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OPERATION SIDA

Une vague de olas soulevait le stade.
Devant nous, l’équipe du restaurant
"Flo " se levait en cadence.
A chaque vague, José levait un poing rageur.
Un poing qui disait 
  .
NON au Sida 

20 000 personnes rassemblées dans un même cri.
Un stade debout, ça fait du bruit.
Un stade debout qui dit non à la mort, non au désespoir, non à la solitude
Oui à la VIE
20 000 personnes contre le sida
Une foule colorée, bigarrée, vivante, motivée, militante.
Et nous.

Et nous avec notre petite pancarte
A.C.R.L.  (Association Créativité Réinsertion Loisirs)
Avec le grand Serge, Annick et sa rose rouge
José, Franck, Guillaume, Mohamed,
Eric, curieux de tout, papillonnant d’un magasin à l’autre,
Jean-Pierre,
Monthéa, trois pas devant, deux pas derrière, mais là avec nous, là avec tous
Dominique anxieux, se demandant si notre petite pancarte nous attendrait ou non.
Notre petite pancarte pour défiler
Notre pancarte, signe qu’on nous attend, qu’on ne nous a pas oublié, qu’on a notre place dans cette marée de solidarité.
On a tourné, retourné, on a été poussé, repoussé par la foule.
Une myriade d’associations d’aide faisait assaut d’ingéniosité pour mobiliser, pour appeler à la vie.
Enfin, on a trouvé notre petite pancarte, notre signe de reconnaissance. Elle nous attendait 

A.C.R.L. Saint Maurice 

Nous étions un tout petit groupe de solidaires perdu dans la fourmilière humaine, surnageant dans le flot qui nous ramenait constamment aux gradins.
Perdus mais présents.
Marcher pour la VIE
Faire acte de présence, acte de solidarité.
Et José le poing tendu.

Le dimanche 21 mai
A la Marche pour la Vie,
Nous étions débout,
Et rien n’aurait pu nous empêcher d’en être,
Ni la maladie, ni l’angoisse de la foule,
Ni les voix,
Ni la sensation d’être vide
Parce que la maladie c’était une autre maladie
Parce que la foule nous portait, nous contenait
Parce que 20 000 voix criaient solidarité
Parce que chacun était plein de ce moment intense où nous étions debout.

Debout,
Soignants, soignés
Tous concernés par la lutte contre le fléau
Pour dire oui à la Vie
Pour dire oui à Charléty.

Et même si la fatigue se faisait sentir
On aurait marché pendant des heures
Malgré les neuroleptiques
Malgré les benzodiazépines
Nous étions là.

Et l’année prochaine
Nous serons là
Plus nombreux
Pour marcher
Pour lutter
Pour la Vie.

Nous étions là, mais ce n’était pas suffisant. Alors.
Alors Franck, au groupe "Défense d’afficher  "(1). fit une carte postale.
On laissa mûrir.

Eurêka, dit Dominique
Eurêka, dit Danièle
Eurêka, dit Gwénaëlle
L’ampoule allumée au dessus de leur tête
On allait fabriquer des cartes postales
Tous ensemble
On les vendrait
Lors d’une exposition organisée à l’hôpital
Et
L’argent récolté serait donné à l’association AIDES.

Aussitôt, les petites mains se mirent à l’œuvre.
On acheta du bristol, de la colle, des feutres. On collectionna des revues. Et on joua du ciseau.

Falret (2)

un lundi d’été, c’est l’heure de la sieste.

Tout dort 
Non 
Ariane est là dans la cour.
Il fait bon.
Certains roupillent sur la pelouse,
D’autres écoutent de la musique
Au centre de la table de jardin
Le tas de papier grandit
Ça rit, ça plaisante
Annie a l’air très inspiré
Combien de cartes postales 
25
On continue.


Au début, on feuillette les revues distraitement. On n’arrive pas à arrêter son choix sur des images.
Un bébé, un couple qui s’embrasse, une femme ... belle, un top model, un paysage, en enfant, un bébé, un couple qui s’embrasse.
Premières cartes timides, premiers bonheurs qu’on aura jamais, premiers bonheurs de papier dressés contre la maladie.
L’amour, c’est bien là qu’elle frappe cette satanée maladie.
Au début, on n’ose pas. On n’a pas encore dit les mots. Les mots qui expliquent la maladie, les symptômes, les comment ça s’attrape, comment s’en protéger. Ou, on ne les a pas entendu. Et puis si l’on parle sida, il faut bien parler schizophrénie, parler des symptômes de la maladie qu’on a. Pour comparer.
Au début, on n’ose pas.
Nos cartes postales, c’est celles qu’on aimerait recevoir, celles que l’on aimerait envoyer, des cartes de vacances, des cartes de vie.
Les vacances à l’hôpital, tu parles 
Mais ça fait rien, elles avancent les cartes.
Et puis, c’est pour AIDES.

