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COMMENT RENCONTRER LES PERSONNES EN SITUATION D'URGENCE ?


Avant propos :

Je tiens à continuer ma réponse à l'infirmière passionnée qui a interrogé SERPSY sur les urgences, car c'est un des modes d'entrée les plus passionnants en psychiatrie et qui permet de contater que la psychiatrie est capable de renouveler ses pratiques et ses modes de pensée, ce dont elle a bien besoin, à la fois pour rester jeune, et surtout pour être utile aux patients, tout de même.
J'ai bien aimé les réponses fougueuses de Dom Fri (qui a autant de bouteille qu'un bon Dom Pérignon); je les complèterai par ces deux remarques, tout en confirmant les livres évoqués comme références possibles et faciles ( et bien connues aussi de FriDom) à côté des nombreux articles, les uns et les autres facilement consultables dans les bonnes bibliothèques (qu'ils faut rendre bonnes!) :

"Urgences psychiatriques et interventions de crise", Michel de Clercq, De Boeck, 1997
"Les urgences de la folie -L'accueil en santé mentale", Guy Baillon, Gaetan Morin, PUF 1998
"Urgences psychiatriques et politiques de santé mentale - une perspective internationale" M. de Clercq and co, Masson, 1998

ainsi qu'en renvoyant aux manif de l'Associatio ACCUEILS? annoncées par SERPSY

.I Première remarque

Je me poserai avec vous d'abord la question plus largement au risque de décevoir ou de déstabiliser, et commencerai par nous interroger nous soignants :
Faut il aider les intervenants sur une urgence (soignants) à se défendre d'emblée contre tout risque, " tout danger " ? ou faut il les préparer à d'abord analyser chaque situation avant de définir les réponses à apporter et les outils nécessaires ? ceux ci permettant d'accéder à un échange interactif et donc évolutif ? à un " processus " ?
Alors ce dont nous avons besoin ce serait de savoir LIRE chaque situation, pour réfléchir à l'attitude adaptée. Ne pouvons nous dire, en faisant preuve d'une grande légèreté d'expression, que la souffrance psychique, le trouble psychique, se constituent autour d'un " blocage " du fonctionnement psychique de la personne que nous rencontrons en urgence ? Nous savons par ailleurs que ces données de base (souffrance, trouble, blocage), leur appréciation, leur évolution, varient selon le contexte de leur survenue et selon le contexte de leur écoute.
Donc au lieu de chercher à repérer tout de suite un chapelet de symptômes qui vont 'fixer' un moment psychique (celui de l'urgence) et un mécanisme (sa cause éventuelle), n'est il pas préférable de se mettre en condition avec le patient pour que l'on puisse apprécier son mode de fonctionnement psychique et d'apprécier autour de quoi se constituent ses blocages ?
D'emblée, pour aider chaque patient à retrouver un minimum de souplesse dans son fonctionnement psychique, nous allons tenter de diminuer la pression orientée et concentrée sur lui, et nous nous intéressons au contexte du patient : -sa vie quotidienne actuelle, -son environnement : sa famille, son généraliste, le reste de son environnement.
Mais parallèlement le soignant va apprécier sa propre disponibilité à se mettre à l'écoute du patient : - il apprécie sa propre liberté de pensée, et éventuellement ce qu'il ressent comme étant des limites ou même des souffrances personnelles, -il perçoit que lui même rencontre des occasions de souffrance et de " blocage ", qui sont en rapport avec le contexte soignant dans lequel il se trouve.

Ainsi ces deux types de blocages existent toujours ; le danger et l'erreur pour les soignants serait de ne pas les reconnaître, ou de les dénier.
A ce déni il est incité par plusieurs raisons :
- la psychiatrie classique et ses modèles de classification (réclamant avant tout un diagnostic)
- le modèle médical qui veut dans l'urgence " forcer le barrage " (celui du silence du patient et du flou apparent de la situation) et ainsi se contenter de pointer des symptômes pour les traiter au plus vite (ce qui se justifie toujours dans les urgences médico-chirurgicales hantées, avec raison, par la crainte d'une altération du pronostic vital).
- Ou la constante crainte d'un danger invitant à toujours le prévenir par la contention, ou une médication immédiate (au lieu de commencer par serrer la main et se présenter)

