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Effets de manche, Effets d’annonce

 

Une nouvelle fois le Président de la République Française, Nicolas Sarkozy, vient agir dans la dynamique sociétale en « pompier ». Personne d’ailleurs ne l’avait vraiment convoqué, mais lui n’attendait que ça !

Comme à son habitude, il saute sur les faits divers pour jouer sur les peurs, attiser la démagogie et les réflexes populistes et il remet sur le devant de la scène des scénaris qu’il avait déjà concocté en tant que Ministre de l’intérieur, dans le projet de loi pour la  prévention de la délinquance.

La première proposition de cette « réforme » a été émise en 2004 et rejetée par le conseil constitutionnel en 2007 grâce à la mobilisation des patients, des familles et des professionnels qui s’étaient insurgés contre l’introduction dans cette loi, d’articles qui reflétaient une volonté de traiter les malades comme des délinquants, sous prétexte de sécurité, en occultant leur statut de malade et qui plus est instaurait des fichiers nationaux de ces mêmes malades.

Le chef de l’Etat instrumentalise un drame humain pour éviter la lumière qui pourrait être faite sur la situation catastrophique de l’offre de soin en psychiatrie publique, que pourtant les professionnels, les familles et les patients rapportent en vain. L’annonce de ces millions d’euros pour l’investissement dans une « réforme de la psychiatrie » à la Sarkozy ne peut et ne saurait être une garantie pour une meilleure qualité des soins. Il est scandaleux que certains médecins, voire, associations de familles y aient vu dès la fin du discours de Nicolas Sarkozy un « budget pour la psychiatrie ». Il s’agit d’un budget pour la répression, le contrôle et l’enfermement, en aucun cas pour la psychiatrie, c'est-à-dire pour le soin.

Quand est-il de ces « annonces »

Nicolas Sarkozy annonce un plan de 70 millions d’euros pour sécuriser les établissements psychiatriques.

Sécurisation des hôpitaux

30 millions pour permettre de « mieux contrôler les entrées et les sorties » des hôpitaux, équiper certains patients de systèmes de localisation par satellite et aménager 200 nouvelles chambres d’isolement. Les chambres d’isolement appelées depuis plusieurs années chambres de soin intensif n’ont jamais été considérées comme des lits possible d’hospitalisation ce sont des  espaces transitoires de soins.

Création de 4 unités pour malades difficiles de 40 lits chacune

40 millions d’euros seront consacrés à ces créations d’unités et au recrutement du personnel nécessaire. Actuellement les 4 UMD déjà existantes n’ont pas les moyens humains pour fonctionner correctement, manque de personnels médicaux, manque de personnels infirmiers.

Cette proposition d’enfermement de la maladie mentale ne fait qu’assimilée encore un peu plus les fous à des criminels. Chercher à écarter toujours plus la maladie mentale de la cité, nous ramène des siècles en arrière, bien avant la révolution aliéniste de Philippe Pinel

Décision de sortie des patients hospitalisés d’office confiée aux SEULS préfets ou juges

La nouveauté, un collège de 3 personnes serait désigné pour établir la demande auprès du préfet d’une levée de l’hospitalisation d’office. Collège constitué du médecin psychiatre qui suit le patient, du « cadre infirmier » et d’un psychiatre extérieur, pouvant exercer dans le secteur privé. Par ce biais Nicolas Sarkozy réintroduit une idée, qui lui tient à cœur depuis bon nombre d’année, confier au secteur privé, par la possibilité d’hospitaliser sous contrainte des malades dans des cliniques à but lucratif, la garantie de « l’ordre public ».

Pour Nicolas Sarkozy c’est à l’Etat, au juridique et au pénal de décider des possibilités de sortie d’hospitalisation sous contrainte en psychiatrie, donc de prendre une décision de soin. Mais ce qu’il ne dit pas c’est que le cadre règlementaire a déjà fixé ces normes. Les sorties d’hospitalisation d’office et les demandes de sorties à l’essai dépendent bien de la seule décision du préfet après avis médical.

Soins ambulatoires sans consentement

C’est une annonce du leurre !

Cette configuration existe déjà et se nomme les sorties à l’essai. Mais en cas de difficulté tout le monde se renvoie la balle. Les services de l’ordre se disent incompétents quand cela relève du soin et les soignants ne peuvent pénétrer de force dans une habitation sans prétendre à commettre une violation de domicile !

