L’ accueil :
ou prendre le temps de la rencontre.
Par
Chantal Prevost,
Laurence Tauvel et J.C. Laumonier [1]
Pour
avoir de nombreuses années travaillé « aux admissions » , nous savons
combien une hospitalisation en psychiatrie est le plus souvent vécue par le
patient et ceux qui l’accompagnent comme un drame.
A la souffrance et à l’angoisse liées à l’état
du patient, se surajoutent la souffrance et l’angoisse de l’entrée dans le
statut de « malade », le rituel dépersonnalisant qui fait disparaître
le sujet, derrière les symptômes. Même si, pour certains, l’ hospitalisation
est en même temps un refuge, l’ « admission » c’est le moment où
personne ne semble plus guère avoir le choix, où le sentiment d’urgence
submerge tout le monde : patient ,famille, soignants.
Notre expérience actuelle, de
l’accueil dans des lieux différents se situant aux limites de l’institution
psychiatrique, nous a permis d’envisager d’ autres pratiques de l’accueil.
Qu’y a t-il a priori de
commun entre un CMP, situé dans l’enceinte d’un petit hôpital général ; un
lieu d’accueil « social » pour des personnes en situation de grande
précarité; un atelier de création artistique au sein d’une maison de
quartier ? A première vue rien !
Pourtant ces trois lieux ont
pour particularité de se situer, aux confins de l’institution psychiatrique, au
contact direct d’autres institutions, du quartier de la ville
Cette situation permet d’aborder l’accueil des personnes en situation de souffrance psychique d’une manière nouvelle, dans l’esprit de ce qui fonde, nous semble t il le travail de secteur.
Pour nous, le secteur ne saurait en effet se réduire à l’idée de travail « à l’extérieur », (« l’extra », par rapport à « l’intra »).
Le « secteur » c’est avant tout une manière d’aborder la personne en souffrance, dans tous ses aspects, dans son histoire, comme sujet au sein de la société et à ce titre le « travail de secteur » est d’emblée un travail avec de nombreux partenaires : familles, généralistes, institutions diverses (sanitaires et sociales, scolaires, culturelles, politiques-mairie-, associations)…, avec tout ce qui peut faire « réseau » autour du sujet en souffrance.
Nous présenterons , successivement nos trois expériences de l’accueil en les illustrant de quelques exemples concrets. Le « je » utilisé dans cette partie de l’article, renvoyant à l’ expérience particulière de chacun d’entre nous. Nous esquisserons ensuite une « synthèse » commune, le « nous » traduisant alors notre point de vue collectif.
Aux urgences : le
« temps » de l’urgence, et le « temps » de l’écoute.
« Pouvez-vous venir aux urgences, je pense qu’il y quelqu’un que vous devriez voir »
Médecins ou infirmières sollicitent fréquemment l’ équipe du CMP pour que nous nous rendions au service des urgences.
Au fil des années, nous avons appris à nous connaître, à nous apprécier, à travailler en commun : les locaux du CMP sont à l’intérieur même de ce petit centre hospitalier , depuis peu rattaché au CHU de Rouen. La petite taille de l’établissement, l’ambiance « familiale » favorise les liens entre professionnels. Aujourd’hui l’équipe de secteur psychiatrique est reconnue et appréciée.
Ce jour là , nous nous trouvons en présence d’une dame âgée, qui met en avant des plaintes somatiques de toutes sortes : douleurs à la jambe, au pied….un peu hâtivement quelqu’un l’a trouvée « un peu débile ».
Bien que les lieux ne s’y prêtent pas ( le service d’urgence ne brille ni par le calme, ni par l’intimité, ni par la convivialité). nous lui avons offert un café, nous l’ avons écoutée, à son rythme nous avons pris le temps de la rencontrer. Nous avons trouvé que loin d’être « un peu débile », elle formulait clairement et simplement ce qu’elle avait à dire. Petit à petit s’est instauré un climat de confiance. Du temps a passé, nous avons écouté ses plaintes. A un moment donné, je lui ai dit « je vois que vous souffrez » puis j’ai ajouté , « de quoi souffrez vous ?»
Après un silence elle a répondu « je souffre de mon enfance ».
A partir de ce moment des choses importantes ont pu commencer à se dire.
Un peu plus tard, elle a ajouté « c’est la première fois de ma vie que je parle ainsi. »
Il n’était plus question de la jambe et du pied, , et il n’en sera plus désormais question avec elle. Une relation s’est nouée, que nous avons pu, ensuite, développer.
