Retour à l'accueil

Retour au sommaire de la chronique

CHRONIQUE HEBDOMADAIRE D’UNE PRATIQUE DE SECTEUR
Secteur 14 de la Seine Saint Denis


Lettre n° 7 - Lundi 2 octobre 2000

La psychiatrie ne saurait se construire que sur la base d’échanges entre soignants d’horizons différents, d’où notre intérêt pour nous qui avons la prétention de construire une nouvelle psychiatrie de nous confronter avec un certain nombre de collègues et de personnes extérieures. Cette semaine passée s’est déroulée la rencontre annuelle du plus ancien syndicat des psychiatres du service public, le SPH et son association scientifique. J’ai pour lui un attachement profond car c’est là que s’est forgée ma détermination à me battre pour que se réalise ce rêve de la psychiatrie de secteur  ce fut au contact direct de collègues comme Henry Ey, Georges Daumezon, Lucien Bonnafé, Pierre Bailly Salin, Jean Ayme, Hélène Chaigneau, Pierre Noël, Philippe Rappart, Hubert Mignot…pour ne citer que certains des plus marquants (les plus mobilisateurs pour moi ayant été Bonnafé et Bailly-Salin) dans les joutes fougueuses qui ont accompagné la naissance des équipes de secteur (1965-1972)….malheureusement une cassure est survenue en 1983-4, ce syndicat n’a pas su se montrer accueillant pour les jeunes générations de psychiatres qui entraient en psychiatrie de secteur avec des statuts moins intéressants  ceux ci ont créé leurs propres syndicats.

Ensuite les psychiatres ont augmenté, toutes les équipes de secteur se sont créées (1167,environ). mais depuis, la psychiatrie de service public voit ses psychiatres divisés en 3 ou 4 syndicats, ce qui permet au ministère de ne plus s’intéresser à la psychiatrie et de la réguler tranquillement à partir de préoccupations administratives au lieu d’accompagner ses préoccupations cliniques. Le pire est que les psychiatres en raison de cette division n’arrivent pas aujourd’hui à faire un bloc cohérent devant l’opinion publique, celle ci pourtant le demande et en a besoin. Ainsi lors des rencontres nationales ou internationales récentes ces psychiatres n’ont pas pu présenter un tableau clair des effets de l’application de la politique de secteur. ceci a des conséquences très graves  ni l’opinion, ni l’administration, ni les membres des équipes de secteur ne peuvent constater clairement l’effet de cette politique ( effet pourtant considérable, et unique, car la France est la seule à avoir eu le courage d’appliquer cette politique). De ce fait personne ne peut tirer bénéfice du travail fantastique qui s’est réalisé sur l’ensemble du pays  ; chaque équipe est amenée à naviguer à vue’ pour orienter ses choix, et ne peut profiter avec aisance de l’expérience des autres. Quand donc les dirigeants de ces trois syndicats pourront ils peser leurs responsabilités à refuser de ne faire qu’un seul syndicat, quand accepteront ils de constater qu’ils défendent la même psychiatrie qui vaut bien une messe  ; elle vaut bien qu’ils acceptent d’abandonner les honneurs qu’apporte une représentation 


Pourtant dans ces rencontres comme celle ci à Vannes les collègues viennent rapporter un grand nombre de réflexions remarquables sur leur expérience. Ne pas montrer que leur qualité est en relation étroite avec la politique de secteur affaiblit considérablement cette politique et diminue nos arguments pour défendre le maintien de nos moyens ou leur amélioration pour proposer les meilleurs services aux patients.


Le thème était rien moins que
l’avenir de la psychiatrie’ (au passage il n’était pas mention de cette politique de secteur  , de ce fait cet avenir ne pouvait paraître que mou, c’est ce que nous avons constaté avec tristesse), certes il y avait trop de communications comme d’habitude, et beaucoup se chevauchaient. Je ne rapporterai que quelques points forts de cette rencontre et quelques questions de fond qui relancent certaines de celles que nous nous posons actuellement dans notre équipe de secteur


En introduction de ces journées Georges Lanteri-Laura devait faire un historique de la psychiatrie entre la neurologie et la psychologie  ce fut remarquable, car nous avons pris conscience, comme à chaque fois qu’une réflexion s’appuie sur l’histoire et comme lui sait le faire, que cela nous permet d’avoir de l’espoir pour que d’autres changements se produisent dans l’avenir  ; nous ne sommes pas enfermés dans une réalité immuable, celle d’aujourd’hui, nous pouvons donc concrètement participer à cette évolution, il nous y a invité. Certes il a refusé de prophétiser et il s’est contenté de souligner que nous allions avoir à faire face à deux questions  quelle limite allons nous donner à la psychiatrie  car nous sommes dans une situation très nouvelle et dans une société qui pose de nouvelles questions. Et sommes nous prêts à accepter le tournant que prend la thérapeutique et qui ne peut être écarté  celle ci passe d’un traitement essentiellement individuel, le colloque singulier, à une
prise en charge’ partagée à plusieurs ( et il n’a pas utilisé le terme d’institution). «prise en charge à plusieurs  »…cela vaut la peine qu’on s’y arrête, il n’en a pas dit plus, mais c’est intéressant qu’il pose ainsi la provocation de la psychiatrie à venir L’avenir sera ce que nous en ferons, a t il ajouté.


