Depuis le 2 décembre ma boite mail est inondée de dépêches, commentaires, réactions, aux propos de Nicolas Sarkozy à l’hôpital d’Antony. J’ai reçu dix fois la vidéo ou le texte de la prestation de N. Sarkozy à Antony, autant de fois les dépêches AFP des déclarations des uns et des autres, etc… Que d’émoi !
Moi-même je m’étais fendu le soir même de ma propre analyse et de mon appel à la désobéissance du fait de ma position « décalée » de simple citoyen, n’étant plus infirmier en psychiatrie. Cette position a dû déranger car si elle a été reprise par certains comme en témoignent les mails reçus de personnes que je ne connais pas, elle n’a pas eu la faveur d’être reprise parmi 23 contributions sur Serpsy par exemple.
Alors j’en rajoute un couche tant les réactions des uns et des autres à ce discours du 2 décembre me semblent convenues et pour le moins naïves.
Le 30 mai 2007, je demandais au Directeur de l’hôpital Esquirol de bien vouloir accepter ma démission au 1er septembre 2007, je démissionnais de la fonction publique hospitalière et de mon travail d’infirmier en psychiatrie en ces termes :
Les orientations du service
public de psychiatrie, soumis à des coupes budgétaires répétées ayant pour
effet une dégradation continue de la qualité des soins,
La mise en œuvre chaotique de
la nouvelle gouvernance de l’hôpital, ayant pour corollaire la primauté de
l’administratif sur le médical,
La gestion autoritaire à
l’hôpital Esquirol,
Un constat personnel que les
combats menés y compris en dehors de l’hôpital pour préserver qualité des soins
et service public ne sont pas arrivés à enrayer ces dérives,
M’amènent à vous demander de
bien vouloir accepter ma démission de l’hôpital Esquirol et de la fonction
publique hospitalière.
J’entendais refuser de collaborer à l’instrumentalisation de la psychiatrie comme outil du contrôle social.
Démission ne veut pas dire désertion, c’est pour cela que j’étais ce 2 décembre non pas au premier rang pour écouter N. Sarkozy mais dehors pour soutenir et accompagner la poignée de soignants bien encadrés par les gardes mobiles.
Le discours de N. Sarkozy dont j’écoutais l’intégralité en vidéo à mon retour chez moi n’avait rien de nouveau depuis 2004, date à laquelle le Ministre de l’Intérieur N. Sarkozy introduisait tout un volet sécuritaire destiné aux hôpitaux psychiatriques et aux malades dans sa loi « prévention de la délinquance », articles retirés en 2007 sous la pression des soignants, des usagers et du conseil d’Etat.
Alors qui sont ces vierges effarouchées qui semblent s’indigner aujourd’hui et découvrir ce qui m’a amené à démissionner il y a un an après des années de luttes contre ces dérives ?
Dans ma première réaction certes brève et un tantinet émotive, appelant à la désobéissance civique de ceux qui seront amenés à prescrire et à poser des bracelets d’ici peu, je conseillais la lecture ou la relecture de « Matin brun » de Frank Pavlov. C’était sans doute trop provocateur car il s’agit de la description, d’une brièveté exemplaire, de ce que les compromis lorsqu’ils deviennent compromissions amènent à l’acceptation d’un régime fasciste et que l’on se réveille trop tard.
A cette première lecture, je préfère aujourd’hui celle d’Hannah Arendt sur le totalitarisme. Le totalitarisme comme l’illustre bien N. Sarkozy est le mouvement, l’action pour l’action et il a besoin de la masse pour qui il redéfinit « espace public et espace privé ». Et tout y était ce 2 décembre, jusqu’aux « idiots utiles » représentés dès la fin du discours par l’ensemble des portes parole des syndicats de psychiatre et surtout le Président de l’UNAFAM qui se félicitaient de « certaines mesures » et de « la reconnaissance appuyée aux professionnels de la psychiatrie » avant de se reprendre et de nuancer leurs propos en attendant … les propositions de la Ministre de la santé !
Notre participation, même involontaire à une pratique (que nous réprouverions si l’on y pensait) signifie notre assentiment. Ne nous réfugions pas derrière le dictat de la loi, de la responsabilité des fonctionnaires, de l’obligation d’appliquer une prescription. La relecture d’Hanna Arendt nous rappelle combien les pouvoirs totalitaires ne s’appuient pas sur la terreur, mais bien sur l’incapacité de penser de chaque membre de la société. Sur leur sidération voire leur complaisance achetée en les reconnaissant et en les caressant dna sle sens du poil.
Devant les appels de toutes les chapelles de la psychiatrie, chacune prétendant regrouper tout le monde sous sa bannière comme d’habitude, je vous appelle à une seule chose, la désobéissance et la rébellion.
Démissionnez en masse !
Car en effet, qui osera face aux fermetures des structures extrahospitalières et des alternatives à l’hospitalisation (pour raisons budgétaires) et au rapatriement des moyens humains sur l’hôpital, qui osera annoncer la fermeture de TOUS les lits intrahospitaliers pour déployer l’ensemble des ressources au plus près des patients ?
Qui refusera de participer aux mascarades de formation « obligatoires » qui pompent 60% des ressources des formations continue comme l’HACCP, l’accréditation, le plan grippe aviaire et j’en passe des meilleures ?
Qui refusera de mettre un bracelet à un patient que les effectifs ne permettent plus d’accompagner progressivement à l’extérieur ?
Qui se lèvera enfin au lieu d’élever seulement la voix ?
Mais vous avez raison, N. Sarkozy a raison, vous faites un travail remarquable, mal reconnu, ingrat, (indispensable au maintien de l’Ordre) et si vous faisiez comme moi et démissionniez QUI S’OCCUPERAI DES MALADES MENTAUX ?
Hannah Arendt, encore, après avoir suivi et écrit sur le procès d’Eichmann à Jérusalem a été très décriée, insultée et menacée lorsqu’elle notait qu’il y a de très bons techniciens en tout, y compris les pires choses, il n’ont conscience que d’être techniciens tant ils font « l’économie de penser », ce ne sont pas forcément les monstres que l’on voudrait qu’ils soient .
Je ne doute pas qu’il se trouvera d’ici peu des formations continues pour apprendre à poser « humainement » des bracelets de géolocalisation.
Je sais ce que mes propos peuvent avoir de violent, j’ai démissionné l’an passé, j’en suis fier, je n’en suis pas heureux.
Ces propos n’engagent que moi, en aucun cas une association à laquelle j’appartiens.
Emmanuel Digonnet