Premiers regards, premiers mots, premiers sourire ( le sourire et même le rire sont essentiels)
La première rencontre est déterminante. L’entrée éventuelle dans des soins, s’ils sont nécessaires en dépend beaucoup .
Cette rencontre a été possible, parce que nos collègues des urgences ont su discerner au delà de la plainte somatique, cette demande qui ne nous était pas adressée à nous, équipe de psychiatrie .Ils ont pu nous solliciter , et parce que nous étions sur place, et susceptible de répondre très rapidement.
C’est là tout l’intérêt du travail « de liaison » à l’hôpital général
Le passage de l’équipe des urgences à celle de psychiatrie ,c’est un changement du rythme et de la nature de l’écoute.
Le « temps » des urgences, ne peut être qu’un temps rapide : Il s’agit dans les plus brefs délais de recueillir par « l’interrogatoire » du patient, de ces proches, des témoins, le plus grands nombre de données possibles (antécédents, circonstances ayant amené la personne à l’hôpital, état de la personne) afin d’agir immédiatement
Le temps de l’urgence, c’est le temps du « faire »,de l’agir :, pratiquer ou faire faire les examens indispensables, prendre immédiatement les décisions dont dépend l’état de santé, et parfois la vie même du patient.
Ce temps a toute sa pertinence de le cadre du travail d’urgence, il la perd , dès que l’on passe au travail d’accueil de l’équipe de psychiatrie.
Le « temps » de l’accueil, c’est au contraire un temps long ; un temps ou l’on a le temps de « prendre son temps » d’écouter et d’entendre ce que la personne a véritablement à nous dire.
Je me souviens d’un jeune homme que nous avons rencontré et qui avait de grands moments de mutisme dans sa vie : il me dit qu’il était mutique parce que cela ne servait à rien de parler .Dans la vie courante, il avait l’impression de ne jamais être entendu, alors, « pourquoi parler » disait il ?
Car les choses essentielles ne se disent jamais d’emblée. Il faut laisser le temps aux gens de se poser, les rassurer, parce que, quand ils se sont posés, les choses sont plus faciles. Il faut qu’un climat de confiance s’établisse. L’accueil , c’est l’opposé de « l’interrogatoire » mot qui appartient au vocabulaire médical…mais aussi policier : nous n’avons rien à « faire avouer » à celui (celle) que nous accueillons. Nous cherchons eu contraire à entendre ce que la personne veut nous dire d’elle même.
Quand nous intervenons aux urgences, nous nous présentons comme infirmier(e)s en psychiatrie. Nous y venons pour proposer une écoute bienveillante. Il ne s’agit pas de trouver des réponses immédiates. Nous venons au contraire pour « dédramatiser l’urgence ».C’est seulement plus tard, dans la rencontre avec le psychiatre qu’auront lieu les prescriptions et/ou l’éventuelle orientation vers des soins s’inscrivant dans la durée.
Il ne s’agit pas d’emblée de « tout savoir » (on ne peut d’ailleurs heureusement jamais « tout savoir » sur quelqu’un). La personne va nous dire, ce qu’elle souhaite nous dire.
L’accueil, c’est aussi savoir repérer les fragilités, le moment ou l’entretien devient trop difficile, et ou il faut savoir l’arrêter : « nous pourrons en reparler plus tard »
Car raconter sa vie, et sa souffrance est plus pénible et difficile que de se déshabiller pour un examen médical . Vouloir insister dans ces conditions est une sorte de viol.
Cette attitude est parfois difficile à faire comprendre aux étudiants qui viennent en stage, et le plus souvent formés à l’idée de réponses techniques dans l’urgence.
Récemment, au retour d’un de ces entretiens, une étudiante me dit : « peut être qu’en insistant un peu, on aurait pu savoir ce qu’il en était vraiment avec cette personne ». Je lui ai dit que la personne vivait de plus en plus mal mes questions, que peut être on ne saurait pas aujourd’hui ce qu’il en était, que ce n’était pas grave , et que ce serait peut être le lendemain, avec le médecin que les choses pourraient se dire, mais que nous avions laissé une empreinte , qui pourrait être reprise par la suite.
Souvent d’ailleurs au terme de ces entretiens d’accueil, les gens nous disent « merci »
Nous en sommes surpris, mais ils nous disent « merci, cela m’a fait du bien » : ils ont le sentiment d’être enfin entendus et pris en compte.
