Je me rendis sur l'espace de vie du patient. Avec un accueillant psychosocial qui le connaissait bien, nous avons arpenté le quartier Saint Paul sans le trouver. Alors que nous regagnions notre véhicule, un groupe de trois sans domicile fixe (SDF) nous interpella pour nous signaler qu'il se trouvait dans une petite rue toute proche en nous demandant : " Faites quelque chose, il n'est pas bien ". Avant d'arriver sur place, nous avions préparé une stratégie : essayer de le ramener vers le soin (plus de traitement anticoagulant, etc), ne pas proposer l'hôpital d'emblée mais le convaincre de venir avec nous voir le médecin de l'Espace Solidarité Insertion (ESI) du SSP afin d'établir un examen clinique. Reprendre en équipe et avec lui, la raison de la " fugue " et chercher son adhésion en préparant tranquillement son retour si nécessaire dans le service de référence pour savoir si une hospitalisation restait utile ou bien qu'un suivi en ambulatoire pouvait être envisagé sur nos lits infirmiers.
Quoiqu'il en soit, à mon sens, il y avait une anxiété à travailler avec le patient : pourquoi ce départ de l'hôpital où il avait été opéré de son plein gré ?.
En pénétrant dans la ruelle, j'aperçus un groupe d'îlotiers entourant deux SDF, dont l'un hurlait brandissant une bouteille de " rouge ". Il était en position semi-assise dans un duvet. Je me suis alors présenté comme infirmier psychiatrique travaillant avec le SSP et lui ai dit que je venais " le voir " car les EMA s'inquiétaient pour lui. Le dialogue n'était pas facile car il était très alcoolisé. Il hurlait qu'il " n'était pas fou ". Il a alors soulevé son tee-shirt pour me montrer des agrafes me disant qu'il " crèverait dans la rue ", qu'il " n'avait plus confiance dans l'hôpital ", qu'il " en avait marre d'être trimballé de service en service " etc, le face à face était impossible, il dissimulait son regard sous la visière de sa casquette. Pour dialoguer, j'étais obligé de m'accroupir et de chercher son regard. J'ai arrêté volontairement de parler pendant un moment, et j'ai laissé l'accueillant psychosocial lui rappeler la confiance qu'il avait accordée jusqu'à présent dans le SSP. J'ai nommé ensuite sa souffrance en reprenant ce qu'il avait essayé de verbaliser par la démonstration des agrafes, etc. Je me suis engagé à l'accompagner au siège du SSP afin que nous puissions discuter ensemble, au calme, avec le médecin. Non sans mal, il a réussi à se lever avec notre aide, il a commencé ensuite à être provocant, urinant dans la rue, baissant son pantalon, faisant voir son sexe, etc. Il m'a attrapé violemment, il s'en est fallu de peu qu'il ne m'agresse physiquement. C'est alors que nous avons posé avec l'accueillant, un cadre plus formel, à savoir : le respect, l'intérêt que nous lui portions.
Devant le camion, il recommença à être de plus en plus agressif allant jusqu'à se jeter par terre. Nous réussîmes à le convaincre de monter mais j'ai pris la décision de l'orienter vers les urgences de l'hôpital Hôtel Dieu (dégrisement, examen clinique et prise en charge par le psychiatre). Je lui ai clairement expliqué les faits, pourquoi j'avais fait ce choix. Après maintes démarches, j'ai eu toutes les peines du monde à le faire admettre. Je suis donc resté un long moment avec lui en maintenant un contact téléphonique avec le médecin d'astreinte du SSP, pour un suivi de la situation avec l'équipe et une évaluation en vue d'une orientation ou non en lits infirmiers.
Après mon départ, j'étais partagé, allait-il fugué ou non ?
Le lendemain en arrivant au siège du SSP, Monsieur X était assis sur un banc dans le couloir et quand il me vit, il m'interpella (en se cachant sous sa casquette) " c'est bien vous Jean-Paul ? Je vous en ai fait voir hier ". Je lui ai alors proposé un rendez-vous pour le lendemain, ce qu'il a accepté. Lors du premier entretien, il fut agressif disant " de toute façon dans la rue, nous buvons tous " ce qu'il minimisait à mon sens. Je lui ai alors répondu que toutes les personnes vivant dans la rue, ne buvaient pas, que l'agressivité n'était peut être pas la seule réponse. Et de fil en aiguille, il a été demandeur d'entretiens, parlant de ses 5 ans d'abstinence, de ses différents contacts avec des psychiatres et des psychologues, etc.
A ce jour, il est toujours présent à l'hospice Saint Michel. Il adhère aux soins, j'envisage de l'accompagner au CPOA sur un moyen terme afin qu'il soit sectorisé et qu'il puisse rencontrer une équipe pluridisciplinaire.
Mais la prise en charge reste bien fragile, je lui ai donc proposé un " contrat de soins " auquel il adhère pour l'instant, comme le retour des permissions sans alcoolisation, la reprise en charge par lui-même, de ses démarches administratives, etc. Je pense que s'il repartait dans la rue, par le biais de VAD régulières, il me semble qu'on pourrait continuer à travailler la dimension psychologique et par la relation de confiance ré-établie avec l'institution, en cas de problème, une orientation se passerait mieux.