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Une question de souffle



"Pierre laissera un bon souvenir à l’équipe du Tennis Club de Laragne  ” Une phrase toute simple d’Alain qui résume à elle seule comment tout un secteur s’est mobilisé pour accompagner et soigner M. Viendoux. C’est secteur qui est écrit, mais c’est aussi réseaux qu’il faut entendre. Réseaux, ceux d’Alain l’infirmier qui va expliquer, convaincre, s’acharner pour que Pierre trouve une affiliation dans le club sportif dont il est entraîneur. Un malade dans un club sportif composé de nombreux soignants, a priori ce n’est pas simple. Réseaux, ceux d’Hélène, l’animatrice, qui va faciliter l’accès de Pierre à la maison des jeunes où il donnera des cours d’allemand. Réseaux, ceux de l’Association Le Passe-Muraille en train de se créer dont Pierre sera le trésorier lui qui est sous curatelle renforcée. Le Passe-Muraille, association d’entraide, cogérée par soignants et soignés, réunis pour contribuer à déstigmatiser la folie. Au milieu de ces différentes affiliations, Pierre va cheminer. Aujourd’hui, il a pris la décision de se rapprocher de ses deux jeunes enfants et va quitter la région. Il laissera un bon souvenir à l’équipe du Tennis Club, ainsi qu’à de nombreux soignants qui se sont investis chacun à leur façon et collectivement dans son accompagnement et ses soins.
Et pourtant, ce n’était pas gagné d’avance.

L’H.O. n’est pas confirmé 

Pierre arrive dans l’unité en Hospitalisation d’Office. Le certificat médical énonce qu’il présente un état d’agitation aiguë avec angoisses et réactions violentes. Il a cassé une porte en deux et séquestre sa mère. Le certificat de 24 heures décrit un état maniaque avec agitation, fuite des idées, actes clastiques, agressivité envers sa mère. Refus des soins et de traitement psychiatrique. Malgré ce tableau, l’hospitalisation d’office n’est pas confirmée. Le psychiatre de garde précise que l’état maniaque est connu, que le patient n’est ni suicidaire, ni délirant, qu’il accepte le traitement. Deux jours après son arrivée, il quitte l’établissement sans autorisation mais téléphone toutes les heures aux soignants. Il rentre en VSL à une heure du matin après avoir pu souhaiter son anniversaire à l’une de ses filles. Il est calme mais logorrhéique. Il est réadmis en hospitalisation libre.

