Parmi la population de patients usagers de drogues que nous sommes amenés à suivre dans le cadre des programmes de substitution, les femmes enceintes présentent des spécificités psychologiques et physiologiques qui nécessitent de formaliser la prise en charge de la grossesse, de l'accouchement et du suivi du nouveau né. Les modalités du sevrage de l'enfant aux opiacés doivent faire l'objet d'un protocole.
Dans ce cadre, les Services de Pédiatrie, de Maternité et le Centre Spécialisé de Soins aux Toxicomanes de l'Hôpital de Grasse ont décidé de se rapprocher afin de mettre sur pied une attitude commune et de tenir un discours cohérent afin de prévenir les risques liés à la dépendance de la mère et de l'enfant aux produits opiacés et surtout de ne pas hypothéquer l'avenir de la relation mère-enfant.
INTRODUCTION
Les femmes enceintes sous substitution font prendre durant le temps de la
grossesse des doses non négligeables d'opiacés à leur enfant.
Lors de l'accouchement, il existe dans tous les cas une rupture de l'approvision-
nement en opiacés au nourrisson. Cette rupture peut entraîner un syndrome de
manque cliniquement décelable mais, même en l'absence de signes cliniques, il
est bien évident que l'enfant est soumis à une rupture brutale de l'imprégnation
opiacée.
En l'état actuel de nos connaissances, nous ne savons pas si cette rupture
brutale sera susceptible d'entraîner des conséquences néfastes pour son devenir.
Nous savons simplement qu'il existe, dans une proportion non négligeable de cas,
une souffrance physiologique et probablement psychologique liée à
l'absence d'imprégnation opiacée.
Nous ne savons pas non plus si une prescription d'une substitution par les dérivés
de la morphine chez le nourrisson est capable d'entraîner des conséquences
négatives sur son développement ultérieur.
Néanmoins, certains éléments nous permettent de penser qu'il vaut mieux
prévenir les complications liées au sevrage que d'attendre que celles-ci
surviennent ( Convulsions essentiellement, parfois mortelles).
Pour ces raisons, nous faisons le choix de prescrire systématiquement un
traitement de substitution par les dérivés de la morphine au nourrisson et
d'organiser sur une période pouvant aller jusqu'à 3 semaines un sevrage
progressif. Les intervenants d'Obstétrique, de Pédiatrie et de Psychiatrie se sont
mis d'accord sur ce principe.
Cette attitude ne peut se justifier pleinement que si une évaluation, dans le
temps, des effets d'une telle thérapeutique est possible. Il est donc prévu un
protocole séparé d'évaluation des effets de la morphine à long terme sur
les enfants nés dans de telles conditions.
Il est bien évident que le nombre de cas sur lequel va porter cette étude est
relativement faible mais, néanmoins, nous pensons que nous pourrions en tirer
des enseignements satisfaisants.
La qualité de la relation mère-enfant est l'un des paramètres que les pédiatres
et les psychiatres mettent en évidence afin de favoriser le développement
harmonieux de la personnalité de l'enfant.
Dans certaines circonstances, et en particulier lors de séjours hospitaliers, tout le
monde s'accorde à dire que la séparation de la mère et de son enfant, tout
particulièrement pendant les périodes sensibles (entre 0 et 2 ans) est néfaste au
développement de l'enfant.
Il est donc nécessaire d'éviter une telle séparation en favorisant le séjour dans
le même service (la même chambre) de la maman et de son enfant en l'absence,
naturellement, de contre-indications majeures (infectieuse, chirurgicale...)
MODALITES DU SEVRAGE DU NOURRISSON
Les mamans enceintes, sous méthadone en particulier, privent brutalement le bébé de son approvisionnement en médicament de substitution au moment de l'accouchement.
Il est logique de considérer que les phénomènes de sevrage chez le nourrisson devraient être du même ordre que ceux d'une personne adulte qui arrête brutalement une consommation d'opiacés. La différence principale est que le nourrisson ne peut exprimer ses besoins liés à son manque par la parole. D'autre part, son système nerveux supérieur n'étant pas mature, il ne pourra pas perlaborer les phénomènes liés à ce manque. Les seuls repères dont dispose le médecin pour juger du manque sont cliniques et des échelles d'évaluation basées sur l'observation comme par exemple l'échelle de Finnegan, sont utilisées pour objectiver ce manque.
