Educateur(s) spécialisé(s) : que
fait-on du soin ?
L’évolution des politiques publiques, et les profondes transformations des secteurs médico-social et sanitaire qui sont pressenties, vont considérablement transformer les prises en charge de la souffrance psychique. Mais quelques soient les modifications du paysage de la santé mentale, les institutions du secteur continuent de confier le quotidien des personnes prises en charge aux éducateurs spécialisés ou aux infirmiers. La pratique des infirmiers psychiatriques est placée au cœur du soin et de l’accompagnement mais, la question de la participation des travailleurs sociaux au soin reste parfois à éclaircir.
Alors que dans le référentiel national des éducateurs spécialisés, la question du soin n’apparait pas, il apparait le terme de diagnostic éducatif… un diagnostic non médical ? un éducateur diagnosticien ?
L’importance du cadre d’intervention thérapeutique ne se traduit qu’au travers des références théoriques et des orientations professionnelles. Il y est pourtant question de relation, d’adaptation, de travail en équipe. Connaissant le travail sur le terrain en institution, peut-on penser que l’éducateur n’est pas concerné par le soin ?
Et c’est de ma place de jeune professionnel, encore emplie d’envies et parfois de naïveté, que l’on m’a demandé de partager mon point de vue sur la place de l’éducateur spécialisé dans l’articulation du soin.
Cela me semble important voire essentiel, et dans le souci de ne pas nuire à la personne accueillie, que l’éducateur spécialisé réalise la portée potentielle de ses interventions, que ce soit dans la relation à l’autre ou dans les activités de médiation mises en place. S’il s’autorise à questionner sa pratique, à prendre position et à collaborer au plus prés avec les équipes et partenaires du soin, il pourra ainsi prendre une place dans la thérapeutique. Cette place, il la détient déjà de facto, de part les missions des établissements, mais en pratique, il devra se positionner, s’interroger, afin d’être effectivement soignant. Que fait-on du soin ?
Quand on travaille dans une institution du type ITEP (Institution Thérapeutique, Educative et Pédagogique) ou IME (Institut Médico-Educatif), nous savons que l’une de nos missions institutionnelles est d’être soignant. Mais c’est un vrai choix éthique que de colorer nos actions au quotidien de cette envie et de ce souci constant de viser le soin. Dans nos formations professionnelles, nous apprenons à devenir des techniciens de la relation, de la médiation et de la conduite de projet, mais la dimension soignante de nos interventions n’est que rarement abordée, et encore, du bout des lèvres.
Peut-être est-ce aussi l’occasion pour moi, de témoigner de la bonne volonté et de l’implication de certains de cette belle profession dans des accompagnements que nous voulons bienveillants et adaptés aux troubles que présentent les personnes dont nous avons la charge. Ainsi, je vais mettre en avant les possibilités que nous offrent le travail en équipe dans ces institutions de soin et dans lesquelles il est difficile voire délicat de trop cloisonner nos interventions. Le sujet est pris dans des articulations complexes, et l’accompagnement doit le prendre en compte, si l’on souhaite qu’il soit soignant.
Très bientôt, la loi Bachelot va obliger les établissements du médico-social à faire appel aux médecins psychiatres au sein même de l’hôpital. Il en sera alors terminé dans la vie des institutions de la thérapie institutionnelle, des consultations en urgence, des synthèses ou des consultations avec les familles. Même si cela ne marquera pas l’arrêt du soin, cela va compliquer la chose. Il est alors essentiel de se saisir des moyens qu’il nous restera pour proposer un accompagnement de qualité et de conserver la dimension thérapeutique de nos prises en charge. L’éducateur se retrouve alors de plus en plus à défendre et participer au soin.
L’avantage de l’action de l’éducateur, est qu’elle n’a pas forcement besoin de l’adhésion de l’usager au soin ou de la présence du médecin dans les murs de l’institution, pour exister ou pour avoir des vertus thérapeutiques. Pour la personne accueillie, ce n’est pas comme accepter un traitement, une hospitalisation, ou une cure. Ce sera au travers les petites choses du quotidien, les activités proposées et le savoir-être de l’accompagnant que pourra se faire le soin.
C’est la personne qui a besoin de soin qui va rendre ce type d’accompagnement thérapeutique. En fonctions des individus, des sujets, de leurs troubles, l’éducateur spécialisé, qui connait les difficultés propres de la personne, va pouvoir adopter une posture, proposer un cadre et un savoir-faire qui pourront avoir des effets thérapeutiques. Ainsi les portées de ses actes éducatifs permettront de reprendre et continuer le cours de sa maturation psychique pour ainsi retrouver un mieux-être.