Les premiers jours d’hospitalisation

Pierre arrive du nord du département à une centaine de kilomètres de l’hôpital. C’est Alain qui va le chercher. Il note que Pierre a besoin de parler et d’être écouté. Pendant les deux heures de trajet, Alain va le contenir de cette façon. C’est déjà autour de cet accueil et de cette écoute, avant même que Pierre n’entre dans l’unité que se crée une première relation. Dès deux heures du matin, Pierre commence à circuler dans l’unité. Il dit qu’il a suffisamment dormi, que deux heures de sommeil lui suffisent, qu’il est comme Napoléon. Il multiplie les demandes  verres d’eau, vérifier l’heure toutes les dix minutes, faire une partie d’échecs. Il raconte le cosmos, les étoiles, l’astrologie puis passe à autre chose non sans revenir sur le scorpion qui est son signe. Prévenu qu’il serait enfermé dans sa chambre quelques minutes pendant que l’infirmier s’absentait de l’unité, il arrache le robinet et s’en sert pour démonter la fenêtre de sa chambre.
Les observations infirmières décrivent un état maniaque franc avec une excitation psychique, accélération des processus intellectuels, fuite des idées, jeux de mots, coqs à l’âne, perturbations de l’attention et de la concentration. Ils notent une excitation motrice importante avec hyperactivité, plutôt improductive. Ainsi Pierre passe-t-il son temps à écrire des lettres, des poèmes sur tout support qui passe à sa portée  : du papier de carambar au papier toilette en passant par les notes de service. On peut y lire des plaisanteries, des listes de course, des pense bête. La ponctuation est absente. Tout est écrit au fil des idées. Telle une pie, il ramène dans sa chambre tout ce qu’il trouve. Papiers divers, barquettes de repas, guirlandes de Noël, paquets vides de cigarettes, etc., etc. Sa chambre finit par ressembler à un capharnaüm que nous respectons globalement, n’intervenant que pour enlever les produits périssables. L’hyperthymie est évidente. Pierre passe du rire aux larmes, d’une attitude familière à une ironie agressive, d’un sentiment de toute puissance à des attitudes provocantes et hostiles. Les troubles de la vie instinctuelle sont essentiellement marqués par une insomnie rebelle sans sensation de fatigue qui durera avec des hauts et des bas près de dix jours. Sa tenue apparaît débraillée marquée par une grande fantaisie  chapeau tyrolien avec tenue de cycliste. Nous retrouvons des idées mégalomaniaques quasi délirantes avec des projets grandioses, tels que de créer un logiciel informatique qui permettrait de prévoir les fluctuations des astres et de leur influence sur la destinée humaine.
Pierre accepte son traitement qui ne lui sera jamais imposé. Il explique aux infirmiers qu’il n’en a pas besoin. Il en décrit les effets secondaires. Il cherche à négocier. Il estime pourrait n’en prendre que la moitié parce que ça l’assomme. Les soignants l’écoutent, discutent, cadrent, se relaient auprès de lui pour le contenir. Chaque prise donnera lieu à des négociations que la fermeté infirmière abrège. Avec le temps cela deviendra presque un rituel. Il finira par accepter du dépamide® qu’il prendra plus ou moins régulièrement une fois sorti.
Comme nous n’avons pas de chambre d’isolement, Pierre ne sera jamais isolé. Les portes de l’unité sont ouvertes. Rien ne s’oppose donc à ce qu’il parte quand il le souhaite. Malgré cela, il éprouve le besoin de maquiller son départ  il met son traversin et une poubelle sous ses couvertures. A peine arrivé à sa destination, chez sa mère, il laisse des messages téléphonique aux soignants “  M. Viendoux va bien, il rentrera dans l’après-midi  ”, “"Je rentrerai ce soir avec ma voiture et mon ordinateur.  ” Les soignants essaient de négocier qu’il ne ramène pas toutes ses affaires, en vain. Sa sortie est faite. Il rappelle dans l’après-midi pour qu’on lui garde son repas. Il finit par rentrer dans la nuit en hospitalisation libre, donc. Le lendemain, il est mis en pyjama et ne peut sortir de l’unité qu’accompagné par un infirmier en attendant que tout cela soit repris avec son médecin référent. Pierre est ravi du bon tour qu’il nous a joué. Il se prend pour Arsène Lupin et nous raconte ses différentes évasions des hôpitaux fermés où il a été hospitalisé. Nous lui faisons remarquer qu’il vieillit, qu’il y a peu de mérite à s’évader d’un lieu ouvert. En tout cas, nous apprenons ainsi qu’il a déjà été hospitalisé dans d’autres établissements. Le lendemain, le médecin, sur son engagement formel de ne pas sortir de l’hôpital accepte qu’il puisse à nouveau s’habiller et sortir à la cafétéria. Le traitement est repensé. Présent un jour par semaine dans l’unité, son médecin préfère négocier qu’imposer, expliquer plutôt qu’informer. Elle va faire en sorte de constamment lui laisser l’initiative. L’équipe suit.

