« Territorialité et management. Deux maîtres mots
es-qualité ».
Congrès de Psy-cause, Marseille 6 juin 2008.
POURQUOI TERRITOIRE, VIEUX CONCEPT
GÉOSTRATÉGIQUE
REVIENT-IL AUJOURD’HUI EN FORCE ?
Analyse sémioclastique et
fonction idéologique.
« qu’un
sang impur abreuve nos sillons »
Dans l’argument de ce colloque, les
organisateurs évoquent un « bref orgasme institutionnel ». J’aimerais
qu’il soit tout de même suffisamment long pour ce que j’ai à vous dire…
«Dans
cette zone très particulière (sic) de
la ZAC de Villiers-le-Bel, territoire perdu
de la République» (écrit avec une grande précision sémantique, J.
Espitallier, directeur régional de la police judiciaire de Versailles- février
2008) ;
«Le territoire des Terres australes et
antarctiques françaises a émis un timbre à 0,90 euro » ;
Au
lendemain des municipales, le Parti socialiste a constitué un «Conseil national des territoires» ;
Si Internet
est un grand territoire participatif, horizontal, multimodal et rapide,
constatons qu’aucun pouvoir central ne gouverne ce système » (Le HUB
Ludigo, site des territoires informés) ;
Un
journal local titre «Vaucluse, territoire
international du cyclisme», ce qui n’a littéralement aucun sens ;
Le
ministre de l’intérieur annonce le 14/01/2008 «la création d’unités territoriales de police de quartier en
Seine-Saint-Denis» ;
«Mr C.C. vice-président délégué à
l’aménagement des territoires du conseil régional de PACA, a visité le lycée de
Sisteron» d’après La Provence;
La
carte de vœux du Conseil général du Nord : «Le Nord : des hommes et des territoires» ;
«Le territoire
de la République française» (N. Sarkozy quand il parle de son
pays) ;
Annonce :
«Le Conseil général de l’Essonne recrute
des puéricultrices territoriales» ;
«J’ai commencé le dialogue territorial» (Rachida
Dati) ;
«Il s’agit de dessiner une nouvelle
géographie territoriale de la France» (rapport Attali «décomplexé»), comme
après une conquête coloniale ?
Ils voient des territoires partout.
Des illusions. Quiconque disposant d’une idée, d’un réseau, d’une initiative,
d’un projet informel s’empresse avec un brin de mégalomanie à vouloir créer
illico un territoire pour y exercer une influence. A toutes les sauces, la
novlangue du pouvoir décline aujourd’hui ce concept archaïque, et
particulièrement, l’oxymore de «nouveaux territoires», souvent appliqué (et pas
toujours sous forme de métaphore) au domaine culturel et artistique, virtuel et
communicationnel, à l’expression numérique dans les métropoles dites
«liquides», ou à certaines expérimentations sociales ou managériales sur ce
qu’ils jargonnent comme « territoires directs »
(sic). Ca ressemble à une MODE, mais
c’est plus que ça.
Pourquoi
les créatifs ne revendiqueraient-ils pas plutôt la « conquête »
parabolique de nouveaux espaces, continents virtuels, ou horizons moins
guerriers ?
L’usage abusif d’un concept
anachronique, longtemps réservé à l’éthologie (le territoire
d’un animal est son espace vital de reproduction marqué par ses secrétions, son
urine, et défendu par tous les moyens),
réservé à la guerre, à la domination féodale ou la conquête coloniale, que
masque-t-il, que brouille-t-il ?
Selon
WALLERSTEIN (L’universalisme européen. Demopolis- Paris 2008), un territoire
est une «zone non-civilisée où les
peuples non-européens sont assignés à une salle d’attente imaginaire de
l’histoire»…
Il y a cent ans, Galliéni (dans
Trois colonnes au Tonkin- 1894, Chapelot-Paris) donnait une belle définition à
chaud de ce concept :
«Les premiers efforts de tout commandant
territorial doivent tendre à l’étude des races, des haines, des rivalités qui
les opposent. Un officier qui réussit à dresser une carte ethnographique exacte
du territoire qu’il commande est bien près d’en avoir obtenu la pacification
complète, suivie bientôt de l’organisation qui lui conviendra le mieux ».