Alors, quels moyens supplémentaires mis en œuvre pour que les personnels des structures extrahospitalières aient du temps à consacrer à créer du lien, à établir des relations, pour amener ou ramener les personnes en souffrance vers le soin.

Méfions nous grandement des chiffres énoncés par Nicolas Sarkozy, depuis son passage au ministère de l’intérieur il a conservé cette tendance à gonfler tous les chiffres. Entre autre quand il évoque les hospitalisations sans consentement, nous serions en devoir de nous demander de quels types d’hospitalisations il parle. Dans son discours fait à Erasme le 2 décembre Nicolas Sarkozy dit : « les hospitalisations d’office ne représentent que 13% des placements ». Ce chiffre est faux ! Les chiffres donnés par la DGS dans une circulaire du 10/04/08 sont de 12,3% d’hospitalisations sans consentement sur l’année 2005, qui concernent en grande majorité les hospitalisations à la demande d’un tiers soit 10,1%, les HO représentant 2,2%.

Du coup, il serait intéressant de comprendre et de savoir si ces mesures sécuritaires de surveillance,  annoncée ce jour là, visent uniquement les personnes hospitalisées d’office ou si elles concernent également les hospitalisations à la demande d’un tiers.

Ces 70 millions d’euros ne sauraient non plus exclure les hôpitaux psychiatriques du reste du paysage sanitaire, ils doivent et devront de toute manière répondre aux impératifs de gestion médico-économique qu’imposent la rentabilité au maximum de lits disponibles. Faute d’être soigné assez longtemps, les malades atteints de troubles psychiques continueront de peupler les trottoirs des grandes villes ou de s’enfermer chez eux. En errance, sans lieux, sans attaches et sans repères, ils pourront décompenser bruyamment en commettant des actes délictueux et se retrouveront en prison. Quand la prison ne pourra plus les tolérer, ils seront renvoyés sur les établissements psychiatriques. Actuellement on estime à 24% le nombre de détenus souffrants de troubles psychiques, dont 8 % atteint de schizophrénie, combien seront-ils demain ? Est-ce pour ne plus entendre parler de ces chiffres de malades mentaux en prison que Nicolas Sarkozy entend faire des hôpitaux psychiatriques des prisons ?

Dans son discours à Erasme Nicolas Sarkozy a cité à plusieurs reprises « ces hôpitaux psychiatriques dont nous avons tant besoin", pour l’anecdote (qui est de taille) en préparation et lors du passage d’une heure dans l’établissement du chef de l’état, les patients sont restés enfermés dans les unités de soins entre 9h et 13h. Il n’était pas question là de patients hospitalisés sous contraintes, puisqu’une majorité d’entre eux tels que nous les livrent les chiffres gouvernementaux, sont hospitalisés avec leur libre consentement. Les stores des services de soin donnant sur l’entrée de l’établissement sont restés baissés toute la matinée. Et contrairement à ses visites dans d’autres services de soins (maladies tropicales, soins palliatifs, SIDA, etc, …) cette visite a dérogé à certaines habitude, le Président (qui s’autoproclame le premier à avoir osé se rendre dans un hôpital psychiatrique) à soigneusement évité de rencontrer un seul patient !

Le Chef de l’Etat verrait-il des fous dangereux partout ?

La conclusion de son discours se fait sur fond de menace, «  des moyens supplémentaires, mais des réformes, les deux ensembles ».

Et la réforme consiste également dans le renforcement du pouvoir des directeurs. Mais là encore, c’est le cas depuis bon nombre d’années. Le désert clinique dans lequel certains secteurs se trouvent plongés est en grande partie du à la gestion budgétaire qui s’est opérée et où les orientations des hôpitaux et des services ne sont plus guidées par la clinique mais par l’équilibre financier. Les soignants, et les médecins y compris, ont vu peu à peu leur pouvoir décisionnel se rétrécir au profit d’un management à la productivité.

Il évoque une trilogie « la prison, la rue, l’hôpital », plus qu’une trilogie c’est un triptyque qu’il propose à la société, un triptyque qui se referme. Une boucle infernale pour les plus démunis et les plus vulnérables.

                                                                                     Isabelle Aubard

                                                                                     ISP, Cadre de santé