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Enveloppements

“  

Installez-vous confortablement.
Relâchez vos épaules,
Relâchez bien les bras sur le tapis,
Relâchez vos jambes qui ont tendance à s’ouvrir et à glisser à droite et à gauche.
Vos yeux se ferment doucement, tranquillement et vous commencez, avec les premières notes de la musique à pénétrer dans cet état très agréable de la relaxation.
 ”
Ouf  La séance a pu enfin commencer.
“ 
venez à la relaxation 
-    Oui, ma voisine de chambre m’en parlé. C’est après le goûter 
-    Oui, oui entre 17 h 30 et 18 h 30.
-    On fait quoi à la relaxation 
-    On essaie de se détendre en musique.
-    Moi, je viens de dormir, j’ai pas besoin de me relaxer.
-    T’as tort. Viens, tu verras, c’est sympa, ça fait du bien, on écoute de la musique, et puis il y a le massage. ”
On peut compter sur Anabelle pour faire de la publicité. Elle en a parlé à ses voisins de table, tout en buvant son café.
Dès 17 heures, quelques habitués et des nouveaux s’agglutinent dans le hall en attendant la séance. C’est le moment qu’attend Mme Cheveusurlasoupe pour faire son entrée, c’est l’instant que choisit Aline pour se taillader les veines, c’est le moment précis où le Dr. Combal a besoin d’une infirmière pour voir Mme Urgenceforcément en entretien. C’est incroyable comment tout semble se liguer certains jeudis pour nous empêcher de respecter l’horaire. On sent comme une montée en pression. Dans l’unité d’accueil le Provence, la tension grimpe en crescendo. Tout se passe comme s’il nous fallait payer un tribu au projet de détente qui nous anime. Le corps institutionnel met en scène son ambivalence
“  Laissez-vous glisser tout doucement dans cet état ... comme quelque chose de facile, de bon. Puis vous allez commencer à défaire dans votre corps toutes les sensations qui impliquent quelque chose de serré. ”
Et le Dr Combal qui explique, qui explique, Aline qu’on recoud, le téléphone qui sonne, c’est pas serrée qu’on est, c’est compressée.
Après, c’est la course.
Pousser toutes les chaises dans la salle de réunion/relaxation. Donner un coup de balai. Aller chercher les tapis, les couvertures, les matelas dans le cagibi qui pue, secouer ceux qui sont couverts de moutons Organiser le transport à la salle de relaxation au bout du couloir. Aller dans le vestiaire récupérer le poste, évidemment il n’a pas été remis à sa place. Récupérer la lampe de chevet. Tiens, il manque Robert. Aller chercher Robert sinon il va nous interrompre en plein milieu. Zut  J’ai oublié l’huile de massage. Le téléphone, mais que fait Dominique  C’est lui qui devait rester à l’accueil. Enfin dans la salle. Fermer la fenêtre, les rideaux, après pas avant pour installer la pénombre, préparer la séance. Qu’est-ce que c’est que ce souk  Alain a encore sévi. Il a posé les matelas en file indienne, collés les uns contre les autres. On ne peut pas circuler. Laurent s’est réfugié derrière la porte. Et si elle s’ouvre Boum  On réserve les matelas à ceux qui ont du mal à se relever.
Tout est en ordre 
“  Vous allez commencer à vous desserrer au niveau de la taille là où vous sentez l’élastique de votre pantalon. Laissez s’installer en vous une sensation de liberté, de légèreté. ”
On allume la lampe de chevet, on ferme les portes, on éteint les néons, on branche le poste. .. Ouf  enfin un peu de calme. Je peux enfin enlever mes chaussures. Je vérifie une dernière fois que chaque patient est confortablement installé et me laisse capter par l’ambiance. Je m’assied sur une couverture près de Franck dont c’est la première séance et qui me paraît tendu. On peut commencer.
“ vers les poignets, puis vers les chevilles, sentez à chaque fois comme un élastique qui se relâche, qui se desserre. Venez maintenant vers le pli de l’aine et là, vous laissez aussi s’aérer cette zone. 
Bonjour les odeurs 
Chaque fois c’est la même chose, je me demande qui a fabriqué ces inductions. C’est lourd, ça pèse, c’est d’un comique souvent involontaire. Quand l’auteur ne nous invite pas à desserrer les chakras  Ou à équilibrer son yin ou son yang.
Cette consigne verbale qui est censée soutenir, provoquer, mettre en forme, envelopper la personne en relaxation est tirée d’un texte “
dans l’eau tiède ”.
