Pathologie de la Pelade
et incidences psychiques
En passant du somatique au
psychique, nombre de catégories sont répertoriées, dans le classement des
pathologies. La plupart sont clairement identifiées comme ayant une étiologie
somatique ou, comme étant d’origine psychique.
Quelques autres sont classées
dans la catégorie des maladies psychosomatiques et la tentation a existé et
existe peut-être encore, d’identifier dans ce registre les pathologies, face
auxquelles existe une certaine perplexité médico/scientifique.
Idées
préconçues
La maladie de la pelade, qui se
caractérise notamment par une atteinte plus ou moins importante du système
pileux, est à ce sujet, encore souvent identifiée par nombre de soignants
perplexes, comme étant une pathologie psychosomatique.
Le nombre limité de patients
souffrant de cette pathologie pourrait faire, que cette maladie soit répertoriée
dans les maladies orphelines. Plus largement, le drame des pathologies orphelines,
est qu’elles ne bénéficient que de peu de moyens matériels et humains, en
termes de recherche scientifique.
Compte tenu de la rareté de ces
maladies dont ils sont victimes et trop souvent de l’absence d’une thérapeutique
efficace, les patients souffrent moralement d’autant plus, qu’ils se sentent
parfois abandonnés, des préoccupations premières du système de soins.
Il y aussi, que la démarche
thérapeutique va ensuite être orientée en fonction de l’idée que le soignant se
fait de la maladie en cours, notamment en ce qui concerne le soutien
psychologique à apporter aux patients.
Il peut être à ce sujet
préjudiciable, possiblement dangereux, de méconnaître la pathologie somatique
dont est victime le patient, en demande de soutien psychologique. Cette méconnaissance
est susceptible de mon point de vue, d’ajouter de la souffrance à la
souffrance, de part une mauvaise orientation du travail
psychothérapeutique engagé.
La pathologie de la pelade
En guise de repère, les études
montrent qu’environ 120.000 personnes ont été touchées par cette maladie en
2007, tant des enfants que des adultes.
Il s’agit d’une maladie
inflammatoire chronique qui touche les follicules pileux et se manifeste par
une perte des poils, sans que les racines des cheveux ne soient définitivement
affectées.
On considère que la pelade est
une maladie auto-immune, l’organisme considérant ses propres cellules comme
étrangères.
Il a par ailleurs été observé
des chutes de cheveux après des épisodes de stress, mais les études menées, ne
mettent pas en évidence de facteurs psychologiques à l’origine de la pelade.
Au-delà d’effets secondaires
encombrants, les traitements, variés, ne sont pas toujours efficaces et ne
parviennent pas forcément à prévenir des récidives.
·
Pour plus d’informations au sujet de cette pathologie spécifique,
il y a sur la toile, de nombreux sites spécialisés, qui évoquent cette maladie.
La pelade qui peut aller jusqu’à
une disparition totale de la pilosité n’est pas en soi une maladie ayant un
caractère vital mais, cette affection récidivante est susceptible de perturber
sérieusement et psychologiquement le sujet qui en est victime.
Pelade et Image de Soi
On comprend aisément combien le
changement de l’apparence physique, vient modifier et perturber l’image de soi,
nécessitant une adaptation parfois difficile.
L’importance et la gravité du
trouble psychique induit, sera fonction de l’âge du patient, de son
identité sexuée, de sa capacité de résilience et de l’aide variable de
l’entourage.
Ainsi, les incidences morales seront
moindres chez un homme d’un certain âge et peuvent au contraire être
gravissimes chez un enfant et/ou un adolescent.
Elles seront généralement plus
difficiles à gérer pour une femme, que pour un homme.
Le facteur culturel rentre ici
en ligne de compte, dans le sens où il est courant dans notre société de
rencontrer des hommes aux crânes rasés à l’aspect empreint de sagesse, ce qui
est moins courant chez une femme et vécu différemment.
Mais une femme mettra plus
aisément et si nécessaire une perruque, contrairement aux enfants et
adolescent(e)s pour qui, cet artifice n’est pas naturel.