En effet la spécificité de la psychiatrie est de s'inscrire dans une dynamique relationnelle d'emblée, en utilisant du TEMPS en quantité suffisante, en créant une AMBIANCE favorable à cette relation.
D'où la pertinence de l'intérêt porté simultanément, non seulement : -à la personne du patient, -et à la personne du soignant ; -mais aussi aux contextes : le contexte du patient, le contexte du soignant. (leur environnement)
Ainsi la dimension " diagnostic ", -symptôme et -personnalité est elle, avec raison, reportée en fin d'échange.
L'attention à porter à ces deux contextes est donc à détailler : celui du soignant d'abord
- certes le contexte du soignant est connu de lui avant la rencontre avec un nouveau patient en urgence, il pourra donc en tenir compte et appréciera comment il va influer sur son échange avec le patient, mais seulement dans la mesure où le soignant aura pris soin de le préciser avant,
- la lecture de son contexte institutionnel comprend entre autres : -aisance relationnelle du soignant, équipe suffisante,-conflits d'équipe, conflits hiérarchiques, insuffisance de personnel, etc, -la mise en place d'échanges autour de chaque situation, de synthèse, de séances de formation, leur facilité de prendre la parole, ou d'écrire, -mais aussi l'absence de ces possibilités, ou les difficultés survenant lors de ces échanges.

Cette lecture va permettre au soignant de comprendre : -sa propre aisance, - mais aussi sa propre surcharge d'angoisse, de dépression, de tension, -et ce qu'il lui faut faire pour en diminuer les effets négatifs sur sa relation avec le patient.
Ainsi en premier lieu chaque soignant sait qu'il a toujours besoin de parler à un autre soignant de son échange avec un patient, surtout en situation d'urgence ; sinon il sait qu'il y accumule des dangers, dangers d'abord pour le patient, mais aussi pour le soignant, et danger psychique d'abord ; donc des questions : -cette possibilité d'échange existe t elle ?, -est elle satisfaite ?, -sinon il y a urgence à la créer, -l'isolement et la solitude étant dans ces situations à proscrire. En l'absence de réponses à ces questions le soignant court un danger personnel : évoluer vers la fuite de ce travail, la dévalorisation de soi, la critique perpétuellement négative du soin et de son cadre (les soignants, leur hiérarchie, leurs appuis théoriques).

Il est pertinent et utile de commencer et de finir une réflexion sur le travail des urgences par cette interrogation que chaque soignant mène sur son poste de travail : -et d'en permettre la description au début , -d'en évoquer les propositions personnelles qu'il fait pour y faire face, à la fin, -les voies positives sont dans la recherche de LIENS, de mise en LIENS, de constitution d'une équipe réelle qui fonctionne et qui vit ; pour une fois la notion de réseau est utile car elle insiste sur la nécessité qu'il y a de désigner et faire fonctionner des liens, -internes, et -externes.
La lecture du contexte du patient ne peut se faire qu'après cette réflexion : -elle se fait alors avec le patient, -elle permet de décentrer le patient de l'expression bloquée et limitée de sa souffrance, -en mettant en évidence l'implication de chaque membre de l'entourage, -d'emblée elle montre que ces simples interrogations modifient le vécu du patient et son fonctionnement, -enfin elle met en évidence la possibilité de recours à des potentialités, des richesses et de véritables 'compétences' (qui avant semblaient hors de portée ou négatives) , c'est à dire : -les personnes qui accompagnent aux urgences, -et aussi, parmi les personnes absentes, celles qu'il est utile d'évoquer, voire de faire intervenir aussitôt : famille, médecin de famille, amis, voisins, -proches du milieu socioprofessionnel. Cette lecture donne au soignant la possibilité de rétablir les échanges entre le patient et son environnement.
Conclusion de cette première remarque

