Plusieurs faits, cette semaine : une rencontre avec deux cinéastes, la Commission médicale de Ville-Evrard, la réunion de service d’octobre et quelques info pour la suite.
Nous avons avec P. Chaltiel ; M.A. Rennevot et Z. Amblard reçu deux cinéastes afin de leur expliquer quelle pourrait être l’idée d’un film sur notre travail de secteur tel qu’il se développe maintenant. Sur le plan de la forme nous avons compris que ce ne peut être qu’un documentaire, et non un film avec scénario, et que le choix de la durée oscille entre 30, 60, et 80 minutes. Le financement est à trouver. Le public ciblé est " tout public " pour rendre lisible ce travail par tous. Le souci est de pouvoir montrer que la folie peut être abordée simplement avec la participation de ceux qui sont présents à ce moment, et que la psychiatrie ne s’exerce pas dans des ailleurs, ni dans des champs clos, mais qu’elle a besoin des proches des patients et du tissu social ; surtout elle s’appuie sur la facilité des relations et des communications autour de toute personne qui souffre, elle se déroule alors simplement grâce aux liens de chacun avec l’entourage de cette personne ; certes des moments de soins précis nécessitent des compétences et des actions qui sont complexes (cette complexité ne saurait être annulée), mais justement ils ne sont efficaces que s’ils s’appuient sur la solidité et la multiplicité des liens ; donc ce qu’il nous importe de montrer c’est la complémentarité constante entre la vie et les soins. Cette simplicité des liens entre tous les soignants de l’équipe de secteur est pour nous très nouvelle et ne peut être minimisée, de même la simplicité actuelle des relations des soignants avec l’entourage et la famille autour des moments qui étaient les plus lourds comme un temps d’hospitalisation sont devenus des occasions d’échanges forts et non stigmatisés. Deux idées nous paraissaient utiles à mettre en exergue s’appuyant sur l’espace et sur le temps : dans l’espace, le territoire du secteur nous met à la recherche des racines de chacun et nous permet de percevoir comment ces racines sont une base qui fonde l’identité et l’originalité ; dans le temps nous accompagnons le travail autour de l’histoire de chacun. Sur cette réalité de départ nos soins ne sont que des greffes qui ont bien besoin de ce support, nos soins se distribuent dans quelques lieux de soin, mais aussi et de plus en plus dans les espaces de vie du patient ; ainsi les soins sont discontinus, ils ont comme objet les élaborations psychiques et les remaniements des liens des patients, notre souci supplémentaire actuel concerne les liens à établir entre ces différents moments de soin pour qu’existe une continuité des soins, et que s’ensuive une capacité à anticiper la survenue de souffrances nouvelles. Cela fait de l’ensemble de l’activité psychiatrique, non pas une suite d’exploits ou de hauts faits d’arme, mais une réalité souple, fluide. Le regard du cinéaste devrait refléter cette vie, ces souffrances, à laquelle s’intrique quand il le faut l’activité de soignants ; ceux ci ne cherchent pas à " maîtriser " des troubles, mais à décloisonner leurs espaces habituels et ils s’autorisent à avoir des initiatives pour anticiper avec aisance la survenue d’autres souffrances.
