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Humeurs ....à la suite du 02 décembre

Travailler en psychiatrie ce n’est pas accepter tout les yeux fermés. C’est se battre pour des valeurs. Ce n’est pas se couper des traditions, ce n’est pas les regretter éternellement,  c’est les adapter au monde où l’on vit. Il faut sans cesse travailler à remettre en question ce que l’on fait ! Et puis ne l’oublions pas, la psychiatrie n’est pas une discipline unitaire. Celle que nous défendons est celle à laquelle nous croyons mais la réalité sur les différents secteurs est bien glauque.

- Combien de nos amis psychistes, grands orateurs, parleurs de rêves, écrivains humanistes qui une fois dans leur service ne sont que d’asilaires praticiens, laissant leurs équipes à l’abandon.

- Combien de  structures extérieures totalement sclérosées par des pratiques répétitives, tombées dans une névrose institutionnelle qui ne veut pas dire son nom ?

- Combien d’équipes dite de « secteur » sans liens, sans réunions cliniques, sans lieux de rencontres entre professionnels ?

- Combien d’équipe en souffrance, combien de douleurs de soigner ?

En avons-nous conscience ?

Evidemment, nous pensions depuis quelques années que la psy était malade. Des groupes de professionnels se sont regroupés tant bien que mal pour « résister ». Mais résister à quoi ? Nous ne sommes pas tous d’accord sur le « quoi » encore moins sur le « comment ».

La psychiatrie depuis un demi-siècle a évolué, tentant d’en finir avec l’enfermement, prenant le temps de la rencontre avec l’autre, travaillant avec les familles, les tiers, oeuvrant à une meilleure continuité des soins.

Apparemment cette évolution ne suffit pas pour faire de nous des modernes. Ce qui nous est reproché l’est en fonction de  critères économiques. Le temps de la rencontre est jugé trop long et a un coût qu’on ne veut plus nous allouer ?

On nous demande de prouver notre efficacité. Comment le relationnel peut-il être évalué ?

 Dans le même temps, nos efforts pour une dé-stigmatisation de la folie se heurtent à des événements dramatiques extrêmement médiatisés. Le ministre de la santé après Pau, qui lui-même annonce devant les caméras que « seul un schizophrène peut être l’auteur de meurtres aussi violents ».  La police demande alors à pouvoir être informée dès qu’un patient en entretien profère des idées de meurtre ou bien exige de savoir si telle ou telle personne accusée de pédophilie est suivie ou hospitalisée.

Tous ces excès émotionnels et ces campagnes sécuritaires remettent en cause les libertés et droits  des patients à commencer par la confidentialité des données médicales.

En tout cas les portes des unités se sont refermées.  Étonnamment les chambres d’isolement se remplissent à nouveau. Quand on est de garde dans un hôpital, on s’aperçoit que la demande d’intervention de « force » est en hausse. Les violences sont régulières. Pour y répondre, les directions ont demandé à ce que tous les services soient dotés d’appareillage de contention.

L’idée d’attacher redevient fréquentable.

Après avoir fait peur au peuple, quelles mesures d’exception va-t-on lui proposer ? Il y a quelques années, c’est la question que je posais dans une journée consacrée à la modernité en psychiatrie et je craignais qu’on puisse nous proposer : des lieux fermés, des grillages, des alarmes électriques, des puces électroniques, des caméras, un gardien derrière chaque infirmier ou un infirmier-gardien ? Je ne rêvais pas ! C’est ce que le Président de la République vient de proposer en bien pire en ce 2 décembre devant un aréopage de psychiatres, directeurs d’hôpitaux qui l’ont applaudis !

Appauvrie, apeurée, la psychiatrie pense t’elle encore ? Bientôt il ne restera rien pour s’opposer à la vision mécaniciste de la délinquance et à sa prévention dès le berceau. Bientôt il ne restera rien pour s’opposer à la pathologisation de toute conduite rebelle ou ne serait ce que d’opposition.

Il n’y a jamais eu d’âge d’or ni de situation idéale en psychiatrie, il y a eu un moment d’ouverture, de questionnement, de recherche, un moment où le fou tendait à devenir quelqu’un.

L’évolution de la psychiatrie n’a jamais été linéaire ni homogène et sa seule constante est la résistance, la lutte des professionnels. Nous avons perdu cette avance d’idée, cette pensée anticipatrice, exceptionnelle, à la marge, l’ombre projetée des événements futurs. Nous sommes aujourd’hui à la traîne des événements[1]. Et nous voyons une régression à l’œuvre, le grand renfermement, et le fou redevient lui aussi étranger. Sauf qu’aujourd’hui, le politique définit la norme et donc la folie. Il n’y a plus de syndromes, il y a des conduites….

La prise en charge individualisée et globale de la psychiatrie communautaire est remplacée par des programmes sociaux de réhabilitation qui limitent leurs objectifs au rétablissement des capacités sociales[2].

La modernité est peut-être pensée comme le triomphe de la raison, la destruction des traditions, des appartenances et des croyances mais rien ne nous empêche de la critiquer. Nous avons encore la possibilité de penser et d’agir. Nous refusons de considérer comme moderne un monde qui oublie le sujet.  La modernité doit se construire avec un enracinement dans une culture et dans la libération du sujet.

Résister et créer, disait un des concepteurs du secteur, il disait aussi qu’on peut juger une société à la façon dont elle traite ses fous. Jusqu’où allons nous accepter la compromission qui de modernisation en modernisme nous conduit à accepter l’inacceptable ?

Est-il encore possible de penser que la psychiatrie, est une affaire de relations "simplement et authentiquement humaines".

Est-il possible de croire que nous pouvons tous ensemble nous mobiliser pour une action de grande ampleur ? De ne plus nous retrouver dans cette compromission et retrouver notre dignité de penser et de soigner !

@Marie Leyreloup

 



[1] BAUDRILLARD (J) La pensée radicale, essai 11/vingt - 2005

[2] HOCHMANN   (J), L’histoire de la psychiatrie Puf, 2004


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