maintien de la prise en charge des frais de déplacement en CMP… Cependant, après plusieurs heures et deux séances de négociations, un accord n’a pas pu être signé sur la nécessité de préserver un effectif de fonctionnement suffisant dans chaque unité d’hospitalisation : la direction exigeant in extremis que l’accord mentionne que cet effectif dépend « des contraintes financières pesant sur l’établissement (EPRD) », les représentants du personnel ont alors accepté de faire référence à ces contraintes financières de la direction, mais en soutenant jusqu’au bout qu’elles « lui sont propres ».

 

Cette simple locution représente bien un enjeu majeur : accepter de reconnaître le primat de la logique financière sur la logique de soins, accepter que l’EPRD, susceptible d’être révisé chaque année à la baisse, devrait dicter la politique médicale du service public de secteur psychiatrique, c’est accepter une pénurie croissante, l’abandon inéluctable des catégories les plus indésirables et coûteuses de nos patients, au nom d’impératifs gestionnaires de rentabilité. Pire encore : c’est exiger des soignants qu’ils fassent leur, qu’ils intériorisent cette contrainte financière supposée, qu’ils soient co-responsables de décisions économiques injustes dont l’administration cherche ainsi à se décharger, en les faisant passer faussement pour une réalité supérieure, intangible… On retrouve dans cette intention inavouable les techniques du management par « la responsabilisation des acteurs », justement critiqué par des auteurs comme Christophe Dejours ou Jean-Pierre Le Goff, qui ont comparé l’idéologie du « réalisme économique » néolibéral au nazisme, dans la mesure où il induit également une soumission pathologique de masse…

 

Et maintenant ? Bien évidemment, le mouvement continue ! Car nous ne cautionnerons pas cette casse de nos métiers et de notre déontologie (au service du patient et en toute indépendance !), cette perversion gestionnaire et sécuritaire de notre psychiatrie publique, commanditées par un système politico-économique manifestement à bout de souffle, et qui cherche à nous enrôler dans sa folle fuite en avant. Une médiation pourrait être proposée pour sortir de la crise, mais elle reste soumise au bon-vouloir de l’ARS, dont le nouveau directeur vient… de l’industrie des alliages spéciaux. Souhaitons qu’il découvre la formule alchimique qui évitera la transformation des soignants du CHS d’A. en moutons bêlants de la psychiatrie de marché !  

 

 

 

 

Collectif des soignants du Centre Hospitalier Spécialisé d’ A.