Contenir 

Les liens avec sa mère ont été constants. Nous avons dû la rassurer dans un premier temps, lui expliquer que nous n’enfermons pas les patients, que nous les pensons capables de se contenir eux-mêmes, même si cela implique parfois qu’ils sortent sans autorisation, que lors de sa “  ” son fils a constamment été en contact téléphonique avec l’équipe et que cela montrait à la fois la qualité de la relation naissante avec l’équipe et sa capacité à se contenir lui-même. Nous avons entendu son ambivalence. Nous avons touché du doigt les aspects fusionnels de cette relation mère/fils. En échange, la mère a retracé pour nous quelques étapes de l’anamnèse de son fils. Nous la rencontrerons un mois après l’admission de Pierre, une fois sans son fils et une fois en sa présence. A chaque fois, il sera nécessaire de reprendre la période précédant l’hospitalisation marquée par la séquestration et la volonté de Pierre de la faire hospitaliser, elle, pour schizophrénie. Tous deux lient cette agressivité à la mise en invalidité et à la curatelle renforcée de Pierre. Nous leur proposons de travailler en équipe avec nous pour éviter les rechutes. Pierre s’empare de la proposition, et en décrivant les rôles de chacun, nous lui permettons ainsi qu’à sa mère d’y avoir place. Les deux infirmiers qui organisent l’entretien notent  “  On a l’impression d’un jeu qui se jouerait à deux sans intervention possible d’un tiers. Il nous manque la règle du jeu.  ”
“Poursuivre les soins de proximité  ” écrit le Dr Lefort, le médecin généraliste, au retour de sa fugue. C’est ce que nous allons faire tout en proposant à Pierre d’intégrer des groupes à visée thérapeutique. Nathalie, l’infirmière, met Pierre en contact avec Hélène l’animatrice, pour qu’il puisse participer au Journal de secteur. Son idée est de permettre à Pierre de rassembler ses écrits, et de se rassembler psychiquement autour de l’ordinateur qu’utilisent les journalistes de “’échappatoire  ”. Nous verrons, lors d’un entretien à quel point cette idée pouvait être pertinente.
Nous allons proposer à Pierre de jouer aux échecs. C’est un bon joueur qui n’arrive évidemment pas à se concentrer. C’est un habitué du jeu rapide (le blitz). Il doit faire mille choses en même temps  : prendre des notes sur des pensées qui lui traverse l’esprit, aller chercher un biscuit dans sa chambre, proposer des changements de règle, etc.. S’il peut compenser face à un joueur moyen, il se fait inévitablement battre par un bon joueur. Comme il déteste perdre, il doit revenir à ce qui se passe sur l’échiquier, et résoudre les problèmes posés. L’infirmier qui l’accompagne n’hésite pas à lui dire  “
Pierre, si vous ne faites rien, je vous prends votre dame dans deux coups. Les échecs c’est pas comme la vie. Une dame de perdue, c’est une dame de perdue. Vous n’en retrouverez pas dix    ” Et Pierre de se plonger dans la partie pour sauver sa dame. Autour du jeu, des inductions de l’infirmier, il réussit à parler de lui, de sa relation à sa mère, de ses compagnes.
Nous allons ainsi chercher des activités où il se pose, où il soit obligé de se cadrer pour participer. Nous avons vite remarqué ses aptitudes relationnelles et l’importance que pouvait avoir pour lui une certaine forme de reconnaissance. Ne se présente-t-il pas comme un expert en communication. Il lui faut montrer qu’il n’est pas cet invalide décrété par ces autres experts de l’éducation nationale qui ont fait du professeur d’allemand inventif qu’il était un handicapé, ni ce majeur protégé, cet “
considéré comme immature  ” qu’a créé le juge des tutelles. Football, relaxation, gymnastique, café philo, soirée poésie au bar du CMP, traduction de français en allemand, etc. Il est d’autant plus important de faire diversion que Pierre se mêle de tout et de tous. Il est chez lui dans l’unité et tolère tout juste la présence des soignants et des patients. Assez vite, il est rejeté par les différents patients hospitalisés et les rejette en retour. Ces activités de groupe dans lesquelles nous le cadrons, et où il se cadre sont aussi un moyen pour que les autres patients puissent le supporter, pour éviter d’éventuelles réactions violentes d’un entourage soumis à rude épreuve.
Les notes infirmières rapportent qu’au bout de trois semaines d’hospitalisation, il retrouve un sommeil régulier, et qu’il devient plus discret dans l’unité. Il reste de longs moments dans sa chambre. Il “
efface  ” progressivement. Il est ralenti. Des cernes apparaissent sous ses yeux, son visage devient triste. Sa participation au groupe “en poésie  ” montre bien le passage d’un état à l’autre. Reprenons les notes de l’infirmier qui anime le groupe.

