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BEBE BLUES

Un ventre rond ;
Des vagues dans cette rondeur qui font creux et bosses tel un passage du Cap Horn ;
Des moments de fous rires devant ce ballon bosselé ;
Adaptation du corps, adaptation du cœur.

Ensuite, comme il serait bon de se laisser glisser vers un accouchement tranquille et sans danger. La future maman, c'est vrai, est enveloppée dans un environnement aseptisé, avec des professionnels multiples qui la guident et la conseillent tout au long de ces neufs mois. Un peu sur des rails en somme. Au départ, il s'agit de choisir les bons rails, et il faut faire relativement vite, d'où parfois quelques rebondissements qui ne sont pas toujours très amusant.

Il faut s'inscrire dans la maternité d'où on ressortira un peu plus riche, un peu plus nombreux. Pour un moment aussi délicat, a-t-on vraiment le choix ?
Moi, je sais ce dont j'ai envie mais comment découvrir la maternité idéale, correspondant à mes désirs ?
D'ailleurs existe-t-elle ?

De déménagement en déménagement, la première clinique où j'ai accouché est bien loin maintenant.
Pourtant, elle m'avait plu. Je m'y suis sentie bien, entourée, aidée.
L'envie, malgré tout de recommencer l'expérience avec eux.

Premier rendez-vous avec le gynécologue-accoucheur.
Première surprise, mon vieux gynéco si rassurant, celui qui m'a suivi jusqu'alors est à la retraite : ça prend donc sa retraite un médecin !
Le suivant est jeune, au premier abord sympathique. Je me lance dans l'aventure. D'autant plus que j'ai retrouvé mes repères. L'infirmière qui m'accueille est là, toujours aussi souriante, se rappelant le nom de mes enfants et me donnant de ses nouvelles et des nouvelles de la clinique qui a peu changé.

Je trouve cela très encourageant qu'on se souvienne de moi, cela me rassure et me détend complètement.
Je ne suis ni un numéro ni une pathologie ni un ventre.
J'aime !

La visite est classique : tout va bien.
Le médecin me propose une liste d'examens à faire.
Pour une grossesse, il y a toujours une liste d'examens obligatoires mais ici, en plus sous la notion d'obligatoire, on y a rajouté le test du SIDA.

Effectivement, je suis pénible, mais militante depuis longtemps, je ne peux m'empêcher de lui dire que cet examen n'est en rien obligatoire. Il peut m'être conseillé ce que je peux comprendre d'ailleurs.

Visiblement cela ne lui plaît pas.
Un peu d'orage passe : inconscience, importance du test, ravage, bébé malade...
Cap Horn quand tu nous tiens !!!
Je vois défiler devant mes yeux tout ce qui va m'arriver, je n'ai plus qu'à me jeter dans la Marne ! J'essayais simplement de faire entendre que ce qui me choque c'est la notion d'obligatoire posée telle une vérité formelle.

Rien ne passe, je me sens mal à l'aise.
Mon ami prend la suite de la conversation, argumente de la même façon.
Je me sens toute petite dans mon coin, je ne voulais pas de guerre, je voulais simplement dire.....
Bon d'accord, il accepte qu'obligatoire soit exagéré mais en pratique, ce test là, il le faut : donc c'est de toute façon obligatoire, pourquoi ne pas dire que ça l'est.

Je me sens un peu embrouillée.
Mais résolument anti-test à ce moment là.
Je ne le ferai pas.
C'est vrai qu'avec du recul, cela me paraît un peu puéril mais j'assume.

Le dernier argument, nous laisse muets
"Il faut faire ce test, pour protéger les sages-femmes, car lorsque le test est positif elles prennent des gants".

Devant tant de bêtises j'explose. Au revoir Monsieur, au plaisir de ne pas vous revoir.
Ce test, c'est décidé, je ne le ferai pas. Je m'accroche à cette évidence. Je m'y enferre.
Je ne reviendrai pas !
D'accord mais où vais-je aller maintenant ?
Trouver un autre gynéco, une autre clinique et pourquoi pas l'hôpital. C'est tellement plus logique et rassurant l'hôpital.
Le temps presse, on choisit aux alentours, les dires des uns et des autres sont chaque fois à 50% positifs et à 50% négatifs : comment se faire une opinion avec cela ? Il n'y a pas de catalogues de maternité avec leurs services, leurs points forts et leurs points noirs et leurs techniques de soins. Donc, laissons le hasard faire son choix.