Cette définition n’a pas vieilli, et
s’applique parfaitement à la contre-réforme de la carte sanitaire qui met
en place ces nouveaux «territoires de
santé» où le pouvoir central va tenter de reprendre le contrôle, ce
biopouvoir selon FOUCAULT sur les biocorps de la population et ses symptômes,
ces indigènes compliants managés,
soigneusement classés selon les catégories de la tarification à l’acte.
Les statistiques binaires remplacent simplement l’ethnographie, encore que… et
Galliéni a juste changé son nom en Bachelot.
Même la viticulture n’échappe pas à
la territorialisation standardisation des goûts, puisque les bons vieux terroirs gorgés d’histoire sont
remplacés par les noms banalisés des cépages dans la MONDOVINO des supermarchés
qui menace notre savoir-faire au nom de l’inculture anglo-saxonne sana ancrages
ancestraux, qui ne déguste pas un côtes-du-Rhône, mais CONSOMME un cabernet ou
un pinot apatride, donc abstrait, au goût moyen
rehaussé par un trop grand boisage artificiel, puisque c’est LEUR MODE. Il
veulent du gouleyant toc partout.
Édouard
ZARIFIAN, en grand amoureux du vin, le situait du côté de la terre, du TERROIR
sa « patrie », de la vie, quand le territoire serait plutôt du côté
de la mort, et des OGM.
Alors
territoire et pulsion de mort ?
« La gestion tue », affirme
toujours Jean OURY.
De
l’autre côté de l’Achéron, la barque de Charon mène au territoire des morts…
Un
terroir est un paysage humanisé, lisible, gorgé de sens et de KULTURARBEIT.
Il
se DÉCHIFFRE quand un territoire reste à DÉFRICHER.
Dans
un tout autre registre, la disparition des N° de département sur les futures
plaques minéralogiques européanisées, standardisées, bureaucratisées,
européanisées, vise le même but : sortir des ancrages de terroirs, pour
entrer dans le grand territoire
technocratique sans âme, après, pour les petites identifications et fiertés
locales, il ne restera plus que le foot.
Hypothèse : le florès actuel du concept signifie-t-il une
rejacobinisation par le pouvoir central qui n’a jamais été aussi
interventionniste derrière son masque libéral, et remet en question la
décentralisation démocratique, au profit d’une reconquête des espaces
relativement autonomes des régions et départements par la
DÉCONCENTRATION-RECOLONISATION qui asphyxie les collectivités dites
territoriales –toutes dans l’opposition- en leur déléguant des responsabilités
nouvelles par le transfert de charges ou de compétences parfois régaliennes,
sans toutefois leur allouer les moyens financiers correspondants (culture, formation
professionnelle, routes, collèges et lycées, transports en commun, santé).
On
sait maintenant par exemple, que les vrais patrons des futures Agences
Régionales de Santé seront les mobiles et polyvalents préfets de région.
Bonjour, les incompétences.
PETITE
PAUSE-GLOSSAIRE :
Le verbe d’action reterritorialiser s’ajoute à d’autres
concepts, néologismes, euphémismes et litotes issus du petit glossaire
soigneusement tenu à jour de la religion
libérale du MEDEF et de son jargon corporate de management, dit
« décomplexé ».