L’œuvre pie de Pierre Viendoux


"Participer à " Provence en poésie " est tout sauf évident pour Pierre. Paradoxe  Depuis son entrée, il n’arrête pas d’écrire. Il note tout, tout, tout. C’est-à-dire rien. Il écrit au président de la République, à son avocat, au directeur de l’établissement, à toute personne dont la pensée lui traverse l’esprit. Il plie ses petits bouts de papier, leur donne une forme d’enveloppe et il les poste. Il écrit à la vitesse de sa pensée, c’est dire qu’il ne respecte aucune limitation de vitesse. Dès le début de “Provence en poésie  ” il répond présent.
C’est de la poésie minute, de la poésie express. Pierre torche son texte en deux coups de cuillères à pot et s’occupe ensuite des autres participants. Il leur écrirait bien leur texte dans la foulée. Les polygraphes hypomanes ne sont pas faciles à gérer pour l’infirmier/poète amateur. Il faut contenir, cadrer, inlassablement cadrer, éviter les débordements, maintenir à chacun son espace de création. A la différence de ses textes habituels, Provence en poésie  ” repose sur la contrainte d’écriture. Un premier vers imposé, des mots définis à l’avance à placer dans le poème, rimes obligatoires, etc. Les idées qui tendent à s’enfuir butent sur cette contrainte. Il faut la respecter, la dépasser, la transcender. Pierre va s’y employer. Mais s’il respecte la rime, le rythme le dépasse, comme beaucoup de patients en état maniaque suffisamment mieux pour participer à une activité de médiation telle que la poésie mais pas suffisamment rétabli pour avoir retrouvé un rapport harmonieux au rythme. Chaque vers est donc immensément long. Il est presque impossible de les mettre en page.
Son premier texte montre bien ce rapport particulier au temps. S’il était une ville, il serait Paris et tout le monde viendrait lui rendre visite à toute heure du jour et de la nuit, du petit matin jusqu’à bien après minuit. Jour/nuit, sang/plume, cerveau/main, son premier texte fonctionne par couples d’opposition. S’il était une partie du corps, il serait double  un cerveau et une main  ; s’il était un objet il serait une plume de pie, il n’aurait besoin que de lui-même car il écrirait avec son sang et sa plume. La mégalomanie n’est pas loin. Le texte est farci de jeux de mots, d’assonances presque gratuites. Ainsi se compare-t-il à la “  ” qui résonne avec la première syllabe de son prénom. Il signe d’ailleurs ses textes “  ”
Lors de la deuxième séance, il est très présent dans le commentaire du texte de Brel auquel il voue une véritable passion. Sa connaissance de l’œuvre de Brel est par ailleurs précieuse. Je m’appuie sur lui et donne ainsi un contenu à ses tentatives d’emprise sur le groupe. Il est suffisamment fin pour s’en rendre compte et pour substituer au contenu de l’activité habituelle, une sorte de pôle éducatif. Il soutient mes interventions, ou s’arrête de parler afin de ne pas s’interposer entre ce que les uns et les autres disent et ce que je leur renvoie. Cette dimension éducative qui renvoie à sa profession d’enseignant vient alors pour lui doubler l’intérêt du groupe. L’évolution d’une séance à l’autre est spectaculaire.
Dans son texte proprement dit, il s’impose une contrainte très complexe, ce qui a pour effet de l’obliger à maintenir son attention. Le premiers vers est imposé  “île au large de l’espoir où les hommes ...  ”. Il s’impose des rimes et s’oblige à reproduire le parler méridional. Il s’en tire sans trop de mal. Mais son texte cafouille. Les adverbes envahissent le texte et l’alourdissent  “ile crânement aimable, totalement heureuse ... Une île adorablement agréablement idéale, une idéalement heureusement aimablement large de cœur  ”. On retrouve des couples d’opposition. Les éléments dépressifs apparaissent, l’espoir est hideux, les hommes n’ont pas totalement la foi, les femmes sont plus ou moins hideusement tatouées. Le texte s’adoucit à la fin  “
île vahiné que je souhaite comme une fête, que je rêve de rencontrer, de visiter, de tout mon être, de tout mon cœur  ”.
Le troisième texte est consacré à la liberté. Le texte est infiniment plus court. La contrainte est plus simple. Pierre apparaît sombre, moins présent. Les jeux de mots ont disparu, les adverbes également. Liberté rime avec amitié. Mais il est question d’épousailles d’amis à nouveau accordés dans leur chair. Le texte est ambigu. De qui parle-t-il 
Le dernier texte écrit par Pierre s’inscrit dans le même mouvement. Les jeux avec les mots disparaissent, les adverbes, également. La rime et le rythme apparaissent. L’humeur n’est plus expansive. On passe du soleil qui fait merveille au temps qui se délaye. “
dans mon esprit ne se raye. Tout se paye  ”.
en poésie  ” a permis d’accompagner la queue de la phase expansive, et d’aider Pierre à trouver un rythme plus propice à une vie sociale. Après avoir essayé d’intégrer l’atelier écriture, à la Maison des Jeunes, Pierre se lance dans le vélo. L’écriture ne semble curieusement être son “  ” que lorsqu’il est maniaque.   ”

