C’est la psychiatrie
qui devient folle
Quand on ouvre de nouvelles
prisons, on ferme des hôpitaux psychiatriques .
C’est le principe des vases
communiquant .
Assisterait-on à un nouveau
« Grand Renfermement », autre Edit de 1656 visant à assainir le pays en
le débarrassant de tous les indésirables que sont les malades, les pauvres et
les correctionnaires confondus dans un même lot ?
Tous ceux qui représentent
un poids mort économique ou une
dangerosité sociale : malades, étrangers, mendiants, Sdf, larrons,
criminels,… les pestiférés des temps modernes parmi lesquels se trouve le
malade mental .
Parce que rien ne doit venir
entraver cet impératif social de normalité, de performance, de bonheur pour
tous, de réussite, de travail soit disant salvateur et intégrateur… Chacun se
trouve emporté par cet emballement normatif qui l’incite d’ailleurs à consommer
de plus en plus de psychotropes . Dans un tel monde, la souffrance et la misère
n’ont évidemment plus leur place . Elles relèvent de la faute, de l’erreur, du
manque de motivation . Elles nécessitent une correction, un redressement, si
possible dès l’enfance, car on craint un déterminisme génétique .
C’est l’idéal d’une santé
parfaite, conforme aux exigences de notre société, de ses lois économiques et
de son pouvoir politique qui dicte quel doit être cet idéal
Complètement contaminée par
ce « culte de la bien-portance », notre psychiatrie s’est gravement
éloignée du cours profond de sa tradition . On assiste à une réduction
progressive de la dimension humaine du soin . On n’écoute plus, on ne prend
plus le temps .Le traitement vient immédiatement effacer la singularité du
malade, son histoire et l’ancrage social de ses troubles . Et le dialogue entre
le soignant et le patient se laisse emporter par une chaîne de soins et d’actes
répertoriés, bien aseptisés et rentables financièrement ( comme les électrochocs par exemple). Et plus
rien ne peut empêcher alors la vertueuse administration de s’adonner à des
réductions drastiques des coûts .
« Surveiller et punir »
en 1656, « punir et soigner » en 2008 . Le progrès est
considérable ! La moitié des Sdf souffre de troubles mentaux de même que
20% de la population carcérale .
La dominance de la punition
grandit, et les malades « punissables » sont en très forte augmentation !
Et comme l’altération du discernement provoqué par le délire n’est plus
reconnue, une grande majorité de malades mentaux risque de se retrouver en
prison ou dans des nouveaux quartiers de sécurité pour insensés .
La fin de l’irresponsabilité
pénales des malades mentaux commence à se traduire par des suicides de plus en
plus nombreux en prison .
Mais l’hygiénisme ambiant
n’en a que faire de cette souffrance mentale bien trop subjective !Expulsons-la
derrière des barreaux ! Notre médecine moderne normative préfère
s’intéresser aux symptômes plus faciles à effacer . On traite aujourd’hui les
comportements, on les corrige, parfois par la punition, en tout cas en
culpabilisant, puisque le malade mental est un coupable responsable qui doit
être jugé . Il souffre, mais ça ne se voit pas !
Réussira-t-on à mettre fin à
la dangerosité du malade simplement en déclarant citoyen celui qui vit déjà
enfermé dans sa propre prison mentale ?
Notre heureuse mondialisation
n’a pas pu éviter la dégringolade du capitalisme dans la crise . Et il se
peut que l’idéal de santé mentale
alimentée par la poussée hygiéniste soit aussi un jour ou l’autre battue en
brèche .
Une société faite de citoyens
vertueux et responsables qui devient incapable de se protéger de ses
« anormaux » autrement que par la criminalisation, l’incarcération et
la punition se condamne elle-même .
Cette même folie que Pinel et
Esquirol avait libéré des chaînes, notre société l’enferme à nouveau pour la
cacher, en l’apparentant à une faute qui doit se corriger par des mesures de
répression .
On juge de l’état d’évolution
d’une société aux soins qu’elle est capable d’apporter à ses fous .
« Les progrès de
l’humanité se mesurent aux concessions que la folie des sages fait
à la sagesse des fous ». Jean Jaures
Dominique Sanlaville