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Docteur Guy Baillon

Psychiatre des hôpitaux

 « guy-baillon@orange.fr »

                                                                                  Paris le 31 mars 2008

 

Une psychiatrie ‘asymétrique’, ou ‘fongique’ ?

L’arrivée des Agences Régionales de Santé

 

En ce printemps nous avons trois rapports préparant une loi sur les agences régionales de santé qui devrait être discutée en juin. Que nous réserve ce printemps 2008?

Rapport d’information du 4 octobre 2007 par Y Bur, député, « sur les ARS ».

Rapport de décembre 2007 par A Lambert, mission du Président de le République sur « Les relations entre l’Etat et les collectivités locales ».

Rapport de janvier 2008 par P Ritter, Préfet « Rapport sur la création des agences régionales de santé » au ministre de la santé.

Ces rapports soulignent le malaise des fonctionnaires de l’Etat face à la multiplicité des lois, face à la diversité des instances décisionnelles dans le domaine de la santé, et leur désir d’une simplification des réglementations et de leur lisibilité.

Le but est louable, chaque citoyen devrait s’en féliciter…

En particulier parce que chacun pense et espère que va être enfin éclairée et résolue la question laissée en jachères en France par la division opérée à partir de la loi du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière. La psychiatrie s’en est trouvée coupée en deux.

Rappelons en effet que cette loi, après avoir examiné les difficultés dans lesquelles stagnait « l’Hôpital », a décidé de recentrer la mission de l’hôpital sur les soins, et de confier ‘par décrets’ dans les deux ans les questions concernant « les enfants, les personnes âgées et les personnes handicapées à l’action sociale ». L’Etat créait ainsi deux champs distincts, le champ sanitaire et le champ social. Nous savons qu’en fait l’Etat a promulgué deux lois, ceci en 1975, et a créé l’action sociale, mais en ajoutant au champ social, un champ ‘médico-social’, c'est-à-dire qu’après avoir affirmé la compétence du champ social pour gérer et coordonner des structures et établissements recevant les trois catégories de personnes évoquées, il a précisé que pour certaines il serait utile et pertinent d’associer aux acteurs sociaux des acteurs du champ sanitaire. Cela montrait que malgré son désir de créer deux champs ayant des compétences distinctes, l’Etat revenait à la nécessité de les associer ‘en partie’. Malheureusement ce qui a manqué dès cette époque, c’est une justification ‘médicale et sociale’ expliquant clairement, pour les citoyens que nous sommes tous, d’une part la raison de ce désir de séparer ces deux champs, ensuite la raison de l’effort fait par l’Etat pour à nouveau associer ces deux compétences (car à partir du moment où nous avons commencé à les distinguer nous avons convenu qu’elles obéissent à des logiques différentes, l’une traitant les troubles organiques et psychiques, l’autre visant l’autonomie de la personne). Ce que nous avons constaté ensuite, comme le souligne JF Bauduret, dans son livre « Pour rénover l’action sociale et médico-sociale », c’est que l’Etat n’a cessé de tenter de réparer cette division (laissant entendre qu’elle était donc plus ou moins inadéquate). Si bien que concrètement ces trois champs se sont développés simultanément, entre 1970-5 et 2002, donc en renforçant des cloisonnements leur permettant à chacun d’affirmer son identité ; en même temps des textes de lois successifs paraissaient, (1996), …. qui montraient que l’Etat avait bien compris que puisque la même personne dans la même année, voire la même journée, recevait des soins et bénéficiait pour les mêmes raisons (une atteinte organique ou psychique) d’aide sociale ou médico-sociale, il était de plus en plus indispensable d’établir pour le bien de la personne (au lieu de se limiter au bien de l’établissement) une articulation entre les deux actions.