Le mot qui me semble le mieux résumer notre travail d’accueil, c’est le mot « catalyse » :
Nous ne faisons que créer les conditions pour que les gens eux mêmes se mettent en mouvement et puissent entrer par choix dans des soins.
L’ accueil à l’ UMAPPP[2] : créer les
conditions de la rencontre
L’UMAPPP s’est constituée à la fin de l’année 1999 à partir d’un constat : les personnes en situation de grande précarité, n’accèdent pas dans les faits au dispositif de soins psychiatrique, ou bien, elles y accèdent de la pire façon : sous forme d’hospitalisations sous contrainte, ou non réellement souhaitées.
Le résultat le plus fréquent est la rupture rapide des soins, aucun suivi n’étant possible dans le cadre habituel du secteur.
Ce constat s’explique aisément :
Quand on est à la rue, ou en situation de grande précarité, les questions ne santé ne sont pas des priorités.
Il existe d’autres priorités : trouver un lieu pour dormir, s’alimenter, se procurer l’alcool ou les produits qui permettent de s’évader de sa situation ou de la supporter ,avoir une carte de téléphone : c’est la lutte quotidienne pour la survie.
La santé ne devient prioritaire qu’en cas d’urgence absolue : quand l’ulcère non traité risque de devenir gangrène, quand le SAMU ramasse la personne inconsciente dans la rue….
C’est « aux urgences » que les problèmes de santé se traitent.
De plus, ceux qui vivent « dans la zone » rejettent de manière générales les institutions perçues comme répressives, y compris l’hôpital . Evidemment , dans ce cadre l’institution psychiatrique est assimilée à la prison, et le vécu , le plus souvent négatif des hospitalisations en psychiatrie vient confirmer ce sentiment
« Fondamentalement, si le zonard se néglige et refuse à ce point de se faire soigner, c’est qu’ il n’a plus aucun intérêt pour lui même. Il ne s’aime pas et son désespoir est insondable [3]». écrit Yves Le Roux, après avoir vécu 7 ans dans la rue
Dans ces conditions, la souffrance psychique bien réelle , même si elle ne se traduit pas nécessairement par des « pathologies psychiatriques » établies ne donne pas lieu à une demande de soins[4]
En nous appuyant sur d’autres expériences déjà en cours, nous avons mis en place, avec l’ UMAPPP un dispositif d’accueil dont l’objectif est de lever , autant que possible, les obstacles à la rencontre avec les personnes que sont en souffrance.
Il s’agit d’abord d’aller aux devant d’elles, là ou elles se trouvent, et non d’attendre qu’elles s’adressent à la psychiatrie, en formulant une « demande »
Notre permanence est située à l’intérieur même du « Carrefour des Solidarités » association ou des travailleurs sociaux accueillent et orientent les personnes en demande d’un hébergement d’ urgence. C’est un endroit où elles sont bien accueillies, où elles peuvent être entendues, faire différentes démarches (droits sociaux..)
La présence d’une équipe de psychiatrie dans ce lieu a un triple intérêt :
Nous nous situons dans un endroit apprécié et jugé utile par les usagers.
Il y a possibilité d’accès direct à notre permanence, qui se situe toutefois dans un lieu distinct (le sous sol) de l’accueil « social » (rez de chaussée)
Le fait d’être là sur le terrain a également une autre signification.
Les personnes « dans la galère » ont en général perdu l’estime d’elles mêmes, vivent profondément la honte de leur situation, elles ne « méritent pas » qu’on s’occupe d’elles : le fait d’aller à leur rencontre est un témoignage de l’intérêt que nous leur portons, du soucis que nous avons de leur état.
C’est dans cet esprit aussi que nous assurons également des permanences avancées, dans d’autres lieux : restaurant social, lieu d’accueil de jour, permanences d’associations….
Nous « sommes là » , nous assurons une disponibilité d’écoute.
La seconde particularité de notre travail, est de ne formuler aucune exigence, pour rencontrer la personne. Ainsi la prise de rendez vous constituerait, le plus souvent, un préalable un obstacle infranchissable à la rencontre. Cette capacité d’accueil, immédiate, est essentielle, même s’il s’agit d’un bref contact. Reporter au lendemain , c’est en effet risquer le plus souvent que la rencontre n’ait pas lieu. A l’UMAPPP , il y a toujours un café chaud, un (et si possible deux) accueillant disponible.
Enfin, le mal être et le besoin d’aide voire de soins, s’exprime auprès des travailleurs sociaux, et non auprès de l’équipe de santé mentale.