Nous sommes deux à animer ce groupe de relaxation, Nathalie et Marylène. Chacune a son histoire. Nathalie a besoin d’un support écrit pour s’adresser au groupe. En effet, sans papier, elle a la sensation de s’égarer, elle se laisse capter par les mouvements du groupe, elle en perd le fil de son induction. C’est la panique 
Je n’ai pas besoin de texte. Les yeux sur la feuille, je ne me sens pas avec le groupe, certaines phrases me perturbent, je me mets à la place des patients et de ce qu’ils pourraient ressentir dans leur corps à l’énoncé de ces séquences de phrases parfois morcelantes. Je ne peux plus observer ni réagir aux mouvements des corps. Le texte interfère. Je préfère improviser à partir de ce qui se joue, sur le moment, pour chacun et pour le groupe.
Nous sommes des héritières. Nous avons hérité de ce groupe il y a trois ans, lors du départ à la retraite de Frédérique l’infirmière relaxologue vacataire, qui ne venait dans l’unité que pour les séances. “
est prêt  ” disait-elle, agacée quand quelque chose troublait l’harmonie qu’elle imaginait. Elle ne connaissait pas les patients et ne participait en rien à la vie institutionnelle. C’était de la relaxation en l’air, de la relaxation pour la relaxation.
Un an avant ce départ, j’ai participé régulièrement aux séances. Dans un premier temps, j’étais un membre du groupe au même titre que les patients. Comme eux, j’étais allongée, je devais de la même façon exprimer mon ressenti, verbaliser. J’avais particulièrement apprécié les massages du cuir chevelu et du visage. J’avais fait l’expérience de cette sensation d’apaisement après la séance. Le cadre de l’activité était différent. Les séances avaient lieu le matin. Elles étaient parfois perturbées par la visite médicale. Soignants et soignés y participaient sous les inductions de Frédérique. Officiellement, les soignants y étaient pour assurer la transmission à l’équipe, mais la seule position possible était sur un tapis, ce qui n’est pas évident pour transmettre. Les soignants de l’unité préparaient la salle et les patients auxquels la séance était prescrite. Elle commençait par un massage actif d’échauffement. J’étais à ce moment là, amenée à masser le dos de mon voisin et lui à son tour me massait, me frottait le dos ce qui était assez inhabituel. Si nous soignants, nous touchons beaucoup, nous nous laissons rarement toucher par le patient. Ils osaient à peine. Même allongée au milieu d’eux j’étais une soignante. Et puis, c’était aussi parce qu’ils avaient des difficultés à aborder l’autre que j’étais près d’eux. Je les encourageais  “
énergique  C’est un échauffement. Allez y  Vous ne me briserez pas. ”
Après cet échauffement tout le monde s’allongeait, musique de fond, induction, massage simultané du visage, verbalisation, transmission écrite qu’elle faisait seule. Nos verbalisations ne pouvaient qu’avoir un aspect factice. Après la séance, les collègues me demandaient si je m’étais bien relaxée. Comme si au fond tout cela n’était que du plaisir dérobé sur le temps de travail. Frédérique commentait en me disant  “
t’es bien détendue, ça se voit  ” Etrange statut de cette relaxation. Comme un fruit défendu. Au début je me détendais, je jouais le jeu. Mais très vite, je ne me suis plus sentie à ma place et j’ai eu envie de participer plus activement. Comme si je m’étais sentie coupable de ce plaisir. Frédérique n’était pas enthousiaste. J’ai proposé de participer au massage, le nombre de patients était tellement important qu’il se faisait attendre et qu’il était bien bref. Elle a fini par accepter. Progressivement, j’ai eu le droit de faire les transmissions écrites. J’aurai aimé animer, ce qu’elle m’a proposé de faire au bout d’un certain temps, mais je n’ai jamais osé le faire tant qu’elle a été là. Cet échauffement a duré un an.
Nathalie, quant à elle, arrivée plus récemment dans l’unité n’a participé qu’à quelques séances en situation de relaxée dans ce cadre. Elle a découvert vraiment la relaxation avec Monique, l’infirmière de nuit qui était également relaxologue. Par quelles péripéties institutionnelles, deux relaxologues pouvaient-elles fonctionner en parallèle  L’une officielle, l’autre quasi clandestine. Que se jouait-il là dans le corps institutionnel, pour le coup morcelé  Nous ne le savons pas. Le jour ignorait la nuit et réciproquement.