Des exemples cliniques sont nécessaires pour montrer que la donnée la plus " moderne " de notre fonctionnement est clairement celle de la continuité des soins, qui ne peut être réalisée que lorsque existent déjà des soins discontinus d’une part et d’autre part une communication simple de tous les soignants entre eux et avec la vie des patients : ainsi Mr BO évoqué précédemment nous paraît évoluer de façon différente parce que nous travaillons autrement avec lui actuellement ; psychopathe dont le pronostic nous semblait si sombre auparavant ; son dernier séjour hospitalier, il y a deux mois, s’est déroulé de façon tout à fait différente des précédents ; désespéré, il a demandé à être hospitalisé en disant que sa vie était finie et que l’hôpital était sa dernière demeure ; il a été reçu dans l’unité d’Accueil où il lui a été dit que l’on allait avec lui distinguer les deux démarches, besoins sociaux et besoins de soins, des rencontres lui ont été proposées ainsi que des recours sociaux précis ; devant la persistance de son vécu dépressif une hospitalisation de 15 jours lui a ensuite été proposée comme l’un des points d’appui initiaux du soin à venir ; surtout au début de cette hospitalisation un entretien dit de " passage " a réuni son médecin de secteur qui venait de le voir plusieurs fois (et qui le suit depuis 10 ans), le médecin du service hospitalier, et un infirmier du service, avec lui ; le médecin de secteur a pu transmettre à son collègue en présence de Mr BO la perception qu’il avait que BO avait fait dans les derniers mois un travail personnel considérable pour prendre de la distance avec ses habitudes toxicomaniaques, mais que cela était masqué encore par sa perception d’avoir gâché une partie de sa vie, le médecin de secteur se disait témoin de cet effort si important et en soulignait la valeur, mais ajoutait que BO avait besoin actuellement de repérer ses capacités personnelles car elles lui paraissaient inexistantes ; l’infirmier prend alors appui sur ces indications pour proposer de lui même au patient pendant son séjour d’écrire plusieurs choses dont un récit d’une partie de sa vie, ses projets… ; (son médecin de secteur révèlera en aparté qu’il n’aurait jamais osé une proposition de cet ordre pensant que BO n’en était pas capable) ; BO s’y met sans hésiter avec intérêt, ce qui permet au médecin du service de lui demander s’il accepte de rencontrer ses parents et de travailler ensemble sur ces textes qu’il écrit. Ce rendez vous aura lieu vers la fin du séjour et sera important. Tout ce séjour sera repris ensuite dans un autre entretien de " passage " avec un infirmier de l’unité de Crise qui prend le relais du soin hospitalier avant la reprise des consultations et continue à travailler avec le patient le repérage de ses différents liens sociaux pour qu’ils puissent évoluer de façon favorable (famille, voisins, infirmiers, tuteur, amis, A.S., logeurs, recherche de travail, de formation…).
Ce qu’il est important de souligner ici c’est d’une part la proposition " active " faite du séjour hospitalier par l’Accueil, c’est surtout les entretiens dits " de passage " qui organisent la continuité dans les soins et permettent au patient de vivre de façon intégrative les différents soins successifs : consultation-Accueil-hospitalisation-Crise-consultation …enfin l’absence de sentiment d’échec tant du patient que des soignants lorsque apparaît un nouveau trouble, ou lorsque est décidée une nouvelle forme de soin.
Nous voyons que de nombreuses questions concrètes restent à résoudre pour un film, mais sur le fond et la forme les cinéastes ont dit qu’ils continuaient à être intéressés par notre objectif.
Toute cette discussion avait fait l’objet de la réunion du collège médical la veille de la rencontre avec les cinéastes. Rappelons que le collège médical se réunit un mardi soir par mois, ce qui est fort utile pour accorder nos violons. Ce collège n’arrive pas toujours à avoir un débat ‘calme’ sur l’orientation clinique de notre travail, c’est l’un des lieux de ‘débats’ des médecins, ce qui leur permet de se comprendre un peu, (ce n’est pas toujours aisé, mais c’est indispensable) ; nous abordons aussi les problèmes propres aux médecins comme les gardes au Centre (elles sont devenues plus fréquentes avec la réduction des médecins extérieurs, mais la plupart des collègues ont compris que nous étions membres d’un service public et à ce titre astreints à des tâches communes, avec le constat que la région parisienne n’était pas encore touchée par la dégringolade de la démographie médicale et qu’il y avait des solidarités à soutenir). Nous abordons aussi les choix d’orientation du travail de secteur, avant que les décisions ne soient prises par le chef de service et le conseil de service…il arrive que les discussions soient très vives, homériques, le résultat est très positif pour la vie du service.
Jeudi commission médicale d’établissement (CME)
Mensuelle, toutes les décisions que prend le Conseil d’Administration de Ville-Evrard doivent avoir été étudiées par la CME qui donne son avis, d’où son rôle, et la ‘gravité’ de certains débats. Nous avons pris l’habitude de la faire précéder d’un collège médical d’établissement où tous les médecins sont conviés, même ceux qui ne peuvent pas siéger en CME.