Nous
avons récolté séparabilité à l’amiable,
employabilité, «benchmarker c’est la santé» que nous assène Mme Parisot qui veut «finir le boulot de moderniser l’économie» et inculquer aux «agents
remotivés» le sens toyotien de la crise, dans
un contrat donnant-donnant, qui sera
gagnant-gagnant, car «les fonda-mentaux du pragmatisme sont sains», surtout
si le chômeur accepte une « offre
raisonnable d’emploi », qui grâce à un PPP (projet professionnel personnel (sic) en fera un travailleur pauvre, car la gouvernance est nouvelle, les lois
du marché sont naturelles, et il faut moderniser
(euphémisme d’américaniser) et reprofessionnaliser
la professionnalité. Le plus bel euphémisme est indiscutablement ce « plan de modernisation sociale » que
d’autres nomment LICENCIEMENTS.
Puis vient cette chimère inquiétante
du neuromarketing qui découle du
capitalisme cognitif et introduit la finance comportementale, après les méthodes de marketing viral, le storytelling d’entreprise (nouveau paradigme managérial), les naïfs transparence, capital humain, risquophobie, héros ordinaire, agent,
équipier, compétence, l’oxymore évaluation-scientifique,
flexicurité, il faut mieux expliquer les nécessaires réformes,(pour
régresser de l’état de culture à celui
de nature), relever LES défis, (pourquoi
tombent-ils ?) se concentrer sur le
cœur de métier, Renault a son « organisation
sur le fil du rasoir » (sic), et tant d’autres sottises charabia
reprises par l’UMP par l’entremise zélée de la plupart des journalistes qui
s’en régalent au pied de la lettre, comme
si c’était des bons mots.
On pourrait en rire,
si nous ne nous souvenions pas de l’ouvrage déterminant de
Viktor KLEMPERER « LTI- La langue du IIIe Reich » -Albin Michel 1996,
dans lequel il montre que chaque confiscation, chaque glissement ou
détournement du sens courant des mots, de la valeur d’échange et d’usage d’une
langue au profit d’intérêts politiques, produit inévitablement du totalitarisme
par désymbolisation et rupture de la Kulturarbeit, qui les fait PRENDRE AU PIED
DE LA LETTRE. Jean AMÉRY appelait cette pratique « sabotage
linguistique », et Minkowski évoquait «le
rationalisme morbide du schizophrène», la
même rationalité obsessionnelle qu’on retrouve dans cette EBM infantilisante
financée par l’industrie pharmaceutique.
De son côté, le philosophe Boris GROYS rappelle (dans
Post-scriptum communiste, 2008) que « Dans
les conditions du capitalisme, toutes critiques sont absurdes. Dans le
capitalisme, le langage fait lui-même
office de marchandise sur le marché des médias, c’est-à-dire que son
discours sophistique standardisé interchangeable est muet ».
Quiconque
manipule le langage, la sémantique des mots, dispose effectivement du
pouvoir, et TERRITOIRE est ainsi devenu une marchandise linguistique entre leurs mains en tant que concept
opératoire masqué en MODE (relire LANGAGE ET POUVOIR SYMBOLIQUE de Bourdieu, 1982. Points, ou LQR d’Hazan
2007).
Hypothèse : nous
vivons une période inquiétante dont le détournement linguistique est un signe
infaillible. Roland GORI attire dans
tous ses ouvrages notre attention sur «La santé totalitaire» qui se met en
place, réalisation de la prophétie de Foucault.
Le
retour en grâce du concept de territoire
en FAIT PARTIE, et il convient donc
de ne pas le banaliser, l’anecdotiser : ce n’est pas un simple effet de
mode passager, c’est bien un symptôme alarmant.
Petit
historique d’un concept.
Issu
du latin territorium, terretoire
entre dans le langage courant en 1380, à l’apogée du système féodal. Le Petit
ROBERT y voit « une étendue de pays
sur laquelle s’exerce une autorité, une
juridiction ». Restons-en à cette définition.
