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Adieu, Companiero…
Comme un navire, Christian Bourdeux, figure emblématique de la profession d'infirmier en psychiatrie, a sombré. Rien ni personne n'a réussi à colmater une voie d'eau fatale et ce, malgré les valeurs fortement ancrées en lui. L'homme, avec toute son intégrité, son professionnalisme, ses richesses humaines et la profondeur de ses engagements n'a pas résisté à sa tempête intérieure.
La rencontre avec Christian fait partie de ces moments curieux et forts de nos vies et carrières. L'une de ses qualités majeures apparaissait, évidente : l'écoute et l'attention aux autres ; à l'écoute de la profession, de ce qui s'y passait, des collègues qui étaient et sont toujours engagés.
Christian a su se risquer, se mettre en scène et proclamer publiquement ses idées, ses choix tout en accueillant l'expression de l'autre dans la richesse des rencontres procurées par notre métier d'infirmier psychiatrique.
Certains pourront toujours dire qu'il était peut-être fragilisé. Christian faisait partie de notre confrérie, c'est-à-dire de ceux qui doivent faire front aux tourmentes que déchaîne le chaos psychique. À ce titre, nous sommes tous fragilisés un jour ou l'autre. Il faisait front depuis 25 ans. Directeur des Soins Infirmiers du Bon Sauveur d'Albi, Christian restait avant tout soignant. Pour lui, cette fonction, s'est appuyée sans aucun doute sur un attachement sans détour à la passion de l'Homme, à la psychiatrie et à la reconnaissance de la fonction soignante à l'hôpital. Veiller au respect des personnes soignées et à la qualité des soins dispensés était ses préoccupations essentielles. Essentielles au point d'y avoir laissé la peau ? Question qui restera désormais sans réponses. Son dernier écrit professionnel portait sur " l'Éloge du Risque dans le Soin en Psychiatrie "…
Militant pour un idéal de soins
Avant de devenir Directeur des Soins, Christian a occupé nombre de fonctions dans son institution. Diplômé infirmier de secteur psychiatrique (ISP) en 1986, il a exercé dans différents services (unités d'accueil d'urgence, d'admission, soins de suite). Féru de recherche et convaincu de la nécessité de transmettre un savoir en perdition, il a choisi l'enseignement en Ifsi. Il a suivi tranquillement son chemin de Bonhomme : cadre puis cadre supérieur de santé, il a gravi les échelons, non pas vers la gloire, mais vers des fonctions qui lui permettraient d'œuvrer à son idéal de soin.
Militant pour un réel respect des personnes souffrant de troubles psychiques, il s'est utilisé, partout où cela était possible, à peaufiner les formations, à améliorer les conditions d'hospitalisation des patients et les conditions d'exercice des soignants. Ainsi, il a été Président du Comité d'Études des Formations Infirmières et membre titulaire du Conseil Supérieur des Professions Paramédicales. Il a participé au groupe de concertation du Plan d'Action Psychiatrie et Santé Mentale (Rapport Cléry Melin).
Toujours dans ce souci de transmettre le savoir-faire de notre métier et de témoigner de la souffrance des patients psychotiques, il a été membre de Comité de rédaction de la revue Soins Cadres puis Rédacteur en Chef adjoint de la revue Soins Psychiatrie.
Mais Christian Bourdeux, pour tous les ISP, a avant tout incarné un mouvement, une époque, une philosophie de vie et donc de soin. Jeunes infirmiers ayant choisi de travailler en psychiatrie, nous nous étions nourris de l'anti-psychiatrie, de la psychothérapie institutionnelle et/ou de la psychanalyse. Nous avions tous nos auteurs fétiches. Ceux qui ont façonné Christian étaient, entre autres, Bion et Hochmann. Nous revendiquions le droit à la différence et le respect des droits des plus fous bien avant que la charte des patients hospitalisés ne soit publiée par le Ministère de la Santé.
Mis à l'index de la société autant que ceux que nous soignions, nous revendiquions également la reconnaissance d'un diplôme d'état puis une spécialisation. Christian a été l'un des co-fondateurs du Collectif de Mobilisation en Psychiatrie avec Christiane Vanderkam, Jean Vignes, Jean-Claude Laumonier, Sylviane Hochet et Jean-Louis Gérard.
La vie, les engagements politiques, syndicaux et/ou associatifs divers des uns et des autres ont contribué à espacer nos échanges. Des rencontres ponctuelles ici ou là, des communications téléphoniques et électroniques autour des publications ou déclarations des uns et des autres. Pour autant, nous restions " companiero " et avions toujours des nouvelles par la bande... Jusqu'à l'été dernier où Christian a subitement disparu de certaines réunions professionnelles et surtout du discours officiel. Lorsque nous nous sommes étonnés de cette absence prolongée, nous n'avons obtenu que des réponses évasives et gênées, témoignant d'une omerta institutionnelle. Les silences lourds de sens (et surtout de non-sens) peuvent entraîner des conséquences irrémédiables car ils ouvrent la brèche au doute et à la calomnie. La culpabilité peut finir par sourdre et avoir raison du plus équilibré des hommes.
Submergé à jamais
Lorsqu'en septembre 2006, Christian réapparaît soudainement dans nos vies, c'est pour nous appeler à l'aide. Il vient en effet d'être licencié de son institution au bout de 25 ans de service. Nous réactivons ensemble tous nos réseaux et, à sa grande stupéfaction, les collègues de la France entière lui envoient des témoignages de soutien et de sympathie, lui font savoir leur colère. Des propositions de travail arrivent et en novembre 2006, l'Institut Montsouris, à Paris, lui ouvre ses portes en tant que formateur. Chacun l'entoure de son amitié et de ses soins, une façon de lui tenir la tête hors de l'eau et de l'aider à regarder au-delà des vagues furieuses qui le submergent. Il repart plus ou moins vaillant pour ce qu'il appelle ironiquement " sa nouvelle vie "… Rien de tout cela ne suffit. Fracassé, Christian disparaît le 31 janvier 2007.
Au nom de toute la profession soignante, et plus particulièrement celle des ISP, nous présentons toutes nos condoléances à son épouse et ses enfants.
Jean-François Lévêque, ISP, Directeur des Soins, HIHL, Le Dorat (87).
Marie Rajablat, ISP, Service Intersectoriel d'Accueil Psychiatrique de Purpan, Toulouse (31).