Liberté

Liberté,
Il est temps que nos cœurs liés par l’amitié se tendent sans se
Blesser aux mains ou derrière les fronts soucieux pour que de tous nos corps on puisse consacrer ces
Epousailles d’amis à nouveau accordés dans leur chair
Retrouver la fraîcheur des poignées de mains sincères sans
Tension pour qu’éternellement
Eperdument, tu vives LIBERTE

Pie.

Une période “  ”

Ses activités deviennent plus productives. Il achève sa traduction qu’il n’avait pu mener à bien lorsqu’il était maniaque. C’est au cours de cette période “  ” sinon dépressive qu’Alain commence les matchs de tennis. Le but d’Alain était de lui permettre d’avoir une activité physique investie, de sortir de l’univers de l’unité, de rencontrer des gens à Laragne où il avait décidé d’habiter. Il s’agissait de préparer sa sortie.
En entretien infirmier, Pierre revient sur la période précédente qu’il divise en deux parties  un temps “
ène Lupin  ” qui correspond à l’état maniaque et un temps “Christo  ” où il revient pour se venger de ceux qui l’ont mis sous curatelle et ont décidé qu’il était un invalide. Cette dernière période correspond à la fin de l’état maniaque et au début d’une phase marquée par des éléments persécutifs où il veut porter plainte contre ceux qui l’ont hospitalisé, et contre son curateur. C’est le dernier rempart contre la phase dépressive. Pierre revient sur ses travaux d’écriture forcés. Il écrivait, il recopiait pour ne pas perdre le fil des avanies qui lui tombaient dessus. Cela lui permettait de se recentrer sur ce qu’il faisait. “est comme dans Windows, mais j’ai trouvé un procédé plus simple. Il faut simplement maintenant que je range mes petits papiers.  ” L’entretien lui permet de faire une boucle autour de l’écriture. “serait ce qui fait exister. Comme l’état civil pour les enfants qui naissent.  ” L’infirmier qui propose l’entretien note  “d’aborder la question du manque autrement que par être partout, ne s’arrêter nulle part. Tout contrôler.  ”
Une première permission d’une semaine autour de vacances scolaires avec ses filles permettra à Pierre de vérifier qu’il est apte à sortir, et à déménager.