Les plus beaux exemples de cette ‘vision’ sont les lois de 2002-2 et du 11-2-2005 demandant d’établir une vraie continuité entre les deux champs, la première refusant que la personne soit objet-client-passif, mais demandant qu’elle devienne sujet-acteur-actif, et la seconde renouvelant la notion de handicap, et intégrant un nouvel handicap, celui qui est constitué par les conséquences sociales des troubles psychiques graves et de leurs traitements. Ces lois soulignent, en particulier pour le domaine psychique, la nécessité d’établir des liens entre les soins (qui souvent durent la vie) et les compensations du handicap, celles-ci n’étant pertinentes que si les soins sont assurés à chaque fois que nécessaire et si les compensations sont proposées dans leur complémentarité aux soins.

Nous pouvions donc de façon solide à partir de ces deux lois, proposer que les différents acteurs de ces trois champs perçoivent l’intérêt de la complémentarité de leurs actions et cherchent constamment à se mettre en ‘phase’, en sachant que certes tout ceci dépendait de la solidité de chaque champ : - la psychiatrie de service public devant dépasser sa crise actuelle ; - l’action sociale ayant de son côté un travail considérable à réaliser pour créer puis maintenir les services et établissements prévus par les lois 2002-2 et 2005-102.

Ainsi pour le vaste champ de la santé mentale (qui comprend la psychiatrie, l’action sociale et l’action médico-sociale - du moins pour leur part orientée vers la santé mentale-, et aussi la prévention) la logique que nous pouvions défendre jusqu’à ce projet d’ARS, était d’inviter chaque partenaire (qu’il soit du soin ou du social) à percevoir que son action pour chaque personne reçue ne pouvait qu’être ‘incomplète’ et nécessitait aussi l’implication des autres partenaires (évitant ainsi la mise en dépendance des personnes par rapport à une ‘filière’ ségrégative) pour qu’il lui apporte à sa mesure sa part complémentaire dans les réponses. Certes il eut été opportun que l’Etat revienne sur sa distinction entre champ social et champ médico-social, et qu’il précise bien les objectifs et les limites de chacun, puis leur complémentarité aussi. Ainsi pour la psychiatrie il est tout à fait possible de dire que puisque la division a été établie, et que chacun connait bien son rôle, il est utile que cette distinction soit claire et qu’ainsi on puisse montrer la complémentarité entre soin et action sociale. De ce fait les promoteurs créant des structures dans le cadre de la loi de 2005 au bénéfice

de personnes en situation de handicap psychique, devraient préférer le champ social au champ médico-social : par exemple en cas de besoin d’accompagnement social d’une personne en situation de handicap psychique il parait plus judicieux de ne créer que des SAVS ; grâce à une convention avec les équipes de secteur du même territoire les soins pourront être assurés quant ils sont pertinents ; ainsi la continuité des soins est assurée par une seule structure. Quant aux SAMSAH ils doivent plutôt être mis à la disposition de personnes ayant des pathologies organiques comme les traumatisés du crâne et en post accidents vasculaires cérébral, pour lesquels d’ailleurs ces services avaient été imaginés.

Nous pouvions espérer à partir de là que les deux champs sanitaire et social pourraient se compléter, dans la mesure où l’Etat les consolidait l’un et l’autre simultanément pour que n’existe pas la perception que le social se développait aux dépens d’une diminution du sanitaire. Garantie indispensable pour que la confiance et l’estime règnent des deux côtés.

 

Hélas les ARS, bien que ce projet soit ‘bardé de bonnes intentions’ administratives’, ne vont plus permettre cette réflexion basée sur une recherche de cohésion entre soin et social. Elles vont au contraire provoquer de nouvelles divisions et des cloisonnements, et ceux-ci seront encore plus sournois parce que les limites sont moins claires.

Le mal vient du fait que l’horizon des rapporteurs était limité à une amélioration purement administrative, alors qu’il eut été essentiel de partir de la globalité des besoins des citoyens, au lieu de cibler la complexité actuelle de l’écheveau administratif ; à partir de l’étude de ces besoins, étude éclairant les choix pertinents en fonction de notre société, il eut été possible de décliner les réponses, et ensuite seulement de repenser leur application administrative.