Historiquement, territoire a
toujours désigné un espace dont la nation est en cours de constitution, n’a pas
encore créé ses lois, son autonomie, son unité, sa langue, son état, ses
frontières : il s’agit des colonies, des terres « vierges » ou
sauvages, des vassalités, de l’Ouest américain, d’une réserve d’indiens, du
furieux «Drang nach Osten» d’Hitler, des terres aborigènes ou papoues aux
symboliques dévalorisées, des «nouveaux territoires touristiques», réserves
d’exotisme de pacotille pour occidentaux incultes (Hurgada, Phuket, Cancun
séparé par des barbelés du reste du Mexique), mais aussi la Silicon Valley.
Et
encore un bantoustan, que l’autorité conquérante va ANNEXER, AMÉNAGER,
«civiliser», parfois murer, le plus souvent en y éradiquant la culture
autochtone, en la convertissant, en la vaccinant, en y balisant de nouvelles
frontières : un territoire est toujours BORNÉ (au propre et au figuré), il
est la propriété non de ses habitants, mais de son seigneur ou de sa métropole.
Et
puis ces murs qui refleurissent un peu partout pour contenir des velléités de
liberté : après Berlin, le Mexique, Chypre, Jérusalem, Gaza, le
nord-Kosovo.
Aujourd’hui encore existent divers
territoires qui répondent à cette définition déficitaire ou soumise : la
Palestine, « mosaïque de bantoustans » désignée en Israël comme
« les territoires » sans
nommer les habitants… le Darfour, Timor, le Cashmir, la Tchétchénie, le Sahara
occidental du Polisario, les trois Kurdistans, les Somalies, les résidences
fermées panoptiques sécurisées pour personnes âgées de la Côte d’Azur, comme
certaines cités-ghettos dits-«quartiers sensibles» (mais pas sans
cibles ?) ou lieu de ban des indésirables, surveillés par des caméras, où
des robocops gèrent en l’ethnicisant la question sociale, éclairée la nuit par
des hélicoptères… et auxquels on a même songé offrir un «plan Marshall…» :
deviendront-ils un jour des CAMPS ?
Seul
le surprenant vestige du «territoire» de Belfort fait sourire.
Sarkozy,
à son corps défendant, a défini à Ajaccio en janvier 2007 ce que n’était pas un
territoire :
«La Corse n’est pas un territoire où
s’appliquent des règles d’exception».
Pour
notre république donc, là où la loi est inapplicable, il y a territoire.
Curieux alors de constater les
rapprochements de racine entre territoire, et terrorisme… L’Europe forteresse de Schengen, n’est-elle pas en
passe de devenir un territoire à l’envers, borné de miradors, fermé aux damnés
de la terre, aux nouvelles invasions barbares sans passeports BIOMÉTRIQUES, qui
menaceraient notre IDENTITÉ NATIONALE au point qu’un ministère pétainiste a été
mis en place.
Pour preuves, la démarche hasardeuse
d’un ancien champion motocycliste, bombardé secrétaire d’État, monsieur
ESTROSI, proposant que le « droit du sol » cesse de s’appliquer à
Mayotte, terre française d’Outre mer, pour la ramener au « droit du
sang » cet énorme fantasme, afin de casser son attractivité vis-à-vis des
va-nu-pieds extérieurs et empêcher «Qu’un
sang impur abreuve nos sillons», comme le braillent les supporteurs dans
les stades… Mais qu’est-ce donc qu’un sang PUR ? On se rappelle qu’Hitler
voulait le sol ET le sang, Blut und Bode.
Tandis que le Garde des sceaux de
Berlusconi déclarait avec élégance (Le Monde 19 avril) : «Il y a ici une horde de barbares qui se
promènent depuis trop longtemps et en toute impunité sur le territoire
national, sans en avoir le DROIT».
Qui
sont les barbares : « la diversité » ou la Ligue du Nord ?
En santé avant Bachelot, avec cette manie du DÉCOUPAGE des espaces
humains, conséquence technocratique de l’empilement du mille-feuilles
administratif, existaient des cartes sanitaires, des secteurs sanitaires et psychiatriques, des bassins, des
arrondissements, des circonscriptions, des districts, des pays, des aires, des
pôles, des sites, des lieux… un énorme maillage territorial.