Alain au service 

Le suivi sera assuré par l’équipe du CMP, et par Alain qui va dans un premier temps continuer à jouer avec Pierre, avant de favoriser son intégration dans l’équipe de Laragne. Au cours de cette activité, mi-professionnelle mi-associative, Alain aura l’occasion d’écouter longuement Pierre, de discuter de tous ses problèmes, d’en être le confident. Pierre ira jusqu’à appeler Alain chez lui dans les moments de révolte ou de détresse. Il sera progressivement le seul lien de Pierre avec le monde des soins. Bien que suivi régulièrement par son médecin, bien que reçu au CMP, bien que différentes activités sportives autres telles qu’escalade lui aient été proposées, c’est vers Alain que se tourne Pierre lorsqu’il perd pied et rechute sur un mode mélancolique. Alain note  “de tennis avec Pierre, je le trouve triste, déprimé. Il n’a personne pour parler. Il se sent isolé. Il aimerait aller à l’Atelier Thérapeutique à Gap (dont Alain est un des référents), ce qui lui permettrait de faire d’autres connaissances, de pouvoir parler.  ” Il note encore  “chez Pierre. Il est triste, il n’a envie de rien  ni de jouer au tennis, ni de faire du vélo. Il dit qu’il ne s’en sortira jamais. Il est cependant d’accord pour voir son médecin dans deux jours. Sa voiture était en panne, nous avons réussi à la démarrer ensemble.  ”
Le lendemain, Pierre était hospitalisé en réanimation pour absorption de médicaments. Il était resté chez lui neuf mois.

Une question de souffle 

Nous ne reprendrons pas cette hospitalisation dans le détail, mais noterons que si Pierre est dépressif et évoque son désir de mourir pendant les dix premiers jours d’hospitalisation, il fait ensuite un virage maniaque qui dure trois semaines. Au cours de cette période, il va tenter de se contrôler lui-même. Il s’oblige à parler lentement, à prendre son temps, à rester concentré sur son sujet. Il respire, fait de la relaxation respiratoire. Il fait vraiment beaucoup d’efforts pour rester cadré. Il passe un accord avec l’infirmier présent qui devra lui dire chaque fois qu’il le trouvera trop euphorique. Reprenons les notes de l’infirmier  “ès le goûter, jouons de la flûte. Il ne connaît pas les airs que je joue. Il est suffisamment contenu pour m’accompagner uniquement en regardant mes doigts. Je ralentis le rythme. C’est une question de souffle. Nous réussissons à jouer ensemble. Cette séquence très intéressante décrit joliment une prise en charge en miroir où Pierre s’appuie sur les soignants pour tenter de garder le contrôle de lui-même.  ”. Il sortira trois semaines plus tard après avoir multiplié les séjours dans son appartement.
L’essentiel du travail sera ensuite accompli par Pierre autour du CMP, des entretiens avec un médecin qui le suit et lui laisse constamment l’initiative, de parties de baby-foot le mercredi dans l’unité, des matchs de tennis avec Alain, et de l’association “
passe-Muraille  ”. Autour de cet accompagnement qui dure depuis un an, Pierre, selon son médecin va se névrotiser dans un registre proche de la castration. Il va réussira à faire entendre que sa curatelle le rend fou, qu’il s’épuise à faire des dossiers, des contre-dossiers pour en obtenir la levée. Il prend la décision de déménager pour se rapprocher de ses filles qui habitent un département voisin. Au moment où nous écrivons, il est en pleine préparation de ce départ. Ce week-end encore, il jouait au tennis avec Alain.