En d’autres termes, notamment au
sujet de la pelade dite décalvante, au cours de laquelle la totalité des poils
et cheveux tombent, la souffrance psychique peut être majeure. Il est à noter
et c’est grandement dommage, que trop peu de dermatologistes conseillent aux
patients de consulter auprès de soignants du psychisme, en complément des soins
de la pelade, qui ne sont pas dans leur grande majorité, sans effets
secondaires fâcheux, ou inopérants.
En d’autres termes, les patients
vont dans la majorité des cas faire la démarche par eux-mêmes, mais une
minorité ose franchir le pas, ce qui met aussi en évidence les difficultés des
liens entre spécialistes.
Pelade, enfance et adolescence
Les enfants victimes de cette
pathologie font la plupart du temps, l’objet d’un rejet par mise à distance,
d’une curiosité malsaine, ou sont l’objet de moqueries, voir d’agression, de
part notamment leur différence.
Il arrive aussi à l’inverse, que
des enfants ou adolescents nouent avec le patient des liens à visée
protectrice.
On peut en tout cas dire, que le
crâne lisse d’un enfant ne laisse pas indifférent et qu’il est aussi parfois et
pour les autres, pas forcément aisé de se positionner.
Un minimum de pédagogie est souvent
souhaitable, notamment quand sont observées des comportements persécuteurs.
L’enfant ou l’adolescent
concerné aimerait la plupart du temps, passer inaperçu, ressembler aux autres,
ou bien, que son individualité soit repérée de manière autre et plus
satisfaisante. Certains d’entre eux, tendent parfois à compenser la situation
qu’ils subissent, par un travail intellectuel acharné, pour tenter de faire
oublier qu’ils ne sont pas que d’apparents mutants, pour nourrir aussi
positivement, l’image qu’ils ont d’eux-mêmes.
Ces enfants et adolescents là,
sont souvent contraints à une gymnastique psychique et intellectuelle, qui
épuise parfois les énergies.
La situation est encore plus
complexe pour les filles pré adolescentes ou adolescentes, confrontées
quotidiennement à l’image des copines, en train de devenir des femmes.
Certaines ont déjà connu des
amourettes qui les revalorisent et les rassurent quant à leur image. Pendant ce
temps, en apparence au moins, la jeune fille au crâne lisse, se révèle être peu
attirante et à l’air asexuée, voir, évoque
la tête d’un garçon.
La patiente confrontée à ce type
de phénomène est susceptible alors de déprimer ou pour se protéger, est dans le
déni d’une sexualité adolescente naissante, ou bien dans l’évitement, qui fait
que son champ relationnel se rétrécit, allant parfois jusqu’à l’enfermement sur
soi.
Le cas de Camille
Agée de 13 ans, Camille est
victime d’une pelade décalvante depuis l’âge de 8 ans.
Ses parents l’ont évidemment
amenée consulter plusieurs spécialistes à maintes reprises, mais aucun
traitement n’a pu venir à bout de sa pathologie, qui au fil du temps même,
s’est aggravée, au point où elle n’a plus à présent aucun cheveu, aucun
artifice pileux.
Le dermatologue qu’elle
rencontre régulièrement en est arrivé à lui conseiller, d’une manière qui lui
paraît détachée, de s’exposer régulièrement au soleil.
Camille et sa famille
entretiennent l’espoir d’un miracle : il paraît que des pathologies de ce
type, ont parfois guéri de manière spontanée, plus particulièrement au moment
de l’adolescence.
Camille a essayé différentes
approches thérapeutiques, dont certaines étaient difficilement supportables, du
fait notamment des effets secondaires. Des soins par acupuncture ont semblé un
moment avoir des résultats, qui n’ont été finalement, que très limités et
transitoires.
Tant Camille que sa famille,
sont parfois à l’affût d’un fragile poil susceptible de pousser, qui viendrait
nourrir leur espoir de guérison.
Dans le même temps pourtant,
Camille dit s’être habituée à son aspect esthétique particulier, qui fait à
présent partie de son identité parmi les autres, et dont elle ne saurait plus
se défaire. En fait, sa pensée navigue entre espoir de retrouver ses cheveux
blonds originels et une acclimatation forcée à sa situation.