L'intérêt de cette proposition est de donner au soignant une double grille de lecture (la recherche -de ce qui 'bloque' le patient, -de ce qui 'bloque' le soignant), et une double possibilité d'interaction avec les contextes (au minimum en mettant du 'jeu' dans la tension de la situation d'urgence). La recherche immédiate de signes permettant de donner une réponse immédiate en termes de diagnostic, pronostic, traitement, donne au médecin et aux soignants une évidente maîtrise de la situation (du moins, c'est ce qu'ils croient), cependant elle met immédiatement le patient en situation d'objet clinique (en fait le soignant ne sait pas aussi que, à se lancer d'emblée dans un repérage des symptômes et une classification des maladies, il se fige, se limite aussitôt). L'essentiel étant au contraire tout ce qui permet au patient de rester en position de sujet, d'acteur.
La réflexion sur le contexte promeut les deux personnes impliquées dans l'urgence à une place " d'acteurs ", les met en situation de dialogue, et en plus engage une dynamique relationnelle redonnant du souffle à la vie psychique des deux partenaires, les aide à retrouver un fonctionnement psychique plus souple, un accès à la parole, à la possibilité de s'exprimer.

II Seconde remarque :

Des rencontres avec des soignants qui suivaient des formations sur les urgences m'ont aussi amenés à faire la remarque suivante :
1- rares étaient ceux qui voulaient aller dans des urgences d'un hôpital général (le programme était pourtant orienté vers ce thème), moins encore dans un Centre d'Accueil et de Crise
2- la plupart travaillaient dans,-un pavillon " d'entrants ", -un pavillon de chroniques, un hôpital de jour, -un service hospitalier, -la nuit dans un pavillon hospitalier ; leurs motivations pour le stage sur les urgences… ?
3- ils voulaient…de façon vague savoir comment réagir face à la peur, à la violence ( !) en pensant que, comme le programme de la formation le proposait, la connaissance d'attitudes spécifiques à telle ou telle " maladie " allait leur permettre de savoir comment se débrouiller
4- en réalité, et on le sent, ce stage leur permettait de " changer d'air " un peu, par rapport à leur vie institutionnelle 'lourde'

donc quand un soignant interroge parce qu'il est vraiment passionné par son travail, il faut tout faire pour lui répondre de la façon la plus claire possible
D'abord il me semble utile de préciser que l'urgence en psychiatrie est plus diffuse que cela est dit officiellement : en réalité on la rencontre pour 1/3 à l'hôpital général, pour 1/3 dans les Centres d'Accueil et de Crise (là où ils existent), et 1/3 dans les divers lieux de soin psychiatriques …et toujours avec des 'tableaux' imprévus.
Mais dans ces trois situations la question de l'urgence se traite très différemment, et en même temps il est utile de connaître ces 3 moments, car il y a des passages successifs entre eux pour un certain nombre de patients en situation d'urgence en situations aiguës.
A partir de là il est important de décrire ces 'passages' entre espaces de soins différents : c'est à dire comment ils se font -" au pire ", et -" au mieux " selon les interférences qui vont survenir dans les réponses soignantes.
D'où la nécessité de décrire, avec leur participation ,
d'une part le circuit possible des urgences dans un département : -SAMU, -urgences des hôpitaux généraux, -Centres d'Accueil et de Crise, -lieux de soin psychiatriques
d'autre part l'organisation de la psychiatrie dans le département : -le public et le privé, -leur propre secteur (on est stupéfait de constater avec eux que les soignants ne le connaissent que rarement), leurs ignorances concernant leur hôpital sont bien plus criantes
pourtant toute urgence psychiatrique ne pourra être accueillie, entendue, que si nous sommes à même de réfléchir sur " l'après ", donc sur la nature et la qualité des liens que nous avons, que la famille a, avec les différents interlocuteurs et partenaires qui prendront éventuellement le relais

(j'aime bien cette phrase d'un psychiatre " on ne soigne qu'avec les outils que nous avons à notre disposition " : certes avec notre compétence clinique, mais aussi avec la connaissance que nous avons de la réalité des structures et des soignants là où nous sommes….ce qui nous incite à être 'exigeant' sur le savoir que les soignants ont à rassembler eux sur leur secteur, leur hôpital, leur département -que ce soit pour le soin -ou pour les revendications syndicales)