Emmanuel
VIGNERON, géographe de la santé écrivait en 2004 : «Chacun habite ainsi plusieurs
territoires emboîtés et gradués au sein desquels il doit pouvoir trouver la
réponse qui convient à son problème de santé…»
Mais
aujourd’hui, la rhétorique du pouvoir est saturée, obscurcie par une obsession logomachique de contrôle
territorial, donc social : tout est redevenu territoire. On crée des TERRITOIRES DE SANTÉ, qui
se donneront des PROJETS DE SANTÉ DE
TERRITOIRE (sic), créeront des COMMUNAUTÉS
HOSPITALIÈRES DE TERRITOIRE, qui signeront avec les médecins des CONTRATS TERRITORIAUX D’INSTALLATION, dans le cadre
de GROUPEMENTS DE COOPÉRATION
SANITAIRE DE TERRITOIRE.
Ouf.
Cela
fait croire au bon public qu’une action planificatrice
serait à l’œuvre, alors que le seul impératif est celui du marché naturel de l’offre
contrôlée du soin, surtout pas de la demande. Ce n’est plus de l’aménagement du
territoire, mais de la valorisation capitalistique.
Et pourtant, G. Larcher, ineffable
auteur de cette «réforme» qui privatise inexorablement l’hôpital public
transformé en entreprise, avoue «je ne
suis pas cartographe, notre méthode
est l’anti-carte judiciaire», montrant bien que ce découpage dans le
vif d’un espace humain n’a rien à voir avec la géographie, mais plutôt avec les
«flux» technocratiques, les isochrones routiers, les facilités gestionnaires,
et il continue par antiphrase : «nous
avons essayé de répondre au mieux aux besoins sanitaires d’un territoire», mais pas à ceux de ses habitants.
Le 7 juillet 2005, l’ordonnance dite
de simplification (sic) de la planification demandait de «définir au sein des SROS un découpage géographique adapté aux activités
dont il traitera, afin de DÉFINIR une population à servir» (à
asservir ?) : d’abord les technocrates DÉCOUPENT le pays, ENSUITE ils
l’adaptent au peuple… nous sommes bien loin de cette vieille lune de démocratie
sanitaire des Barrot-Kouchner.
Roselyne
Bachelot-Galliéni : «Tout le monde
est d’accord (sic) il FAUT un
pilotage de territoire… dans une perspective de plus grande efficience sur les zones en déficit» (resic). Zone est
encore plus anomique que territoire. Où est l’âme ?
Que sont devenus les patients, clients, usagers, malades, ayants droit dans ce charabia gestionnaire sur le modèle
éthologique qui a tendance de facto à réduire la limite ontologique entre
l’animal et l’humain, et me fait penser à la manière dont Charlie CHAPLIN
jonglait avec le globe terrestre dans «Le dictateur»…
En psychiatrie,
dans
le cadre de sa «santémentalisation», c’est-à-dire, de sa déspécification selon
les directives européennes et les rapports de certains confrères-experts, passer
du secteur psychiatrique au territoire
psychiatrique redécoupé dans le vif des habitants, marque un grave recul
qualitatif, rendu plus aigu par l’impossibilité de fabriquer une T2A-psy, comme
un PMSI-Psy relooké en RIMpsy (Korsakov ?) autrement qu’au forceps de
textes imbéciles et inapplicables sans violence institutionnelle qui
marchandise le personnel.
La
reterritorialisation psy a permis, par la mise en place arbitraire des pôles,
de neutraliser-médicaliser beaucoup de services, en les amalgamant avec
d’autres spécialités. Ou comme à Melun, de regrouper les quatre secteurs
adultes avec le secteur infanto-juvénile en un seul pôle. Bonjour le monstre ingérable, adieu la proximité tant
vantée dans les discours, adieu le
terrain des habitants, adieu la démocratie
de proximité, et vive le territoire
des technocrates zévaluateurs.