Peut-être pour ne pas moralement
sombrée, elle a repéré des bénéfices secondaires à son état : elle a un
cercle d’amis protecteurs, en cas de coup dur. Elle a trouvé un certain
équilibre, mais elle craint que celui-ci puisse être à la moindre occasion,
remis en cause, d’où une certaine anxiété qu’elle parvient malgré tout, plus ou
moins à gérer.
Elle n’envisage aucunement de nouer une
relation amoureuse dans un temps plus ou moins lointain. Elle a plutôt tendance
à imaginer qu’elle vivra seule et entourée d’animaux.
Camille n’envisage pas de porter,
au moins dans l’immédiat, une perruque, qui transformerait certes son apparence
mais susciterait, encore, de multiples questionnements et commentaires autour
d’elle.
Peut-être ferait-elle alors plus
fille, car lorsqu’on s’adresse à elle, il faut faire un effort sur soi, pour ne
pas la confondre avec un garçon.
Elle insiste beaucoup pour dire
qu’elle parvient à faire avec sa situation qui fait à présent partie d’elle et
à laquelle, elle s’est habituée. Pourtant, dans ses rêves les plus chers, elle
entretient presque secrètement l’espoir de retrouver ses cheveux. Ce secret
espoir est entretenu comme un vœu, qu’on ne divulgue pas, peut-être par
superstition, pour qu’il soit peut-être susceptible de se réaliser. Pourtant,
s’il se réalisait, il ne serait pas non plus aisé de s’y adapter.
Camille navigue entre espoir et
désespoir, sans oser y croire tout en espérant.
La maman se dit malheureuse de
la situation de sa fille, que Camille par ses dires et ses attitudes tente de
rassurer.
La maman a honte pour Camille et
pour elle-même, vit la pathologie de son enfant comme une plaie à vif, qui n’a
de cesse de saigner. Elle se torture l’esprit en questionnements incessants,
cherchant à en comprendre l’étiologie, tentant d’identifier dans leur histoire
de vie, des éléments traumatiques sur le plan psychique : en cherchant
bien, on trouve toujours !
Elle est insatisfaite des explications données
par le dermatologue ou en tout cas, ne parvient pas à les assimiler. Il semble
qu’il y ait eu dans le passé du côté de la famille maternelle, des antécédents
de ce type. L’évocation de cet élément met possiblement le doigt sur une
culpabilité sous jacente.
La part d’hérédité en tant que
terrain propice à l’apparition de ce type de pathologie, n’est pas négligeable
en la matière.
La maman est dans le
« faire », met souvent la pression à sa fille pour qu’elle porte une
perruque, ne comprenant pas les liens particuliers avec l’image d’elle-même,
que Camille a tissé dans le temps.
Tantôt cette maman cherche à lui
imposer sa propre volonté, tantôt elle baisse les bras et n’a plus le moral et
se sent psychiquement fatiguée : elle s’est épuisée au fil du temps.
On peut en tout cas dire, qu’elle aussi est en
souffrance et qu’elle se fait un devoir de porter une partie de la souffrance
psychique de sa fille.
Camille se sent dans
l’obligation de rassurer régulièrement sa maman et d’être la pseudo-soignante
d’une dépression aux humeurs variables, qui ne dit pas nom.
Le symptôme de Camille est
devenu au fil du temps, le porteur symbolique de la souffrance psychique
maternelle, sans être explicitement nommé comme tel. Ce faisant et cramponnée à
cette idée, cette maman refuse de regarder de plus près sa propre histoire de
vie, qu’elle rechigne à évoquer. Camille est devenue la porteuse visible et
aisément identifiable des souffrances de cette maman.
Le papa est en apparence au
moins, parvenu à prendre une distance émotionnelle plus conséquente. Il admet
volontiers lui aussi, avoir des soucis et des variations d’humeur, mais les met
en lien avec un contexte de travail, difficile à supporter.