C’est à l’occasion d’une demande d’hébergement que les travailleurs sociaux, peuvent repérer au delà de la demande sociale une difficulté ou une souffrance psychologique.
C’est à partir de ce « pré-diagnostic », qu’animateurs ou éducateurs proposent de rencontrer sur place et immédiatement l’équipe psychiatrique.
Pour ne pas être intrusive, cette disponibilité s’accompagne de la totale liberté laissée à la personne de nous rencontrer ou non, de partir quand elle le souhaite, de revenir ou ne pas revenir. L’UMAPPP est un lieu, ou l’on accède et d’ou l’on sort dans la plus totale liberté.
Le cas échéant, évoquons avec notre interlocuteur la nécessité de rencontrer un psychiatre, voire d’être hospitalisé. Il décide ou non de prendre en compte cet avis.
Notre seule « exigence » c’est d’être identifiés, sans la moindre ambiguïté comme équipe de psychiatrie ; ce qui permet aussi de préciser d’emblée ce que nous pouvons apporter (accueillir, prendre le temps d’écouter et de comprendre, proposer le cas échéant une orientation)
La présence sur place des travailleurs sociaux, permet de renvoyer sur eux toute demande d’ordre social : le rôle de chacun est toujours explicité.
Pour illustrer la manière dont un travail peu se construire nous prendrons le cas de Guy.
Guy vient souvent au Carrefour des Solidarités. Guy dort la nuit, dans un foyer, ou les conditions de vie sont difficiles, car il accueille chaque soir tous ceux qu’aucune autre structure n’accepte.
Il arrive à Guy d’être hospitalisé en psychiatrie, mais l’hospitalisation se passe toujours mal, il transgresse toutes les règles de l’institution, peut se montrer violent…et ressort sans qu’un accrochage thérapeutique ait pu avoir lieu.
Guy arrive le plus souvent très en colère, il va « exploser » tous ceux qui en veulent « aux jeunes » et ne les respectent pas.( les flics, les services sociaux)..
Parfois il donne au contraire à voir, une situation désespérée : si on ne lui donne pas ce qu’il réclame, il va se suicider en sortant…
Il repart un peu plus tard, après avoir déversé sa colère et/ou sa détresse.
Il y a peu, au milieu de ces allées et venues, Guy est venu à l’UMAPPP avec un livre,
Il parle de sa mère qui ne lui a jamais témoigné de réelle tendresse, de son père, qu’il ne connaît pas, mais qui serait tunisien, alors que lui Guy, porte un nom français. Il ne l’a jamais vu et il voudrait retrouver.
Le lendemain, il revient avec un disque de musique « raï » et réaborde la question de ces origines.
Des traces sont ainsi laissées. On ne peut évidemment pas parler de « soins », et il sera certainement difficile de permettre à Guy d’élaborer quelque chose.
Nous tentons néanmoins de créer un espace, ou pourra (peut être ?) progressivement se construire une demande.
Une autre modalité de l’accueil à l’UMAPPP est « l’accueil café » qui se tient chaque lundi de 14h à 15h30.
Il s’agit cette fois d’accueillir, dans le cadre d’un groupe « ouvert » autour d’un café, ceux pour qui la rencontre seul face à un (des) soignants est trop contraignante.
Nous avons eu la surprise d’y voir venir (pour certains régulièrement) d’anciens patients, en rupture totale avec la psychiatrie. Sans que des thèmes précis soient proposés, les réunions permettent un échange sur des questions telles que : « comment tisser et maintenir des relations avec d’autres personnes, quand on vit des situations d’exclusion » « l’alcool et les toxiques » « l’errance, le voyage » chacun y amène ses expériences, ses morceaux de vie ,et peut échanger avec le groupe.
L’atelier de création
sur les hauts de Rouen : « développer le possible et le
reconnaître »
L’atelier de création des Hauts de Rouen se situe dans la « maison de quartier » C’est un lieu qui est au centre du quartier, un lieu important. Un lieu de reconnaissance, reconnu par le quartier, un lieu qui n’est pas « marqué psy »
En même temps, chacun sait que j’anime cet atelier en tant qu’infirmière en psychiatrie.
Ma présence dans ce lieu joue de manière délibérée sur l’ambiguïté : je suis à la fois plasticienne et infirmière, et cela donne du piment à nos rencontre.
Ceux qui viennent là savent qu’à un moment donné, ils peuvent parler de dessin, et qu’à d’autres ils vont aborder des questions beaucoup plus personnelles.