L’accompagnant éducatif vise à l’autonomie, favorise l’esprit critique et permet l’insertion et la socialisation. Pour atteindre ces objectifs, il faut parfois d’abord passer par le soin. (Soin au service de l’accompagnement). Mais ce sont des objectifs très pragmatiques. Quelle est la vraie priorité ? L’insertion? Le mieux-être? Le prendre soin? Qu’est ce qui fera le bonheur d’une personne, certes exclue mais avant tout en souffrance. Pouvoir vivre dans l’illusion d’être comme tout le monde ou aménager sa réalité pour qu’elle souffre le moins possible ?
Soigner demande du temps, s’inscrit dans la durée.
Dans le cadre d’une hospitalisation, l’usager va se
retrouver pris en charge par le secteur sanitaire pour répondre à une situation
de crise, une urgence. Ils l’apaiseront, chimiquement s’il le faut, puis le
laisseront partir. Peut-on considérer que cela soigne la personne ? En
tout cas cela participe au soin en permettant de marquer une étape dans l’accompagnement.
Une hospitalisation est un passage lourd de sens pour les familles, les
patients et pour l’institution. Ce choix médical permet souvent la
reconnaissance et l’acceptation des troubles, en tout cas du coté des
professionnels.
Si nous y regardons de plus prés, les outils dont disposent les éducateurs spécialisés dans leurs interventions, nous pouvons constater que certains sont l’apanage de professionnels reconnus ou désignés thérapeutes. Ainsi, la relation d’aide, l’écoute, le transfert, qui devient transfert éducatif dans les propos de Joseph Rouzel, ou le faire-avec, peuvent permettre de faire de nos accompagnements des éléments actifs dans l’élaboration et la mise en œuvre du projet de soin, et plus encore, dans la recherche du mieux-être de ces personnes en souffrance. Ainsi, l’éducateur, à l’instar d’un pivot de basket-ball qui nécessite une vue d’ensemble du jeu (du projet), se retrouve à la fois organisateur, passeur et « marqueur ». Mais il ne serait rien sans un bon entraineur (le médecin psychiatre) pour donner des orientations stratégiques (indications thérapeutiques), ou sans le reste de l’équipe (l’institution, les partenaires). Il se doit d’être attentif à la circulation, aux positionnements, aux changements de jeu, aux réactions de ses partenaires et à sa propre condition.
Etre à l'écoute et observer le déroulement du quotidien, est essentiel car il nous permet de repérer ce que l’autre nous adresse sans nous solliciter directement, ces signes qui disent « je vais mal », « j'ai besoin d'aide », « j’ai passé une bonne journée » ou « j’ai envie d’en parler ». Ainsi pour Freud, le quotidien a été un lieu d’observation privilégié. Pour lui, nos rêves, nos lapsus, nos mots d'esprit mais également nos gestes, ce qui bien souvent est considéré comme anodin, sont des voix d’expression de notre inconscient. « Celui qui a des yeux pour voir et des oreilles pour entendre, constate que les mortels ne peuvent cacher aucun secret. Celui dont les lèvres se taisent bavarde avec le bout des doigts, il se trahit par tous les pores. »[1] . L'ouvrage « psychopathologie de la vie quotidienne. Application de la psychanalyse à l'interprétation des actes de la vie quotidienne » écrit par Freud en 1922, témoigne bien de l'importance pour la psychanalyse d'être à l'écoute de ce quotidien qui permettra à l'autre de se dire via différents « symptômes ». Ainsi, en me référant à la psychanalyse, je retiendrai que ne pas être attentif au quotidien de l'autre, ou à l'autre dans son quotidien, c'est risquer de passer à cote de quelque chose.
Si le quotidien peut être un support pour l’ES dans sa participation au soin, il se retrouve aussi dans la possibilité d’ouvrir la porte au transfert.
Précisons, que les situations professionnelles où se manifeste une forme de transfert sont nombreuses ; Joseph Rouzel l’évoque (dans « le travail d’éducateur spécialisé »,Dunod, Paris, 1997) lorsqu’il affirme que : « dans un cadre autre que la cure, un enfant, un adolescent, un adulte, supposent à un éducateur un savoir, sur soi, sur la vie, sur le monde. Ils lui prêtent ce savoir, et c’est pourquoi, comme disent souvent les éducateurs « ça accroche ». Du fait de ce savoir supposé de l’autre, le sujet va, en paroles et en actes, transférer et adresser à l’éducateur les signifiants, les mots, les expressions, qui recouvrent et désignent cet objet précieux, que toute la théorie et la clinique analytiques désignent comme à jamais perdu ».