Nathalie aussi, était en position allongée. Monique proposait des séances individuelles pour préparer certains patients à l’endormissement. Nathalie accompagnait une patiente dont elle était référente. Là encore se pose la question d’un soignant miroir. Là encore la question du transfert et celle du contre-transfert sont essentielles, mais pas analysées. Aucune des deux relaxologues ne prenait en compte la place singulière des deux soignantes dans le processus mis en œuvre. Comme si la relaxation était une technique tellement puissante qu’elle supposait un intermédiaire entre le patient et la relaxologue. C’est à Monique que nous devons les textes des inductions que nous utilisons. Les utiliser pour Nathalie, c’est “ naturel ”. Elles étaient la référence. Elle n’imaginait pas à ce moment là utiliser d’autres textes. Monique massait en utilisant des balles de tennis qu’elle promenait sur le corps. Nathalie ensuite a parfait sa formation à la relaxation par des séances d’inspiration analytique Sapir pendant deux ans à raison d’un week-end par mois.
Au départ de Frédérique, nous nous sommes retrouvées toutes les deux, chacune de notre côté, pour assurer seules, à tour de rôle, la continuité d’un groupe sérieusement remis en question par le reste de l’équipe. Notre seule base commune était alors les fameux textes donnés par Monique. Le fonctionnement des séances actuelles est le fruit de nos deux parcours et de ce que nous ont transmis les deux relaxologues. Comme si nous unifiions par nos séances et notre parcours le jour et la nuit, comme si nous rassemblions là deux tendances institutionnelles qui n’ont jamais été réellement travaillées.
“ 
Remontez vers la poitrine, laissez là se desserrer. Pour les femmes, sentez le particulièrement au niveau de la bretelle du soutien-gorge, sous les seins. Là aussi, laissez vous aller, sentez que tout se desserre petit à petit dans le corps. ”
Du côté de l’induction, ça ne s’arrange pas.
Tous sont immobiles et moi en mouvement. Peu importe le mouvement. Ils sont immobiles sur le sol, comme des dormants, la lumière est éteinte. Je suis une sorte de guetteur. Le gardien de leur tranquillité. “ Relaxez-vous braves gens, je veille sur vous. ”
Les fantômes de l’ombre sont là tapis, aux aguets, prêts à fondre sur vous. Oui, Isabelle, je sais que les araignées n’attendent qu’un relâchement pour s’emparer de vous. Je sais que vous dormez la lumière constamment allumée, et que là vous supportez la pénombre. Oui Laurent, cette voix qui vous hurle des insanités, on va essayer ensemble, vous, le groupe, moi de la mettre à distance. Je lis l’induction mais c’est ce qui est présent, pas trop loin à mon esprit.
Veiller, envelopper, rassurer, contenir, rassembler. Je suis en mouvement. Ils sont immobiles. Je ne perçois que leur corps. Mais qui sait de quel combat leur dedans est le théâtre ? Ils sont en mouvement, immobiles. Et je suis immobile, en mouvement ... vers eux, autour d’eux. Prêt à porter, supporter ces angoisses qui affleurent et à tenter de leur donner une forme.
De la musique avant toute chose.
D’abord, il y a la musique. Il faut une musique qui porte, qui accompagne, qui guide. C’est une musique classique douce. Mozart, La petite musique de nuit. Chopin, quelques Nocturnes. Nous partons d’une compilation  “
 ”. Je choisis souvent les mêmes musiques. La musique est un support. Elle contribue à l’atmosphère, à l’espace tonal. Je m’endors souvent avec de la musique classique. Elle appelle une certaine forme de silence. Nous avons cherché d’autres supports  les sons de la mer, de la musique répétitive. Il faut qu’il y ait du rythme. Il ne faut pas que ce soit monotone. Ca crispe. La musique classique, il y a des variations. Ca doit commencer calme. Les patients proposent parfois leur musique. C’est difficile pour leurs voisins de chambre qui ne différencient pas la musique qu’ils entendent quotidiennement de celle de la relaxation. La musique fait partie du cadre. Je l’entends. J’y pense. Je me fais la réflexion que telle ou telle musique correspondrait mieux au moment. Elle fait partie intégrante du décor. Elle enveloppe. Les patients s’y réfèrent souvent au moment où ils évoquent ce qu’ils ont ressenti pendant la séance. Elle les aide à penser, à exprimer leurs sensations.
