Que dire de cette première rencontre avec Maximilien, si ce n'est qu'elle ressemble à la première fois que l'on cueille une rose : on se pique, ça fait mal. Le plaisir éprouvé à la vue se transforme soudain en peine au toucher.
-" Je suis Picard, moi, un vrai de vrai. Un Français quoi, et fier de l'être. M'emmerde pas, j'aime pas les arabes ! ".
Seuls les jardiniers français seraient-ils aptes à cueillir de telles roses, me dis-je ? Mais qu'importe, le plaisir reprend le dessus.
Joufflu, pas très grand, l'air grincheux, beaucoup de cœur et de sympathie se dégageait de Maximilien. Effectivement, il aimer brandir ses origines dont il était fier. Combien de fois ai-je entendu ces trois mots : " Je suis Picard ! ". Lorsqu'il était en colère, lorsqu'il était joyeux, lorsqu'il souffrait. C'était sa façon à lui de dire : - " J'existe, je suis là, je ne suis pas mort ! ".
La mort ! Qu'il fut difficile de l'approcher. Les premiers jours de l'hospitalisation, un champ de bataille désert nous séparait. De part et d'autre on s'épiait.
Je ne l'abordais que pour des points précis : le réveil, la prise de traitement, les repas. Quelquefois, je me hasardais à lui suggérer de prendre un bain, mais pas très fort, car pour lui c'était une confrontation directe. Pensez donc, moi, dire ça à un Picard !
Lui, profitait de la moindre occasion pour me citer tous les vilains mots ayant un rapport à mes origines.
Cela aurait pu nous éloigner, m'en éloigner. Pourtant, je l'observais avec les autres patients. Il était toujours prêt à leur rendre service, à les dépanner en cigarette (au point de ne plus en avoir pour lui), à donner tout son argent, à plaisanter avec les uns ou les autres. Il était très croyant et parlait souvent de Dieu. Aussi, le rejet si cru, si fort, si flagrant qu'il me montrait me paraissait-il bien dérisoire. C'était sans doute sa manière de communiquer avec moi. Sa seule manière ?
Les fleurs , c'était sa profession. C'était surtout sa passion. C'est ce qui a permis une trêve puis une paix durable. En réalité, avions nous été un seul jour en guerre ?
C'est en parlant des parterres de fleurs qui ornent délicatement l'hôpital et rendent ses unités plus accueillantes, que nous avons pu nous connaître : moi, ne sachant pas différencier les espèces, lui me les nommait, me les décrivait avec passions, respect et fierté.
Au fil des jours, un lien s'est créé. Je devenais son confident. Il me racontait ses " quatre-cent coups " d'adolescent, la naissance de son fils, mais aussi toutes ses peines, son enfance malheureuse et douloureuse. Me considérait-il comme un infirmier dans ses moments là ? Mais cela était-il important ? Est-ce important pour un patient rongé par une tumeur cérébrale incurable ?
Puis-je n'être qu'un infirmier devant une telle situation ?
Je l'ai plusieurs fois accompagné vers ses séances de radiothérapie. Il y allait comme d'autres vont en campagne contre la poussière. S 'en rendait-il compte ? Il revenait épuisé. J'assistais impuissant à cette disparition annoncée.
Dans cette situation, les maux écrasent tous les mots que l'on veut dire, que l'on peut dire.
Sa fleur préférée était la rose. Il ne m'a jamais dit pourquoi, pourtant pouvait-il en être autrement ?
La rose, lorsque l'on sait la cueillir, vous offre toute ses richesses.
Il est parti comme la rose s'en va, pétale après pétale.