Du diviser pour régner, les ARH sont
passées au regrouper pour neutraliser. L’argument imparable des
gestionnaires est : un secteur psy, c’est TROP PETIT pour un pôle (avec sa
variante non dite, c’est pas assez rentable ou efficient).
Territorialiser
en psy a bien pour but d’y reprendre le pouvoir, de faire un bond en arrière à
l’avant-secteur, et surtout pas de médecins-directeurs !
Dans le Rhône, pour 8 départements,
13 territoires dits pertinents (pour qui ?) variant de 160 000 à 900 000
usagers-clients, ont été dessinés par le grand cartographe deus ex-machina sur la base de l’analyse des flux
autoroutiers des patients
chirurgicaux les plus rentables (Information USP), qui n’ont aucun rapport
avec la vie réelle des habitants, leur histoire, leurs trajets symboliques.
Territorialiser, ça tue le désir et
renforce l’anomie par la standardisation des espaces de vie. Et pourtant, la
parole de propagande fournie par les communicants du ministère évoque «complémentarité, filières, mutualisation, réseaux, décloisonnement» au pays où le
malade, le patient ne sont plus que des clients, des variables d’ajustement, en
passe de marchandisation par les symptômes : autrefois, la souffrance créait
la demande. Aujourd’hui, obligé d’être RESPONSABLE ET COMPLIANT, il doit se
soumettre à l’offre, avec un PANIER DE BIENS de plus en plus réduit et
inégalitaire.
Le
management, c’est bien au « malade, je mens ».
Le marché invisible et naturel a
pris le pouvoir, et le territoire est
son espace de chalandise. Une
fois encore, la France fidèle vassale du système anglo-américain suit leur
modèle avec retard, dans le temps même où ces derniers constatent avec effroi
les dégâts et cherchent à neutraliser leur inéluctable déclin…
Faut-il donc
poser l’hypothèse que ce mésusage trahit la volonté idéologique jamais dite de
poser un espace administratif-gestionnaire de biopouvoir et de domination sur
le modèle du privé qui les fascine tant, sans temporalité, déshumanisé, loin du
terrain et de la réalité, désubjectivé comme la psychiatrie l’est de plus en
plus sous les coups de boutoir d’un pouvoir au front de bœuf, anti intellectuel
primaire, anti complexité, adepte de l’hôpitalentreprise évalué, EBMisé, sans tiers,
sans dialectique, évinçant l’histoire, la symbolisation, le sujet et son
biocorps devenu seul auteur et responsable de ses symptômes, abolissant donc
toute possibilité d’ouvrir un avenir.
Voilà bien la
caractéristique générale de ce gouvernement suractif sans pensée, dans son
éternel présent scientiste-positiviste mortifère et infantile. Avec un
président qui a pu publiquement proférer cette horreur :
« Il faut
tout faire pour mettre en œuvre la masse critique des réformes, qui
permettra de CHANGER LES COMPORTEMENTS ET LES MENTALITÉS »…
N’est-il pas alors temps de sortir
le mot fascisme du placard qui le « protège » encore, comme le
propose Giorgio AGAMBEN dans toutes ses interventions ?
Le
concept de territoire n’est acceptable que sous sa forme métaphorique, qui
exige humour et distance. Il est de l’aspiration normale de chacun d’entre nous
de vouloir laisser une trace, une création, une œuvre, une découverte, une
aventure exaltante, un nouvel espace, un ROMAN ou un récit ÉPIQUE : mais
pourquoi le nommer territoire ? Car, au pied de la lettre, littéralement,
ce concept est dangereux car il sert d’abord à faire la guerre à ses habitants,
et laisse pointer des relents de totalitarisme.
Jean-Jacques
Lottin. L’Isle-sur-la-Sorgue. 84