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Urgence ? psy ?

Je vais vous parler de Sylvain, avec mes mots et d'autres empruntés, mes incertitudes, mes espérances, mes envies, ma maladresse, avec ce qu'il réveille en moi… C'est un jeune homme, un Pondychéryen, de 32 ans, élancé, le cheveu noir et souple, des yeux noirs… Souvent, lorsqu'il se déplace, il se meut de manière féline… A la manière de Mowgli, le petit d'homme du Livre de la Jungle.

Avec lui, les mots sont les passants mystérieux de l'âme.. Poussière de paroles.. Des mots ? moins que des mots, des sons, des plaintes, des cris, des gestes, de la voix.. Un murmure sans parole, parmi d'autres murmures.

A l'observer on peut oublier le sens des mots.. Quelques fois ce n'est qu'un bruissement des lèvres, soulevé par la joie, serré par la douleur.

Pendant des années, on lui a épinglé des symptômes, distingué des symptômes, Sylvain se dérobe à notre logique, notre rationnel.. Déraisonnable, insensé, compliqué, incohérent, abracadabrant, différent, étrange, alternatif dans son va et vient incessant entre ici et ailleurs.. Parfois, ce n'est qu'une verbigération, un discours incohérent et continu, composé de phrases, de mots jetés pêle-mêle.. Véritable bouillie verbale.

Nous faisons ce que nous pouvons pour éviter qu'il s'éloigne seulement, qu'il se taise seulement, qu'il soit seul.. seulement.. qu'il soit ou devienne invisible et seul.. Son apragmatisme fait frissonner.. Souvent son esprit vagabonde, filant à la vitesse de la lumière dans la solitude glacée de son univers délirant intergalactique… Il pourrait me faire rêver, mais tout semble épais, gluant, terrifiant autour de lui.. La terreur se lit dans ses yeux qui parlent même si ses lèvres restent sans voix.. Sa pensée chaotique, véritable coup de tonnerre dans un ciel serein, le fait se lever, son corps scande, rythme, mime une danse serpentaire… Le regard brillant, rétréci, noir, profond, intense…

Mon étonnement viendra de Sylvain, un dimanche, un banal bonjour lancé :

- " bonjour Inga ".
- je me retourne " bonjour Sylvain ".

Banale formule de politesse, une banale poignée de mains pour marquer ce début de journée.

- " tu as une cigarette, après je prends un bain ".

Sylvain s'accroupit, le dos au mur, fume, le walkman sur les oreilles.. Tranquillement, il sent mon regard, me sourit, un vrai sourire éclaire sa face, lumineux, je me sens bizarre. J'ai besoin de m'éloigner pour comprendre, de faire, de m'occuper.. Consignes - café/clope - répartition du travail, je vaque à mon quotidien. Sylvain dans le couloir me regarde et chaque fois que le mien le croise, j'ai droit à un sourire. Renforçant mon malaise. Machinalement, quotidiennement, je fais le tour des chambres, réveillant à qui mieux-mieux tous ces gentils endormis. La chambre de Sylvain est vide, le lit est fait, je le hèle :

- " oui, Jean-Pierre "

Sylvain apparaît dans l'embrasure de la porte,

- " je te donne du change pour un bain "
- " oui Jean-Pierre "

Tranquillement il attend, je suis troublé, quelque chose a changé.. Tout d'un coup son calme m'exaspère, me gène, je l'observe, je le scrute.. Comme si je le découvrais.

Ce dimanche passera doucement, tranquillement, émaillé simplement par la présence humaine de Sylvain. Sa sérénité m'aura ébranlé, j'étais plus habitué à croiser Sylvain criant, gesticulant, hurlant à qui voulait bien l'entendre sa souffrance d'avoir deux têtes, son angoisse d'avoir du caca dans la tête, les serpents à lunettes, le perroquet, les soucoupes volantes, les paraboles, la fièvre, l'espace, la 5e dimension.

Je me souviens, il y a quelques semaines, le Dr BAILLON est venu nous trouver, nous soumettre un projet… Un passage à l'équipe de crise.. Outil inventé et élaboré par l'Unité Accueil Crise. Une rencontre proposée à un patient à un moment de son histoire.. Un passage, en reprenant les mots de Mr BAILLON, c'est simplement présenter quelqu'un (le patient qui souffre) à quelqu'un (soignant de l'autre unité). De parler de ce qui se passe maintenant et qui nous émeut, témoigner de la souffrance du patient.. Cette indication de passage prise par le Dr BAILLON pour Sylvain, se fera avec un autre soignant et Sylvain autour de moments clefs, perturbateurs, générateurs de comportements où il n'était plus sujet, mais un objet de sa propre souffrance.. Un simple voyeur..

Ces moments ? un changement de thérapeutique médicamenteuse.. mis sous LEPONEX, et la venue fin décembre 2000 de son petit frère Rémi, qui vient lui annoncer son mariage… Sylvain ne décolèrera plus.. Marchant, déambulant, tel un pantin, s'arrêtant pour menacer de son doigt, s'exposant à la vindicte des autres, se mettant hors de lui, le mot est faible, jusqu'au passage, jusqu'à ce banal dimanche de février… Banal ?, pas tant que ça, Sylvain et d'autres, chaque jour nous montre qu'il est urgent d'ETRE… Après il faut exister…

" Ce qui embellit le désert, c'est qu'il cache un puits quelque part.. "
St Exupéry.


Jean-Pierre

Infirmier de secteur psychiatrique
Journées de LARAGNE - Mars 2001



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