Les rapports sur l’ARS visent à rapprocher la santé … du médico-social, mais laissent à l’air libre, dans le flou, le champ ‘social’ ; donc ces projets ne tiennent pas compte du fait que la division primitive et constante, à l’origine de tout, en 1970, a distingué le sanitaire du social, en séparant lourdement l’aigu du non-aigu, appelé maladroitement ‘chronique’.

Cette séparation était totalement inadaptée à la psychiatrie ; en effet le constat que l’Etat n’a fait que tardivement après 1970-75, c’est que le soin psychiatrique, même s’il est en pointillé, est constamment nécessaire en dehors des époques aigues sur des dizaines d’années (même pour des personnes engagées et soutenues aussi pas les champs social et médico-social) ; un autre constat a été simultané, celui de comprendre que ni le soin seul, ni l’action sociale seule, ne peuvent, ‘séparés’, faire face à l’ensemble des besoins de ces personnes.

Dans le champ social ces personnes soignées en psychiatrie, faisant l’objet de soins et de soutien social, ont besoin parallèlement d’autres services :

-les services impliquant des réponses en termes d’éducation pour enfants et adolescents,

-les services impliquant une réponse en termes de logement,

-les services impliquant des réponses en termes de formation et de préparation à l’emploi, et même de suivi dans l’emploi,

-de même pour les personnes âgées, et il est prévu par la loi 2005-102 que d’ici 2012 le lien soit établi entre les handicaps et l’âge avancé, et que l’on s’engage vers une attention et une réponse globale à « la perte d’autonomie », quelle qu’en soit l’origine (maladie physique et psychique, traumatisme, vieillesse), ce qui à long terme est déstigmatisant.

Voilà clairement quatre implications fortes qui sont actuellement d’une importance considérable, mais auxquelles les ARS ne répondent pas puisqu’elles ne sont pas de leur ressort (donc la cohésion va sauter) ; et du fait du resserrement des liens entre sanitaire et médico-social, la séparation entre le champ sanitaire et le champ social va elle s’aggraver, car sa lecture deviendra encore plus difficile, puisque le médico-social aura tiré son épingle du jeu ; et que les ARS clameront que le désordre précédant la réforme administrative est réparé !

 

Un premier bilan de ce projet des ARS étant tiré, nous ne sommes pas au bout de nos peines ; en effet arrière plan, nous ne pouvons cacher notre crainte qu’une guerre se déclare à l’intérieur de chaque ARS, à distance de l’Etat, alors que l’Etat en sera le vrai responsable et le seul capable de réparer les dégâts. Il est urgent de se réveiller :

Pour la psychiatrie, une fois de plus nous observons la volonté de ne pas tenir compte des spécificités des troubles psychiques et de leurs réponses, en particulier :

-actuellement la psychiatrie est écrasée par des contrôles et des comptabilités inadéquates, venant des USA et de la médecine ; ainsi la tarification à l’acte qui doit se prolonger dans les ARS apporte une contradiction mortifère : le soin en psychiatrie n’a de portée, de sens et d’efficacité que s’il s’établit dans la continuité, dans la construction de liens qui subsistent et se consolident au long cours ;  c’est la continuité des soins qui importe, pas les actes

-d’autre part les mesures de privation de liberté constituées par les hospitalisations sous contrainte sont totalement spécifiques à la psychiatrie aussi.

Ces deux données nécessitent une planification dans le champ de la psychiatrie, inexistante actuellement. Pourtant la psychiatrie de secteur a mis en place un formidable outil (dans le cadre même de l’INSERM les prochaines évaluations des pratiques psychothérapiques enfin mises en place vont le démontrer encore), « la continuité des soins » ; c’est l’outil-clé qui a transformé le pronostic des troubles psychiatriques. Les autres progrès thérapeutiques doivent être coordonnés et encadrés par les psychothérapies individuelles et collectives.

La création des ARS montre que l’Etat méconnait totalement cette spécificité et laisse croire que la santé mentale va se ‘plier’ à une simple réorganisation administrative.

 

En plus de toute cette méconnaissance, nous découvrons à la lecture attentive des rapports sur l’ARS une décision qui se propose de détruire à petit feu une partie de la psychiatrie.