Qu’ils soient adressés par le CMP, qu’ ils viennent par le « bouche à oreille » ou par curiosité, ils sont là pour chercher quelque chose qui est de l’ordre de l’aventure dans le dessin, du développement de la personnalité, ce qui est très valorisant , et en même temps ils cherchent là une certaine protection, ou l’on reconnaît la souffrance, ou les symptômes ne sont pas gommés, ou l’on prend les gens dans l’acceptation de leur maladie, mais aussi avec tous leurs possibles. C’est un lieu ou l’on va reconnaître et développer ces possibles.
J’illustrerai ces propos par le cas d’Alain.
Alain avait d’abord fréquenté « le chantier » un atelier ouvert au sein même de l’hôpital
Alain éprouve de très grandes difficultés dans ses relations avec autrui.
Chez lui, le dessin c’est un véritable « mode de fonctionnement ». Il est particulièrement intéressé par la bande dessinée.
La bande dessinée lui a permis d’entrer en contact avec des institutions qui s’occupaient de cela , en particulier le bibliothèque qui se trouve également dans la maison de quartier et avec laquelle l’atelier travaille, nous avons créé des ponts.
Cela a permis a Alain d’établir des contact avec d’autres personnes qui avaient les mêmes préoccupations, de créer une dynamique avec ces personnes autour de la réalisation de bandes dessinées.
Il a pu ainsi partiellement s’extraire de ce monde totalement imaginaire dans lequel il se réfugie, de se confronter à un monde de réalité, par rapport à un travail réel.
Il s’est ainsi trouvé mis dans la réalité , par rapport à sa problématique autour du dessin.
Il a été confronté à un professionnel de la bande dessinée, et cela lui a apporté beaucoup. Il a pu faire de vraies rencontres. Mon rôle a été de favoriser ces rencontres, de créer du lien, de lui permettre de progresser un peu, et de ne pas rester dans la répétition de ce qu’il faisait.
L’accueil que je pratique au sein de l’atelier n’est pas directement un soin, il permet à ceux qui viennent de se mettre à aborder leurs problèmes d’une autre manière
Quand ils sont dans la créativité, ou après avoir fait quelque chose grâce à leur créativité, ils ne parlent plus d’eux mêmes de la même façon. Ils se réapproprient leur maladie d’une autre manière ,c’est eux qui en parlent.
Ici aussi, il faut du temps pour faire quelque chose. Le temps de réfléchir, d’en parler, Cela peut durer plusieurs séances, cela peut venir aussi de leurs difficultés autour de leurs créations. Je ne leur demande pas « de quoi tu souffres ? » petit à petit cela s’impose à eux, à condition de ne pas être dans l’urgence.
Parfois, un premier travail autour du dessin peut montrer que les demandes sont d’un autre ordre, et permet de réorienter la personne.
Ainsi cette personne que j’ai vue récemment. Elle m’a montré ce qu’elle avait fait, et ce qu’elle demandait était d’un autre ordre : elle se trouvait dans une situation assez désespérée dans sa vie personnelle, n’avait plus de logement…
Je l’ai adressée au carrefour des solidarités et à l’UMAPPP.
Le dessin lui avait permis de se raconter un peu, et il avait été possible de mieux voir quelles étaient ses demandes : le travail « psy » que l’on peut faire autour de la créativité, ce n’est pas seulement un travail autour de la création, c’est une reconnaissance de la demande de l’autre.
Il faut pour cela qu’il y ait au départ un désir, que les gens se sentent sensibles au dessin, et aussi qu’ils ne soient pas en état de crise, qu’on ne soit pas dans l’urgence.
Il faut qu’il y ait une amorce de désir qu’on va développer.
Un environnement « assez bon » , un groupe
« assez bon »
L’atelier doit être le lieu où il est possible d’oser s’exprimer ,chose qu’on ne peut pas tellement faire dans notre société. On ne peut guère oser exprimer son originalité surtout quand on est « malade » : dès qu’on ose exprimer son originalité, cela peut être interprété comme un symptôme de plus de la folie .
L’atelier est le lieu ou peut s’exprimer cette originalité.
Pour cela, le lieu doit être un lieu accueillant, qui ne peut pas être trop ordonné.