En effet, ce que nous savons de l'urgence psychiatrique, et que nous voulons transmettre, c'est que toute urgence associe un travail sur deux questions simultanément :
- la qualité de l'acte immédiat
- la suite à donner éventuellement, qui est beaucoup plus qu'une simple " orientation ", on ne saurait confondre urgence et gare de triage ou envoi postal
Ensuite (et c'est autre chose) nous avons à bien distinguer dans le déroulement même de la réponse à l'urgence à la fois :
- l'acte immédiat qui a comme objet premier l'installation d'une relation de confiance
- un temps de travail plus long, qui le plus souvent, ne se déroule pas dans le lieu de survenue de l'urgence (un lieu quelconque ou la salle des urgences) ; ce temps peut être long (jours, semaines, mois… selon les patients, et selon les modalités de soin mises en place par l'équipe impliquée) ; il correspond au temps d'élaboration, que les soignants déploient autour de la souffrance du patient, et son accès à une demande personnelle, ou un début de participation à une demande…, soyons modestes, mais c'est essentiel
CAR : et là se montre indispensable l'effort pour souligner la différence de la démarche psy avec la démarche médicale : -en psychiatrie " il ne peut y avoir de soin qui évolue de façon positive s'il n'y a pas une participation personnelle du patient ", -les soins sous contrainte se révèlent le plus souvent comme des parenthèses entre deux relations thérapeutiques, ou des tentatives par les soignants de " manipulation " d'un pouvoir sur l'autre, qui vont à l'encontre du soin.
De là notre obligation à reposer la spécificité de la psychiatrie :
- 1 - même et surtout dans l'urgence les soignants de la psychiatrie sont soucieux de réaliser les conditions d'une " rencontre ", et vont être à l'écoute de l'effet de cette rencontre sur le patient (ce qui n'est possible que si le soignant est vraiment disponible dans sa tête),
- 2 - l'urgence de la démarche se déroule donc à l'écart de l'obligation d'un diagnostic précis, il suffit de reconnaître la 'tonalité' de la relation, les autres recherches diagnostique vont casser la rencontre sans apporter de données fortes,
- 3 - l'étude du " contexte " du patient, (famille, amis, proches ; évènements en cours ou antérieurs) sont par contre des éléments de connaissance (pas d'inquisition) indispensables, tout de suite utiles et efficaces car porteur " d'ouvertures ",
- ce terme d'ouvertures est peut être bien venu ici, par rapport au climat urgent, anxieux, violent, limité, fermé de l'urgence, il associe le vécu du passé et l'avenir. Ce qui caractérise la situation d'urgence c'est son climat de fermeture, de danger imminent, l'absence de solutions. Notre démarche dans cette rencontre sera d'ouvrir des issues.
Donc si l'urgence associe -1 un acte immédiat, et -2 la continuité des soins (pour un certain nombre de cas, non systématiquement), il est essentiel de s'appesantir sur la nature de ces deux temps : -qu'est ce que l'acte immédiat ? : le moment de l'établissement d'un lien avec le patient pour assurer la confiance, la fidélité, la continuité
-où se trouve pour ce patient la continuité des soins ? : ce qui nous force à nous interroger sur le lien à établir pour que le patient fasse sienne la recherche et la fidélité de ce suivi ; c'est beaucoup plus que donner une adresse ; cette démarche sera présente aussi dans le deuxième temps de la réponse à l'urgence

Se pose donc en conclusion la même question qu'au début de l'urgence : qui présente ce patient à qui ? Qui nous adressé ce patient en urgence ? (quel médecin ? quel soignant ?) nous a t il parlé du patient en sa présence ? Car c'est cette même " mise en scène " qui est garante de la qualité du travail réalisé et qui permet d'espérer une suite favorable.
Il s'agit bien de " passage " et d'entretiens à trois : le patient, le soignant qui adresse, et le soignant qui reçoit. Ceci est une clé pour l'ensemble du soin en psychiatrie. - Passionnant ! Ceci est une autre histoire…

Guy Baillon