Jeudi c’était le projet de budget 2001, et des ‘petites’ questions, (dont une qui n’avait pas été débattue en collège, d’où des colères sourdes), une question sur les gardes que certains médecins infanto-juvéniles inhabitués voudraient ne pas prendre, d’où des réquisitions du Directeur, mais la solidarité fait avancer les habitudes anciennes ; et des questions autour de la ‘vie de l’établissement’ qui permettent de suivre l’évolution de la psychiatrie locale de façon fine, (le président de la CME, médecin élu par ses pairs, joue un rôle essentiel dans la qualité des débats) ; cette fois ci c’était le tour des relations entre les équipes et le service économique qui faisaient l’objet de commentaires. Et là nous sommes tout de suite devant les difficultés que représentent les grandes dimensions d’un hôpital comme Ville-Evrard qui rassemble 17 équipes de secteur, malgré les efforts des uns et des autres les liens sont impersonnels et inhumains, alors que la pratique psychiatrique n’est faite que de travail sur les liens ! En CME il y a 40 à 80 personnes qui se ‘surveillent’ ! ce qui donne une ambiance très difficile C’était l’occasion de démontrer le bénéfice fantastique que représentent les " relocalisations " d’équipes de secteur (3 à St Denis, 2 à Bondy, 3 à Aubervilliers en 2001, et d’autres en projet). A Bondy nous avons vu régulièrement pendant les 6 premiers mois les différents responsables : le Directeur, le directeur des services économiques, le directeur des travaux qui ont pu constater les questions que posaient des réaménagements aussi importants que cette relocalisation de deux services et ont participé ainsi à la restauration des liens humains entre les différents acteurs et la psychiatrie ; le Directeur a d’abord créé de nouveaux postes qui ont déjà apporté une grande amélioration : un régisseur pour tous les problèmes de circulation quotidienne d’argent pour les patients, une intendante pour toutes les questions de fonctionnement économique, un médecin généraliste. Deux problèmes sont encore à résoudre, celui d’une personne à l’entrée accompagnant les entrées et les sorties de ce Centre, et celui de la sécurité par rapport à l’extérieur. Mais ce débat en CME fut pour nous l’occasion de souligner l’importance qu’il y avait à ce que persiste un contact ‘direct’ des trois Directeurs avec le terrain et les personnes concrètes…sinon l’asile revient discrètement pour installer l’indifférence et l’hostilité. Par exemple nous constatons le bénéfice considérable dû à l’initiative d’un responsable important et souvent éloigné, l’IG (l’Infirmière Générale), qui ici commande à plus de 700 agents ! la nôtre a décidé de venir deux fois par mois au Centre, ce qui est d’un double bénéfice, elle voit d’elle même les conditions de travail des infirmiers et elle leur est disponible. Ces détails de la vie quotidienne sont une préoccupation de base, et c’est d’elles que dépend la qualité des soins. Ces questions font aussi l’objet d’une rencontre mensuelle entre les équipes qui partagent le site : les services hospitaliers des secteurs 11, 14 et l’Accueil du 14. demander en CME que ces responsables soient régulièrement en contact avec le terrain, c’est d’une part soutenir que leur participation concrète leur permet de trouver des solutions intelligentes à la dimension de cette nouvelle structure (hors de la routine des ‘bons’ et de l’anonymat des relations), d’autre part inscrire la psychiatrie dans un tissu de liens humains.
La réunion de service-séminaire mensuelle a eu lieu Vendredi matin avec toujours le regret que tous les soignants n’arrivent pas à s’organiser pour y participer : c’est là que se fonde l’orientation clinique de l’équipe de secteur. Certes certains s’excusent, merci à eux, d’autres ont trouvé là, par leur absence la façon consciente (parfois inconsciente !) d’exprimer leur désaccord avec le travail de l’équipe ou les propos des intervenants ; mais la majorité est là !