Ce n’est pas à partir de l’extrême propreté, de l’extrême ordre que l’on peut créer. On ne peut créer qu’à partir de possibles désordres. Il doit y avoir de quoi remettre en ordre, construire un nouvel ordre personnel : ainsi, un adolescent a recréé un peu son milieu. Il s’est fait un petit coin personnel : peut être n’a t il pas eu dans la vie l’occasion de le faire. Il a recréé son milieu avec des tissus. On n’avait beaucoup parlé de cabanes, donc il s’est créé sa cabane au milieu de l’atelier. Ce qui lui a permis cela, c’est le désordre, c’est la possibilité avec des éléments indépendants de recréer un nouvel ordre.
C’est là , me semble t-il l’importance d’un « environnement assez bon » selon l’expression de Winnicott, tout comme est importante l’existence d’un « groupe assez bon »
L’existence d’un groupe qui est capable de reconnaître , tout en la contenant l’originalité de chacun, même si elle est un peu fantasque. Le groupe est « assez bon » pour accepter cela, en sourire, en discuter, le prendre en compte, être bienveillant, c’est à dire ne pas porter de jugement désagréable. C’est mon rôle d’y veiller.
Conclusion : pour une éthique de l’accueil , dans le cadre de la politique de secteur.
Des trois types de pratiques que nous avons décrites, il nous semble qu’émerge une approche commune de l’accueil.
L’accueil ne relève pas selon nous de « techniques ». Nous parlerions plutôt, reprenant l’expression de Y.Bozormény-Nagy d’une « éthique relationnelle »
Il s’agit d’aborder la personne en situation de souffrance psychique, non du point de vue réducteur des seuls « symptômes » psychiatriques, mais dans son contexte, dans l’ensemble de ses relations sociales, dans son histoire, avant même qu’une entrée dans des soins ne soit proposée.
Cela signifie que l’équipe de secteur, est capable de se trouver là ou la personne et/ou son entourage font peuvent être entendus.
La « demande » peut être adressée à d’autres qu’aux professionnels de la psychiatrie. Dans ces conditions, seul un véritable « travail en réseau », autour de la personne, peut permettre de l’entendre, et d’avoir une approche globale de la personne.
Ce travail d’accueil, au plus près, s’appuie en effet sur la reconnaissance du « patient » comme sujet, personne, citoyen à part entière.
Pour cela il faut prendre le temps de la rencontre, pour comprendre la situation, pour que l’entrée éventuelle dans des soins, s’inscrive dans une continuité et soit porteuse de sens.
Le « travail d’accueil » est, nous semble t il au cœur du travail de secteur. L’accueil tel que nous avons essayé de le définir, nécessite l’existence du CMP, et de l’équipe de secteur, comme pivot du dispositif de santé mentale, en liaison étroite avec la communauté et les institutions qui les entourent. L’hospitalisation ne constitue qu’une indication possible, par la suite.
L’expérience des « centres d’accueil et de crise » fonctionnant 24h/24 dans la cité, offre le cadre le plus favorable à cette pratique de l’accueil. Elle constitue une alternative à une entrée dans les soins « en urgence » que ce soit aux urgences de l’hôpital général, ou à l’hôpital psychiatrique.[5]
Ainsi défini, l’accueil ouvre, nous semble t il une nouvelle dimension du « rôle propre infirmier ».L’infirmièr(e) se trouve place « en première ligne » dans une rencontre et une élaboration préalable à la rencontre avec le médecin . Ce travail infirmier, fondé avant tout sur la qualité de la relation intersubjective nécessiterait une redéfinition des formations nécessaires à l’exercice infirmier en psychiatrie.
Sotteville-lès-Rouen Août Septembre 2000
[1] Infirmier(e)s de secteur psychiatrique au Centre Hospitalier du Rouvray (Sotteville lès Rouen). Chantal Prévost, est infirmière, elle anime des ateliers de création, au sein même du Centre Hospitalier du Rouvray et dans une maison de quartier. Laurence Tauvel est surveillante au CMP St Julien ( secteur 76 G 09) situé dans un hôpital général et J.C. Laumonier est surveillant à l’UMAPPP-unité intersectorielle travaillant auprès des personnes en situation de grande précarité.
[2] Unité Mobile d’Action Psychiatrique pour Personnes Précarisées. , unité intersectorielle, rattachée sous forme de « fédération » à l’ensemble des 10 secteurs de psychiatrie générale du C.H. du Rouvray (Sotteville lés Rouen)
[3] Yves le Roux et Danie Lederman « Le Cachalot, mémoires d’un SDF » ed Ramsay p201
[4] Voir à ce sujet le Rapport Strohl/Lazarus « Une souffrance qu’on ne peut plus cacher » Février 1995
[5] Cf JP Martin , « psychiatrie dans la ville » Editions Eres.