A la naissance de la loi 2005 proposant un déploiement de moyens dans le champ encore très vide du social -médico-social, nous espérions, et tous les politiques et technocrates du ministère l’avaient affirmé, que cette évolution se ferait au prix de deux efforts simultanés :

-d’une part rééquilibrer la santé mentale en permettant entre autres que des psychiatres du champ libéral viennent en grand nombre (ils sont plus de 8000) combler les 800 places vides du service public (sur les 4000 postes prévus), et que la requalification des infirmiers psychiatriques attire à nouveau les infirmiers dans cette branche de la santé,

-d’autre part faciliter la création d’associations 1901 à but non lucratif pour promouvoir en nombre suffisant les services complémentaires des champs social et médico-social (variété de types de logements, des divers foyers aux maisons relais ; SAVS ; ESAT ; etc.)…

Hélas nous apprenons clairement dans les rapports sur la création des ARS que le médico-social va se développer en utilisant à bas bruit l’enveloppe budgétaire du sanitaire, et de façon démagogique à l’intention des promoteurs et des acteurs du champ médico-social, le projet souligne que ce mouvement va se faire dans ce sens là, mais ne se fera jamais dans le sens contraire, du médico-social vers le sanitaire. Ils disent « Fongibilité asymétrique » ! Ceci cache le fait que le médico-social dans cette histoire n’aura qu’une partie de l’enveloppe, ‘fondue’. C’est ainsi que le sanitaire va fondre comme neige au soleil !!!!!

(cf. Rapport Bur p 58 à 68, Rapport Ritter p 27)

Donc sous couvert d’une réforme purement administrative voulant redonner de la clarté dans l’enchevêtrement des structures administratives, nous pouvons constater qu’une machine de guerre se déploie contre la psychiatrie de service public. En effet la réflexion n’est là qu’administrative et ne tient aucun compte des besoins des personnes, ni de leur globalité.

Mais en plus en arrière plan, nous comprenons que c’est la notion même de service public qui est en voie de destruction. Ces rapports ouvrent leur argumentation autour du désir d’établir un lien entre « l’hôpital et la ville » (sic ! au lieu de dire que le lien est difficile entre le service public et la médecine libérale) ; et comme c’est difficile, disent-ils, ils s’y prennent autrement, … en affaiblissant au maximum le service public. Le choix est clairement libéral.

Dans le même temps la rupture entre ce champ sanitaire-médicosocial et le champ social est encore aggravée, car là les lignes de démarcation entre eux sont floues ; le champ social s’élargit au maximum ; alors pour la santé mentale, à cheval, la dispersion devient maximale.

Un tel constat, au moment où nous voulions démontrer que la loi sur l’égalité des chances était une « bouée de sauvetage » pour la psychiatrie de service public et la psychiatrie en général, parce que le lien entre psychiatrie publique et libérale est indispensable, un tel constat nous oblige à faire ‘profil très bas’ dans tout projet d’écriture aujourd’hui sur ce domaine.

 

Il ne nous reste plus qu’une possibilité : nous ne pourrons plus parler qu’à un niveau individuel de solidarité ‘utopique’, en soulignant à quel point pour les différents acteurs de la santé mentale, autour d’un même patient, il est ‘éthiquement’ utile et pertinent de dépasser toutes ces luttes fratricides entre acteurs du champ sanitaire et social, et de réfléchir lors de chaque étape, à chaque moment, avec la certitude que la santé globale de la personne est le seul fil conducteur capable de nous guider pour établir des liens de continuité entre les différents acteurs de chaque champ, et entre les acteurs des deux champs.

Le but de cette loi n’est donc pas l’épanouissement de l’homme, ni le soutien de ses valeurs, mais bien la recherche d’un gain d’argent dans le budget national. Un gain ? Mais on ne sait à qui profitera cet argent ! Par contre on sait qu’il se fera au prix de la santé des autres.

Ce serait donc là le projet de société que cherche à promouvoir la création des ARS ?


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