Conclusion

Cet accompagnement et ces “de proximité  ” d’une personne souffrant d’une PMD apparaîtrons peu canoniques. Bonnafé évoquant l’influence de l’observateur sur l’observé, énonçait récemment  “avions fini par conclure que la description de la manie figurant dans les livres était fausse. Quand Julien Rouart, qui était l’un de nos aînés, a pour sa thèse cherché des maniaques dans les asiles de la Seine, il n’en a trouvé aucun qui soit conforme à la description des ouvrages de psychiatrie. Ce qui n’avait rien d’étonnant  la manière dont un gars comme Julien Rouart s’entretenait avec le patient n’était pas la même que celle des médecins qui avaient établi le certificat, ni ceux qui avaient rédigé la description dans le livre de psychiatrie. Dans les symptômes de la manie, il y avait notamment la causticité. Les maniaques savent très bien avoir une attitude de mise en boîte qui nous permet davantage de porter un jugement sur le médecin que sur eux-mêmes.  ” (1)
Ainsi faisait Pierre.
Préparant cet article avec son psychiatre traitant, nous avons évoqué la structure psychotique de sa personnalité, mais également ses aptitudes relationnelles qui en firent, entre autres, le trésorier de l’association. Nous l’avons toujours considéré comme quelqu’un de respectable quels que soient les tours et détours qu’il nous joua. L’homme est généreux, disponible à la souffrance des autres. Il a le cœur sur la main ce qui lui joue parfois des tours. Il y aurait eu tant de choses à écrire autour de Pierre  son humour, sa volonté d’aider les autres, sa façon unique de chanter Brel. J’en ai encore le frisson.
Les soins de Pierre auraient certainement connu une fortune différente si nous n’avions pensé le caractère particulier de sa relation d’objet. Si dans le deuil pathologique, l’individu a conscience de la nature de l’objet sur laquelle sa libido reste fixée, dans la mélancolie l’objet perdu a été selon Freud (2) “
à la conscience  ”. Dans le deuil, la perte de l’objet a rendu le monde “et vide  ”, dans la mélancolie, c’est le moi du patient qui est devenu pauvre et vide. Trois conditions doivent être requise pour déterminer, selon Freud, un accès mélancolique  une ambivalence initiale pour l’objet d’amour que nous retrouvons constamment chez Pierre, notamment dans sa relation à sa mère  ; la perte de cet objet que nous ne retrouvons pas, mais la séparation d’avec sa compagne et le décès d’une ancienne amie peuvent en tenir lieu  ; et la régression de la libido sur le moi qui apparaît essentiellement au cours de la deuxième hospitalisation de Pierre. La réaction maniaque apparaît ainsi comme une défense secondaire contre le deuil et la perte d’objet. Le maniaque, ainsi, toujours selon Freud, par une fuite en avant effrénée, cherche de nouveaux objets qu’il est incapable d’investir. Cette fuite en avant correspond à un déni de la perte d’objet et, comme dans le deuil, à une incapacité de maintenir la présence fantasmatique de l’objet disparu. Cette pensée d’un état maniaque, défense contre la perte nous a aidé à supporter les “  ” de Pierre sans tenter de les éradiquer. Nous avons cherché à contenir Pierre, à lui donner les moyens de lutter contre la perte de l’objet en résistant à ses attaques. C’est de notre point de vue à cela que servent les soins de proximité.

Dr F. Cayol, Praticien Hospitalier, D. Friard, A. Vincent, ISP, CH Laragne.

D’après les notes de toute l’équipe soignante de l’unité Provence et plus particulièrement d’A. Lefort, P. H. de médecine générale, N. Couyère, A. Truchet, M. Martin, J. Debray, P. Truphème, M. Julien, ISP et IDE, et H. Martinaud, animatrice.

(1)        Bonnafé (L), L’esprit du secteur, in Santé Mentale, n° 51, Octobre 2000, pp. 16-20.
(2)        Freud (S), Deuil et mélancolie.







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