Le gynéco-accoucheur est sympathique, drôle et sérieux à la fois. Ici test conseillé mais pas obligatoire. Tout cela me convient !
Pour la clinique, c'est une des plus près de la maison. On verra pour le reste.

Ma montagne : ce sont les volcans d'Auvergne. Toute lisse, toute ronde avec la dépression du nombril au milieu.
Mes vagues s'intensifient.
Je te parle, tu m'entends.
On est bien ensemble.

La fin se gâte un peu. Quinze jours avant la date "prévue" de l'accouchement (1er décembre), le gynéco commence à trouver le temps long et parle d'accélération de travail, de rendez-vous pour accoucher.
Moi, je ne suis pas pressée, je me sens bien, très bien même.
Je ne veux pas accoucher sur rendez-vous.
De plus, je tiens à aller à une manifestation le 25 novembre, celle des femmes, avec toutes mes amies. Y passer ne serait-ce que 5 minutes pour dire que j'y étais.

Rendez-vous avec l'anesthésiste : pour le cas ou…
- Voulez-vous la péridurale ?
- Non ! Mais je fais l'examen, au cas ou !
- Vous avez rendez-vous quand pour accoucher ?
- Je n'ai pas de rendez-vous, c'est le bébé qui va décider.
- Ah ! Pour la péridurale, il me faut un rendez-vous, de toute façon votre gynéco vous donnera un rendez-vous.
- ....
- Pour le prix, c'est le double habituellement mais comme vous êtes du métier, je vous fais un prix, mais que cela reste entre nous.
- ...

Je pars du bureau le plus rapidement possible, une fuite même. Un peu écœurée. Qu'est ce qu'ils m'ennuient tous avec un rendez-vous, et le plaisir de la surprise, de l'envie du bébé et du mien...

Dernière visite chez le gynéco.
Rendez-vous lundi ! On provoquera l'accouchement.
Vraiment, mon avis, ne sers donc à rien !

Le 24 novembre, je téléphone à Nelly, je pense que je n'irai pas demain et je lui demande de crier pour moi à la manifestation. Elle est d'accord.
- Puisque tu ne viens pas, fais-nous le plaisir d'accoucher demain, au moment où la manifestation démarre.

Elle démarre à 14 heures.

Je rentre à la clinique à 14 heures.
Je vois le nez de mon bébé à 18 heures.
Zut ! J'ai du retard.

Le cordon est coupé.
A peine le temps de la voir, que déjà elle est partie ma petite nana enlevée par des mains expertes mais inconnues.
Elle est déjà à la Toilette-aspiration-désinfection. Un mur nous sépare déjà.
Sa première toilette, tout en technique, y a t'il un peu de tendresse au moins...

Pour ma première fille, j'avais eu le temps de la voir, de la toucher, de l'embrasser. Elle était restée sur mon ventre longtemps, toute douce, toute chaude. C'est une chaleur particulière celle du nouveau-né, une chaleur qu'on ne peut pas oublier car c'est un partage entre les deux corps, chacun donnant et prenant de l'autre sa puissance. On donne encore un peu de sa vie à ce moment là. Déjà au XVIIIème siècle, en Languedoc on remettait près de sa mère l'enfant qui venait de naître pour ne pas l'éloigner de la chaleur d'où il était censé renaître. On l'enveloppait auparavant dans une chemise appartenant à son père pour que celui ci ne soit pas absent de cet instant.

Pour ma deuxième fille c'est bien différent !
Elle est loin derrière le mur en face de moi.
Je ne connais ni sa chaleur, ni son odeur et je l'ai même si peu vue que je me sens frustrée.

On m'emmène dans une chambre : Quatre lits, 3 autres mamans, 3 autres bébés.
J'ai mal partout.
Elle ne reviendra pas ce soir, elle a froid, elle a été mise en couveuse pour qu'elle se réchauffe. La couveuse est un appareil programmable pour que la chaleur, l'oxygène et l'humidité soient en degré constant… difficile de lutter contre elle, mon corps n'a pas tous les accessoires pour rivaliser !