Je suis la seule éveillée au milieu d’une forêt de corps assoupis. Comme une intruse. C’est le moment où je suis percutée par le contraste entre tout ce qui a précédé d’agitation et le calme de ce temps presque “
temps ”. J’ai la sensation d’être essoufflée. Et que cet essoufflement est perceptible, qu’il couvrirait presque la musique. Le temps nécessaire à retrouver ce calme m’apparaît quasi palpable. Et inconfortable. Comme quelque chose d’incongru Ca va trop vite. Comme si dans le temps de la séance j’organisais ma propre relaxation. “êtes confortablement installé ”. Avant d’énoncer cette phrase qui inaugure, il me faut avoir retrouver/trouver mon propre souffle. Il faut que je me sente confortable.
Je respire et je cherche mentalement ma voix. Je m’éloigne du poste pour éviter qu’il la parasite, pour m’entendre à la hauteur des patients allongés. Il faut être au diapason de la musique. Pas trop fort, pas trop bas. Trop aiguë la voix crispe. Il faut qu’elle soit posée, plus grave. Lente, calme et grave. Comme la voix des aimés qui se sont tues. L’induction pourrait commencer par “était une fois ”. Il était une fois le corps. Il était une fois un corps qui partait en morceaux. Toutes les histoires ne traitent-elles pas de cela. Notre rôle n’est il pas de mettre en forme cet indicible  Ce n’est pas avec n’importe quelle voix que l’on porte, que l’on supporte, que l’on apporte. Il s’agit d’ouvrir des portes.
“êtes confortablement installé ”. Au moment où j’énonce cette phrase, certains sont de guingois sur le tapis. Je m’approche pour rectifier une position. Sandrine, une adolescente psychotique, se met à plat ventre, à moitié hors du tapis. Elle doit avoir froid sur le sol carrelé. Elle pose cigarettes, briquet, sa trousse à maquillage, tous ses trésors en vrac devant elle, comme pour marquer un territoire. Elle s’étale, là. Comment pourrait-elle se relaxer dans cette position  Est-ce pour ne pas se relaxer qu’elle se pose ainsi sur le sol  Elle est comme le tas de vêtement qu’elle pose dans sa chambre et qui en déborde de partout. Un éducateur passe régulièrement pour l’aider à ranger sa chambre et les dits-vêtements. D’une certaine façon, nous faisons de même en relaxation, mais avec son corps. C’est dans ce capharnaüm qu’elle s’endort, comme si elle avait besoin de ce vrac pour trouver la relaxation, pour être bien.
Et moi-même, je ne suis pas encore installée dans la séance. Installez-vous confortablement. C’est une phrase pour nous. C’est un autre repère. Je commence à parler, je m’assois, sur la moquette là-bas, à côté de la musique. Je peux être à côté d’un patient, je bouge, je circule. Je ne suis pas réellement installée. Cette circulation permet de réajuster les positions. Alain, un patient atteint d’une psychose de l’enfance, apparaît quasi éléphantesque, pachidermique. Il déborde de partout. Son grand corps dont il ne sait jamais quoi faire lorsqu’il est debout ne réussit pas là non plus à être posé. Il y en a trop. Lui, malgré son mètre quatre-vingt quinze, ses cent trente kilos, c’est un petit garçon qui a peur du loup. Il est toujours à la merci d’un ogre prêt à le dévorer. Un tapis, pour lui, ce n’est pas assez. Il pourrait s’installer sur deux tapis. Non. Mais au moins, ne se plie-t-il pas en deux comme il le fait debout  Ses gestes stéréotypés de la mains sont abandonnés. Il est calme. Nos voix le portent, le rassurent. Jocelyne protège sa tête de ses bras comme en un geste de défense. Chacun a sa façon de s’installer inconfortablement. Comme s’il s’agissait de se défendre du laisser-aller. Nous sommes aussi en mouvement dans notre tête. Nous guettons, nous interprétons, nous mettons en forme.
Je dévide l’induction, mais je suis aux aguets. Constamment mes perceptions se superposent au texte, et induisent une façon de prononcer les phrases, de moduler les mots.
Laissez s’ouvrir vos épaules. J’ai dans la tête quelque chose de l’ordre du relâchement, du reposer. Ceux qui sont sur le ventre reposent leur tête sur leurs poignets. Les épaules sont fermées, tendues. La plupart sont sur le dos. Certains sont hypertendus, les épaules fermées, le cou rentré. D’autres lèvent la tête comme pour contrôler. Les épaules, c’est au tout début. On n’est pas encore nous-mêmes bien dedans.