Déjerine (3)
un autre lundi d’été
Il fait frais sur la galerie
Le vent souffle,
Eparpille
Les petits bouts de papier
André est venu pour voir
Il ne reste pas
Des voix le colonisent
Romain, lui, a fait sa carte
Monick travaille pour quatre.
Combien 
58.
On continue.
Les doigts sont plein de colle
Dominique monopolise les ciseaux
Gwénaëlle court après les petits bouts de papier.
On continue.

Des femmes africaines montrent comment enfiler la capote. Distribution de préservatifs au Zaïre. Un couple d’amoureux. Attention Danger. Les cartes se font de plus en plus explicites. Les messages fleurissent. prostituées, méfiez-vous    , prêtez pas vos seringues    On en a parlé. Le sida, la schizophrénie, la psychose, on commence à mieux savoir ce que c’est. On ne confond pas. Finies les petites fleurs, terminés les bébés. Maintenant, c’est de l’informatif, du sérieux. On reste encore au niveau des populations à risque. On n’est pas complètement concernés.

Royer-Collard
un autre lundi d’été
Les étudiantes s’agitent
A qui la meilleure idée 
Danièle en a vu d’autres
Alain n’y arrive pas
Ça pose trop de questions,
Ça touche de trop près.
Combien 
Monick compte et recompte,
Pour être sûre
100
100 
100 
Le compte est bon.

Les cartes sont de plus en plus explicites, de plus en plus humoristiques également, de l’humour noir, du qui fait grincer les dents. On appelle un chat un chat et une chatte ... On n’a plus peur, on peut en rire même si c’est douloureux.

Novembre 1995,
Beaucoup sont sortis, d’autres sont arrivés.
On prépare l’exposition pour le premier décembre.
La Journée Mondiale du Sida.
Une exposition à l’hôpital faite par des soignants et des soignés. Evénement 
Il faut plastifier les cartes postales.
Avec du véléda, c’est d’un pratique 
Les mains tremblent, chacun s’applique.
Francisco n’en peut plus, c’est trop long 
Il nous a massacré trois cartes, personne ne dit rien mais on le regarde de travers.
Christian a trouvé la technique, on pose la carte à l’envers sur le véléda, on rabat les coins puis on lisse très soigneusement.
Christine ne sera pas là pour l’exposition, alors elle met les bouchées doubles.
Alain s’informe, Thérèse, vingt ans de suivi, des symptômes négatifs plein la hotte, répond, explique les maladies opportunistes.
Chacun se tait, tous s’écoutent.
Ça ne plaisante pas. Le premier, il faudra répondre aux questions, des soignés et des soignants.
Valérie, Gwénaëlle et Dominique ont écumé les associations pour ramener du matériel, des affiches, des bulletins d’information. Ça décoiffe  C’est du jamais vu à l’hôpital.
Tout est prêt pour le Jour dit.
Christian est sorti. Il essaiera de venir s’il y a des transports.
Alain est là qui attend pour préparer la salle, Thérèse le rejoint ainsi qu’Henri.
Tout est prêt.
Les autocollants, les affiches aux couleurs vives, aux slogans incisifs qui font sourire jaune, les revues d’information, les préservatifs, le Livre d’Or, les dessous de verre.
Et les cartes postales qui se détachent sur le fond rouge du panneau de bois. Chaque carte est fixée à une aiguille par un trombone.
Les premiers visiteurs arrivent.
Alors 
C’est à croire que dans les autres secteurs on a enfermé tous les patients pour éviter qu’ils viennent  Des fous qui informent les soignants sur le sida  C’est le monde à l’envers. Des fous qui parlent de sexe, c’est insupportable 
Alors 
  Il faut continuer l’information, beau travail. Bon courage pour la suite. 
  Information nécessaire qui semble répondre à l’inquiétude de chacun et qui favorisera la démarche personnelle pour une information. 
  A la gloire de Dieu, certains en réchappent. 
  Les cartes postales sont une très bonne idée pour faire passer des mots et des messages. Les postiers qui lisent le courrier seront contents de les voir et de les apprécier. 
  Belle idée de solidarité qui j’espère aidera AIDES
Quelques messages extraits du livre d’Or montrent à quel point cette exposition fut une réussite.
Et les cartes postales 
Elles ont permis de rapporter 500 F. qui ont été remis à l’association AIDES.


Gwénaëlle Croizer, cadre-infirmier, CH Esquirol (94)
Dominique Friard, infirmier, CH Esquirol pour l’ensemble des participants soignants et soignés qui se sont investis huit mois dans ce projet.

(1) Activité basée sur la technique du collage, destinée à faire passer des messages   dans les unités du secteur

(2) Unité fonctionnelle intra-hospitalière du secteur XIV de Paris.

(3) Unité fonctionnelle intra-hospitalière du secteur XIV de Paris

(4) Unité fonctionnelle intra-hospitalière du secteur XIV.



nous contacter:serpsy@serpsy.org