Plusieurs attitudes sont possibles :
- soit on ne traite pas le manque autrement que par des calmants genre benzodiazépines
- soit on attend l'apparition de signes cliniques de sevrage chez le nourrisson, et on traite à ce moment par, le plus souvent, de la morphine
- soit on prévient l'apparition de signes de manque en posant l'hypothèse que de
toutes façons ils apparaîtraient tôt ou tard et qu'ils seraient plus ou moins bien
supportés par le bébé.
Psychologiquement, nous défendons la position qu'il vaut mieux prévenir un syndrome de manque plutôt que d'attendre son apparition pour traiter (cf. plus haut).
LE SEVRAGE
1° La méthadone a une demi-vie de 24 à 36 heures. Il faut donc environ 8 jours pour
éliminer totalement du circuit sanguin et cérébral la présence de méthadone chez
un individu donné ;
2° On observe habituellement, en cas d'arrêt brutal de l'approvisionnement en
opiacés (ceci est valable pour l'héroïne, la morphine, la méthadone etc....), un
syndrome de manque qui débute vers le 2e-3e jour, atteint son apogée vers le
4e-5e jour, puis diminue progressivement jusqu'à disparaître vers le 9e-10e jour,
ceci au niveau somatique.
3° Il est donc logique de penser qu'il est nécessaire de prévoir une couverture
opiacée chez le nourrisson par un médicament de substitution, comme l'élixir
parégorique par exemple, dont il faut démarrer la prescription dès le 1er jour
après la naissance, qui aille au-delà de la phase de manque, et qui soit
suffisamment prolongé, de façon à être certains d'éviter la survenue de signes
liés au sevrage de la méthadone. Nous suggérons une prescription à la dose
optimale durant environ 7 à 8 jours puis une diminution progressive pendant
environ une semaine, jusqu'au 13e-14e jour. De cette façon, nous sommes
pratiquement certains d'englober à la fois la phase d'élimination de la méthadone
et la phase clinique virtuelle de manque liée à l'absence de méthadone.
Cette conception et cette méthodologie sont résumées dans le graphique ci-
après.
En adoptant une telle attitude, nous espérons :
1° Protéger l'enfant de toute souffrance physiologique liée à la substitution de la
maman ;
2° Rassurer et déculpabiliser la maman ;
3° Poser les bases d'une relation harmonieuse mère-enfant, dans la mesure où on
demande à la maman une participation active durant cette phase sensible.
CONCLUSION
En définitive il apparaît important de souligner les points suivants:
- Maintenir la maman et le bébé dans le même lieu d'hospitalisation durant tout
le séjour, celui-ci pouvant aller jusqu'à 3 semaines. Le lieu de cette hospitalisation
sera à définir en fonction des possibilités administratives .
Ce séjour hospitalier permettra d'effectuer un sevrage du nourrisson de bonne
qualité.
- Ce sevrage du nourrisson devra être progressif .
- On pourra profiter de ce séjour pour effectuer un sevrage de la maman de la Méthadone si celui-ci est médicalement indiqué et/ou, si la maman le souhaite.
- dans le cas où le maintien de la substitution serait nécessaire, effectuer la
modification des doses dont la maman aura besoin puisque les doses prises
pendant la grossesse sont toujours supérieures aux doses nécessaires après
l'accouchement.
Il est entendu que le sevrage du nourrisson se fera sous la responsabilité des
pédiatres et que la prise en charge de la substitution de la maman sera faite par le
C.S.S.T. de l'Hôpital de Grasse.
- des contacts étroits entre les équipes soignantes des différents services seront assurés durant tout ce séjour.
- une préparation à cette phase sera organisée par des visites régulières des
mamans avant l'accouchement dans les Services de Pédiatrie et d'Obstétrique ou
par des visites de leurs équipes au Centre de Soins aux Toxicomanes afin de
nouer des liens de confiance entre les patientes et les équipes de soins.