Nous sommes toujours au début. Il faudrait avancer là. Mais, on peut pas. C’est comme ça. On déplie. On déplie nous aussi ce drôle de contenant qu’est une séance de relaxation. Cà prend du temps. Nous sommes en travail. C’est comme sur l’autoroute. Il n’y a plus qu’une voie pendant quelques kilomètres. Il faut ralentir. Mais c’est à ce prix, au prix de cette frustration que nous vous imposons et que nous nous imposons que nous pourrons continuer à avancer. Notre collègue Nathalie a dû interrompre la réflexion en cours pour des raisons de santé. Nous n’avons pas voulu avancer trop loin sans elle.
La relaxation dans notre unité s’adresse à tous les patients quelle que soit leur unité d’hospitalisation, sur indication de l’équipe soignante. Cette indication est décidée à l’issue de l’entretien d’accueil, en fonction du diagnostic infirmier posé et de la démarche de soin négociée avec le patient. En entretien d’accueil infirmier, nous proposons la relaxation à des patients qui nous semblent avoir des troubles de l’image du corps, pour les recentrer sur le corps, dans le but d’obtenir une détente chez des patients qui nous paraissent tendus, incapables de se laisser aller à ressentir des émotions. Mais, c’est aussi l’occasion qui fait le larron. On peut aussi venir parce qu’on a vu de la lumière ou plutôt de la pénombre.

Le lieu est la salle de réunion de l’unité ce qui montre bien que le relaxation est un outil de soin institutionnel même si l’institution s’en soucie peu. Elle se déroule le jeudi de 17 à 18 h30 voire au delà selon le nombre de participants. Nous avons choisi cet horaire car il correspond souvent à l’arrivée d’angoisses de fin d’après-midi et également parce que l’absence d’entretien médical à ce moment n’oblige pas les patients à un conflit de loyauté. Il y a huit patients au maximum.
La séance comprend trois temps 
-    un message/massage verbal (inductions visant à la reconnaissance et la détente du corps, aux visualisations, ...) s’adresse au groupe ;
-    un toucher individuel (massage) du corps avec des balles de tennis ou un massage du visage avec les mains induit un soin personnalisé au sein du groupe. Ce massage n’est pas codifié pour permettre au soignant de se laisser aller à son “ ” ;
-    un temps de verbalisation qui permet de faire retour au groupe, d’exprimer son ressenti, de le partager avec le groupe.
Une musique douce (de relaxation ou classique) accompagne la séance dans sa totalité.
Tout au long de l’année, la fréquentation de cette activité par les patients s’est révélée régulière et importante, le massage représentant la raison principale évoquée par les patients. Il constitue un moment relationnel particulièrement important. Le patient peut associer de nombreux éléments de sa vie émotionnelle à ce contact qu’il espère, attend, redoute voire subit ... en relation avec d’autres situations ou personnages de sa vie antérieure ou actuelle. “ 
C’est un geste doux, attentionné, sympathique ” dit un jeune patient psychotique qui n’a jamais connu de vie affective satisfaisante.
Il s’agit de l’activité qui a mobilisé le plus de patients en 1999. Le paradoxe est que notre durée moyenne de séjour est de quatorze jours. Il est possible d’y participer pratiquement dès l’entrée. Pour de nombreux patients, elle constitue la première intégration à la vie du groupe, le premier temps de travail sur soi. Elle reste parfois la seule activité à laquelle participe certains. Elle joue un très grand rôle dans l’apprivoisement réciproque entre soignants, soignés et collectif. Nous faisons l’hypothèse que ce travail de contenance du patient et du groupe, que cette tentative de mise en forme de ce qui broie le patient qui arrive en crise dans l’unité nous permet d’éviter le recours aux chambres d’isolement.
Pour conclure, nous reprendrons quelques phrases de Jean-Luc Nancy qui décrivent ce contre quoi nous ne cessons de buter  “ 
Le corps est cette étendue par laquelle je touche à tout, tout me touche et par ce contact même je suis séparé de tout. Le corps est ce qui me met dehors, au sens où le sujet est toujours hors de soi, c'est moi en tant qu'extériorité. C'est pourquoi les interprétations du corps en tant qu'intériorité ­ le corps parlant, sexué, signifiant, souffrant, etc. ­ m'ont toujours gêné. A force d'utiliser le corps comme support de toutes les significations, on court le risque de le perdre, car le corps est lui-même ce qui est en deçà de toute signification. Au contraire, il faut penser le corps comme extériorisation, une sorte “ du sujet, un mot de la biologie définissant certains animaux qui vivent grâce à un estomac extérieur. ”


Nathalie Couyère, Dominique Friard, Marylène Martin.
Infirmiers, Unité Le Provence.