C'est samedi soir, la télévision est branchée, sur la première je crois. C'est nul, c'est déprimant. J'ai sommeil mais c'est une vraie ruche ici.

L'infirmière de nuit passe :
- ça va
- j'ai envie d'aller aux toilettes
- pas le droit de vous lever
- C'est que j'ai envie quand même
- je vous apporterai le bassin. Prenez ces comprimés pour la nuit
- bien, c'est quoi ?
- c'est pour la douleur et pour dormir
- oui, mais c'est quoi ?
- pour la douleur c'est la gélule, pour dormir le gros blanc
- oui, mais c'est quoi leurs noms ?
- c'est pas leurs noms qui vous feront dormir
Ce n'est pas faux, certes, mais c'est agaçant !
Relation de quoi vous avez dit ?
Ils resteront sur la table de nuit.

Ma voisine s'endort devant la télévision, qu'on ne vienne pas me dire que la 1ère est passionnante.
A deux heures du matin, je n'en peux plus, je me lève pour aller aux toilettes.
J'ai bien du mettre 20 minutes pour pouvoir en revenir tellement la tête tourne.

Le soleil se lève, j'ai peu dormi, mes voisines non plus d'ailleurs, les bébés se réveillent chacun à une heure différente !

Vers 8 heures, ça y est, j'ai mon bébé. J'avais peur de ne pas le reconnaître tellement je l'avais peu vu hier. En fait, je ne l'ai pas reconnue, je savais que c'était elle, je le sentais mais je faisais connaissance seulement maintenant avec elle.
Tout a déjà été écrit sur ces instants là, tout, et pourtant tout est encore à écrire...

Pour l'instant, c'est moi et elle et j'en profite.

Premiers soins, premiers bains, ici c'est le personnel qui s'en occupe. Je demande à assister à sa toilette, en fait ce sera le dernier jour avant la sortie.
On vient nous chercher toutes les deux, mon bébé dort. Réveil un peu musclé pour une toilette minutée : déshabillage avec les conseils qui vont avec, savonnage et rinçage en technique, le rinçage se fait sous le jet d'eau du lavabo, séchage vigoureux, soins au cordon, on montre à la maman, habillage. Le bébé hurle mais c'est normal : c'est une tonique.
Retour à la chambre.

Pour ma première fille aidée d'une puéricultrice, dès le premier jour on pouvait si on le désirait participer à la toilette de son bébé. A la sortie, on est seule, et pour conjurer quelques petites angoisses, ce n'est pas si mal d'avoir essayé avant, sous des yeux experts.
Ce premier bain, sorte de retour aux eaux maternelles qui l'ont bercé, va être préparé comme un cérémonial. La salle de bain est attenante à la chambre . Un petite baignoire à hauteur calculée pour le dos des mamans, l'eau est un tout petit peu au dessus de 37°. On parle à mi-voix, j'ai l'impression de partager un mystère d'une grande importance et je suis très émue. Le bébé est déshabillé pas toujours très adroitement, j'ai le souvenir d'une certaine appréhension, peur de faire mal, de casser...
J'enveloppe le bébé dans mes bras, le gauche dessous, la main sous les fesses, le bras tenant son dos et son épaule, la droite par dessus en arrondie qui soutient la tête et l'autre épaule. Je le porte au dessus de l'eau puis très lentement, on s'enfonce tout les deux dans l'élément liquide. La pesanteur diminue, le bébé n'a pas l'air surpris, son corps se détend totalement. Mes mains ne servent plus à grand chose, la gauche laisse libre le petit corps et vient prendre la place de la droite pour tenir la tête. Et pendant un long moment, mon bébé va barboter, au rythme de l'eau. Ses yeux, très noirs, profonds vont s'ouvrir, on se noie toutes les deux dans un amour sans fin. Puis l'eau rafraîchissant, un léger rappel à l'ordre de la puéricultrice nous font revenir à la réalité. Un lavage léger avec un produit qui sent la sauge, une caresse douce sur tout le corps, je te visite. Puis c'est la sortie de l'eau, pas trop vite pour que la pesanteur ne soit pas trop dure à supporter. Enveloppement dans une serviette chauffée sur le radiateur. J'apprends à te sécher, il faut vérifier les recoins, les fentes, les creux, j'ai l'impression de faire un inventaire. Tout est là, en place, seul le cordon ou plutôt ce qu'il en reste garde la trace de ton passage de moi à toi. La puéricultrice me donne la bouteille de parfum, une friction pour l'énergie et je t'habille. Tu "sens bon". Tu sens la sauge, le parfum, l'odeur des vêtements.
Il me semble pourtant qu'hier en te tenant dans mes bras, tu avais autre odeur, la tienne. Dans l'ère hygiéniste, l'odeur doit être parfum, sinon elle devient tabou.