Ses variations d’humeur
l’amènent parfois à devenir agressif avec Camille, voir à la rejeter, un peu
comme s’il ne voulait plus voir face à lui, ce crâne lisse et blanc, qui n’a
rien de naturel.
L’état de sa fille le taraude
cependant et il exprime ses inquiétudes par une colère virulente, contre le
système de soins, qui ne parvient pas à guérir sa fille et qui selon lui, les
laisse livrer à eux-mêmes et ne donne que des explications évasives et
insuffisantes.
On remarque de tout cela que
cette pathologie n’est pas sans incidences douloureuses chez le patient lui-même
mais aussi, pour l’entourage.
Observation
Dans un contexte sociétal qui tend
à restreindre les dépenses de santé, le risque existe pour les patients
atteints de pathologies particulières ou orphelines, d’être encore plus, dans
des difficultés chroniques, qui laminent les psychismes.
Ils ne savent plus bien souvent,
après de multiples démarches, à quelle porte encore sonner et comme on l’a vu,
naviguent d’espoir en désespoir.
Ils ne sont pas toujours près à
faire une démarche auprès d’un psychothérapeute, qui se rajoute encore aux
contraintes liées aux soins de la maladie.
Les spécialistes observent la
pathologie par le petit bout de leur lorgnette et ne pensent naturellement pas,
à signifier l’intérêt du soutien psychique ou pour certains, y sont opposés.
Les soignants du psychisme sont
dans certaines de ces situations, associés à l’ensemble du système de soin,
dans son incapacité à répondre à la demande.
L’alliance thérapeutique ne peut
alors se faire, qu’en passant par l’écoute des plaintes dirigées contre les
représentants du système de soins, dont nous sommes. Il convient en la matière,
d’accepter la colère du désespoir, d’être à l’écoute de la souffrance liée aux
soins, avant de s’interroger avec le patient, autour des incidences de sa
pathologie.
Il convient aussi, de ne pas
entretenir un espoir qui serait un leurre en termes de guérison, tout en
demeurant avec le patient dans un accompagnement, ouvert aux avancées
thérapeutiques éventuelles.
La prise en compte des représentations de
l’entourage est aussi un des facteurs essentiels, lorsqu’il s’agit de viser à un
certain apaisement.
La dimension de l’image de soi
et ses représentations prend une importance capitale au moment de l’adolescence
et l’aspect esthétique en fait évidemment partie. Il convient là, de se situer
dans un accompagnement qui ne dit pas, ce qui nous paraît être le mieux à vivre
pour le patient. Il est en effet parfois, pour un adolescent, beaucoup plus
traumatique de porter une perruque que de parvenir à s’affirmer dans sa
particularité.
La question de l’identité
sexuée, parfois, comme nous l’avons vu, vécue dans le déni, ne doit pas non
plus et de mon point de vue, être laissée de côté. Mais cette question touchant
à l’intime est souvent douloureuse chez ces patients, et nécessite dans le
temps, une confiance et une connaissance de l’autre assurées.
Conclusion
Ces patients de par leur aspect,
donnent parfois l’impression d’être des mutants, suscitant des interrogations,
étant rebutant pour certains, mais aussi et quelque part, fascinants pour
d’autres.
Ils suscitent autant le rejet
que la compassion, mais ce qui est souvent blessant à vivre pour eux, ce sont
la curiosité et les regards.
On peut en tout cas dire que ces
patients et plus particulièrement lorsqu’ils sont enfants ou adolescents, ne
laissent pas indifférents.
Comme dans nombre de situations
auxquelles nous sommes confrontés en tant que soignants, le risque existe avec
eux, de vouloir trop en faire, de chercher des remèdes innovants, de sortir du
cadre de la neutralité, de prendre parti, tant ils suscitent pour la plupart,
une empathie certaine.
La présence à ce qui se passe en
nous-mêmes en tant que soignants mais aussi en tant qu’être, dans la relation
aux patients atteints de cette pathologie si particulière, me paraît être un
outil thérapeutique essentiel à prendre impérativement en compte.
Le
23/07/2009 - Héno.J (ISP)