L’éducateur lorsqu’il est choisi, dispose peut-être alors de la possibilité de rejouer avec l’éduqué une partie de son histoire. Le fond de la question devient à ce moment de parvenir, non pas à copier le précédent, mais bel et bien de le réécrire.
J. Rouzel rajoute même que ce qui fait la spécialité de l’éducateur s’est sa compétence à mettre au travail des « aménagements favorisant le transfert ». Ces aménagements sont constitués par tous les tiers intervenant dans la relation.
J’ajouterai qu’il est important
qu’il y ait une réelle consistance dans la prise en
charge de la personne. L’inscription dans la durée, le bon passage
d’informations et les propositions d’orientations adaptées sont essentiels pour
chaque usager mais encore une fois ils prennent une importance particulière
avec des personnes psychotiques. Si l’on espère rapprocher la réalité de la
personne psychotique d’une certaine réalité sociale, afin de la voir en
capacité de s’inscrire socialement et d’exister en trouvant une place
singulière au milieu de tous, il faut lui proposer
des passages de relais progressifs, cohérents, et ne pas hésiter à prendre
le temps. Cela nécessite une vigilance de la part de l’éducateur référent, un
maintien du lien avec les partenaires de la prise en charge. Il faut indiquer à
la personne concernée que ce fil qui le relie au reste du monde est maintenue
et renforcé. Ainsi le psychotique sait ce qui fait lien, ce qui le fait exister
et peut alors trouver sa place.
Il est essentiel de ne pas
proposer qu’une seule intervention éducative. Elle ne proposerait que peu de
possibilités transférentielles et risquerait d’imposer un transfert massif et
total, ne permettant que peu de distance. Etre seul maitre à bord serait une
illusion et une grave erreur.
Travailler
avec le médecin psychiatre permet à l’éducateur spécialisé de prendre du recul.
Ainsi il pourra mettre à distance ce qu’il a reçu.
Faire appel aux compétences et à
l’expertise du médecin pour une tentative de compréhension du sujet. Ce qui
amène à une empathie suffisante pour proposer un aménagement pertinent du
quotidien. Ces allers-retours nous permettent des réajustements de
l’accompagnement.
Si les indications sont adressées
à l’usager, l’éducateur référent (le « vrai », celui qui a été
choisi) va en partie les mettre en place. Ainsi, il reçoit de la part du
médecin des pistes de travail à suivre afin de mener des actions éducatives
potentiellement thérapeutiques.
Cela suppose une confiance
nécessaire dans ce
spécialiste, ce médecin, ses orientations thérapeutiques comme ses méthodes. Il
faut bien reconnaitre celui qui est supposé savoir, lui accorder du crédit et
ne pas oublier que nous sommes liés par des objectifs communs clairement
identifiés dans les projets associatifs et institutionnels. Ainsi la mise en
place éventuelle d’une indication thérapeutique trouvera son sens dans la
cohérence et la cohésion dont nous ferons preuve dans la mise en œuvre de
l’accompagnement.
Mais il est parfois question de
positionnement contradictoire, de divergences d’opinion ou d’incompréhension.
Comment se débrouille alors l’éducateur avec ces indications, ce Savoir ?
Ces questions concernent notamment
le travail fait dans les réunions de synthèse. C’est là que va s’élaborer le
projet d’accompagnement qui sera issue des compromis trouvés entre chaque
professionnel. Un médecin peut-il lâcher sur sa position. Le compromis est-il vraiment
nécessaire ? Comment les professionnels, s’ils sont en désaccord avec les
propositions du projet, pourront mettre en œuvre et « porter » le
sens de cet accompagnement ? Il est peut-être alors question de priorités.
Mais la parole de chacun n’a peut-être pas la même valeur.
C’est en fait une interdépendance
qui va donner naissance à cette cohérence et cette cohésion caractéristiques du
travail interdisciplinaire.
La psychiatrie ne s’inscrit pas
dans une logique médicale classique. Le médecin, en institution, est garant du
soin mais ne détient pas une place hiérarchique qui pourrait lui permettre
d’imposer ses conclusions. Sa clinique dépend des observations que vont exposer
les autres professionnels, de la bonne conduite du projet thérapeutique et de
la compréhension suffisante de son positionnement pour une certaine
appropriation des orientations thérapeutiques. Pour cela le savoir du
psychiatre doit pouvoir se partager à minima dans un discours accessible et
adapté.
DUCLOS Romain, éducateur spécialisé