Mon meilleur souvenir, ma meilleure aide est venue d'une femme africaine qui était dans ma chambre, elle ne possédait aucun terme technique mais elle avait La Technique. Elle tenait son enfant, elle le roulait dans ses mains, sur son corps, le caressait, j'ai imité et je crois que c'était la meilleure école...

La journée du dimanche est difficile, je suis épuisée. Les visites se relaient dans la chambre : 4 mamans et autant de bébés, cela fait vite une pleine chambre de visiteurs.
La température de la chambre monte, les bébés pleurent.
Dure journée pour tous.
La nuit arrive, bienfaisante. Tout le monde est parti, restent les bébés énervés de leur journée. Ils pleurent, gémissent, n'arrivent pas à trouver le sommeil.
L'infirmière de nuit arrive, la même qu'hier.
Toujours les mêmes comprimés sans noms, tant pis, ils ont la table de nuit comme terre d'accueil...

Ma voisine d'en face qui est toute jeune avec son premier bébé s'inquiète de ses pleurs incessants. Elle l'a pris dans ses bras et se fait réprimander par l'infirmière.
- il faut le laisser pleurer, CA fait des caprices les bébés, si vous l'habituez à le prendre dans vos bras, vous n'avez pas fini... Enfin, c'est vous qui voyez...

Des caprices ! un bébé de deux jours ! Il faudra que je relise mes bouquins de pédiatrie, j'ai du sauter des pages…

Bien sûr, il y a eu aussi des soignants extraordinaires qui prenaient le temps de parler, qui prenait le temps de nous dire que de toute façon, ce qu'on faisait c'était de l'amour et que cet amour là n'avait pas besoin de technique, qu'il s'adaptait à nous et à notre bébé. Petite parole et grands effets...

Ces soignants attentifs à la fatigue, attentifs à ces instants de découverte de ce petit être que l'on a porté pendant neuf mois, attentifs également à ne pas envahir nos moments d'intimité.

Parce qu'après tout qu'est ce que j'attendais d'un soignant, si ce n'est qu'il me prenne pour une personne et non pas comme un malade privé de toute intelligence par le seul fait d'être en pyjama dans un lit. Il est évident que ce n'est pas le nom du médicament qui m'ôtera la douleur mais pourquoi est-ce si difficile à avouer un nom de médicament ?

Les soins somatiques sont aussi une façon marquante d'entrer en contact avec le professionnel en blanc. Que ceux ci soient faits avec dextérité, et surtout douceur pour éviter la souffrance et déjà ce soignant là est autre chose qu'une blouse blanche. Quoi de plus déplaisant quand on me fait un soin de me répondre que ce n'est pas douloureux alors que je sens bien que la douleur est présente. N'est ce pas là une façon magistrale de nier l'autre. Quand bien même si dans l'absolu des livres ou des expériences, le soignant croit savoir que ce soin est plutôt bien supporté habituellement, que peut-il savoir sur le degré de réponse à la souffrance du patient qui est là.
Il me semble que les soins sont également un temps pour parler, non pas du temps (bien que cela soit aussi possible !) Mais de ce que nous ressentons des soins, de ce qui nous arrive. C'est aussi un moment d'échange de conseils même si, d'ailleurs ils ne sont pas tous suivis...
L'important est ailleurs !

Je ne crois pas que la demande posée à un soignant est de Savoir ce que nous ne comprenons pas, nous lui demandons de faire un bout de chemin avec nous, de nous aider parfois à supporter l'insupportable, de nous donner la chaleur qui nous manque pour que nos pas soient plus légers, de nous regarder comme un humain en souffrance ou en espérance, mais de nous regarder vraiment...
Il est vrai que parfois aussi, nous lui demandons de ne pas parler, mais simplement d'exister à nos côtés et en retour que nous existions à ses côtés...

A.Marie Leyreloup

2000


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