Je me suis efforcé pour arrondir les angles et ne pas me bloquer personnellement dans une position de revendication hiérarchique de faire un résumé de toutes les réunions et en particulier les réunions de service. C’est ainsi qu’est née cette lettre hebdomadaire il y a 3 ou 4 ans…je ne me fais pas d’illusion, elle n’est pas obligatoirement lue, cependant elle est un point d’appui facile pour ceux que cela intéresse, même quand elle constitue une information partielle (chaque témoin, fut-il chef, a son regard personnel sur la réalité qu’il rapporte). La difficulté est plus grande lorsqu’il s’agit de présentations cliniques : il est important de démontrer que rien, pas même le meilleur résumé, ne peut remplacer la participation personnelle à un débat clinique. Ainsi cette fois ci, cette première séance du séminaire, dont le thème général est le GROUPE ; dans la vie et dans les soins, était animée par Patrick Chaltiel à partir d’un travail qu’il a écrit sur la fratrie. Son travail était très complet, très clair, d’autant plus intéressant et difficile que très peu d’écrits existent sur la fratrie en psychiatrie ; Freud lui même n’y a pas insisté et a choisi pour ‘nouer’ sa problématique, un fils unique, Œdipe…Son exposé a été suivi de la présentation vivante, claire, par Régine Graj et Périne Lecoy d’une thérapie familiale de deux sœurs jumelles.
…Et bien, la plupart des questions ont porté, non sur le sujet du groupe en général, ni sur la fratrie qui étaient les questions proposées au débat pour faire un travail en commun, mais sur les indications de la Thérapie Familiale, en effet ces trois intervenants ont remis sur pied dans l’équipe depuis un an notre unité de thérapie familiale, et l’on sent l’équipe inquiète de savoir ( c’est moi qui interprète, mais je connais tellement la musique de ces craintes depuis 28 ans), si le service ne va pas être envahi par cette modalité thérapeutique. Je serai toujours étonné de ces attitudes si bien implantées dans les équipes qui au lieu de se lancer dans des essais afin d’être ensuite en situation de juger, font d’abord part de leurs réticences et de leur incrédulité, puis freinent des 4 fers ; j’ai vécu cela pour toutes les innovations dans l’équipe, et cela s’est renforcé pour toutes les propositions nouvelles : par exemple pour l’association Iris, puis pour les autres projets associatifs, pour l’unité Accueil, puis et surtout pour le travail de Crise, ce fut aussi le cas pour des groupes animés par des personnes extérieures : par exemple pour les ‘packs’ avec Claudie Cachard, (malgré ces résistances ce groupe né en 1981, se continue autour de Martine Decourt psychologue, seuls des infirmiers s’y sont régulièrement engagés), puis les séminaires organisés dans l’équipe, par exemple celui avec Hélène Chaigneau (commencé en 1995 et coordonné par Fatima Doukhan, mais royalement boudé par tous les autres médecins de l’équipe). Ce ne sont que des exemples, malgré ces résistances aux changements et aux apports extérieurs, l’équipe a beaucoup changé, a fait preuve de longévité, et se trouve en situation de transmission. La question de nouveaux modes de pensée et de soigner est une question cruciale pour la psychiatrie, mais à mon sens, c’est en essayant et en se confrontant à d’autres que l’évolution est possible.
Cette problématique est typiquement l’une des lois des groupes, il serait utile de s’y reporter, elle renvoie aux questions de rivalité et de maîtrise. Le groupe des frères et sœurs est certainement un temps très intéressant de cette réflexion : que font ils de cette ‘égalité’ ? C’était une des questions que soulevait le travail de P Chaltiel. Parmi les remarques faites, je proposais que l’on s’intéresse aux liens qu’il y a entre le silence et l’inceste, l’un des modes de relation privilégiée de la fratrie est le silence, tellement il y a de choses en commun ; la relation incestueuse semble dominée par le silence…L’un des outils essentiels du travail avec la fratrie n’est il pas l’accès à la parole ? dans l’exemple de Graj et Lecoy l’arrivée du dialogue entre les sœurs était contemporaine du changement de leurs relations et de l’amélioration de l’enfant malade. Que ceux qui n’étaient pas là demandent à P Chaltiel s’il veut leur communiquer son travail. Car la fratrie est une question à approfondir largement.
Infos les prochaines réunions de service-séminaires auront lieu les vendredi 10 Novembre sur les groupes chez les personnes âgées, 8 décembre sur le rapport d’orientation quinquennal de l’équipe du secteur 14, présenté par Patrick Chaltiel (qui sera l’occasion de la première réunion du nouveau conseil de service). C’est peu dire que ce rendez vous est capital.
Réunion du collège médical les mardi 14 novembre et 19 décembre.
Prochain séminaire d’Hélène Chaigneau, mardi 17 octobre à 14 h. au CPBB
Réunion mensuelle de l’unité Accueil-Crise mardi 10 octobre à 9h 30 au CPBB