Cela peut permettre à notre équipe de convenir que nous ne nous trompons pas d’objectif lorsque nous voulons cette année établir le thème de notre séminaire autour des notions de
groupes (nous avons la nécessité de différencier groupes d’appartenance et groupes thérapeutiques)  ; cette pluralité des échanges existe dans la vie, et dans les soins.


De là je ferai un saut sur ce qui s’est dit dans deux tables rondes, l’une sur la psychiatrie de la personne âgée, l’autre sur le développement neuropsychique de l’enfant.


Une enquête faite auprès des équipes de secteur menée par Pierre Noël montre qu’il y a actuellement un mouvement de désaffection de la part de ces équipes à l’égard des personnes âgées, ce qui est fort préoccupant  ; et selon cette enquête le diagnostic d’Alzheimer serait porté sur 1/3 des personnes âgées présentant des troubles psychiques, ce qui est exagéré.


Ensuite le Pr Léger de Limoges, nos collègues Frémont de Lagny, Jaulin et Bouche Christophe ont souligné que cette désaffection était tout à fait injuste, car les personnes âgées avaient besoin de l’aide des soignants de psychiatrie, comme tous ceux qui intervenaient autour d’elles, que ce soient les soignants de médecine ou les divers acteurs sociaux  ; ce n’est pas en raison de l’association des troubles psychiques à des troubles organiques que nous devons prendre nos distances, nous, au contraire notre intervention est complémentaire de celles des autres  ; le vieillissement entraîne des remaniements de trois ordres  remaniements sociaux (avec la tendance à l’isolement, grave), remaniements biologiques (le ralentissement est aujourd’hui un facteur de mise à l’écart, c’était autrefois signe de sagesse  ; le poids du corps et des malaises physiques est de plus en plus grand avec l’âge), remaniements psychologiques (il est utile de le dire analogique à celui de l’adolescence, la fréquence de la dépression masquée est forte). A propos des patients dits Alzheimer il est important de prendre en compte la plainte de
l’aidant’, car 80 % des cas sont pris en charge par la famille, leur plainte est souvent dépressive et même peut se transformer en maltraitance  ; la famille doit être aidée écoutée, déculpabilisée, éduquée.


J’ai pu témoigner que tout ceci rejoignait nos préoccupation de la semaine dernière dans notre équipe  nous devons peut-être nous demander si en créant une équipe spécifique nous avons fait le bon choix  : des soignants se sont spécialisés dans notre secteur, mais en créant une unité spécifique (Camille Claudel) nous avons régulièrement dirigé sur cette unité les personnes âgées du secteur  ; le reste de l’équipe de secteur en a été déchargé et s’est peu à peu désintéressé d’elles  ; cela explique qu’aujourd’hui aucun membre de notre équipe n’ait envie de venir combler les places vacantes de cette unité. N’est il pas préférable, fort de ce qui vient d’être dit, de ne pas renouveler cette unité et de chercher à ce que tous les soignants soient suffisamment formés pour savoir traiter les personnes âgées (savoir les écouter, ainsi que leur famille et la personne aidante, éviter les benzodiazépines,…)  Cette question, il est justifié de nous la reposer dans ce moment critique.


A propos des adolescents c’est un peu la même question qui se pose, ceci grâce à une intervention de notre ami Pierre Delion. Dans l’organisation très complète de son équipe infanto juvénile à Angers, il a pu établir avec les équipes de secteur
générales’ correspondantes une articulation souple des moyens, évitant ainsi de rassembler les adolescents dans des unités ségréguées, mais arrivant à construire un costume sur mesure’ pour chaque adolescent malade en coordonnant les soignants des différentes équipes.


Cela nous donnera l’occasion de préciser dans notre équipe le fonctionnement de l’unité dite «
Adolescent  » que nous voulons consolider comme unité co-sectorielle’ entre notre secteur et le secteur infanto juvénile correspondant.


Auparavant nous avions eu une présentation très personnelle de Mme Livoir Petersen, pédo psychiatre relatant avec une très grande finesse son effort pour prendre de la distance (une année sabatique) avec tout ce qu’elle avait appris antérieurement en tant que psychiatre d’enfant et dans sa psychanalyse pour saisir ce qu’il y avait d’irréductible dans la connaissance de la neurologie du développement, et que seul un mouvement d’intégration pouvait dépasser, car elle montrait que c’est cet effort qui lui avait permis de se sentir réellement disponible à l’échange avec des enfants autistiques et avec leurs parents. Il est impossible de retracer son propos en quelques lignes, en même temps il faut témoigner ici de la clarté de cet exposé et de l’importance de son enseignement pour tous les soignants de psychiatrie et pas seulement pour les nouveaux nés et les autistes mais aussi l’intérêt qu’il y a à transposer sa démonstration pour les adolescents, les adultes et les personnes âgées encore…elle insistait sur l’appui qu’elle prenait sur les émotions, les siennes, celles de l’autre, sur l’échange à partir de là «
encordage émotionnel  », et sur l’importance primordiale de l’environnement…..


….
le rôle de l’environnement, ce fut aussi le message essentiel du Pr de Génétique Axel Kahn (auteur d’un ouvrage récent très apprécié  «l’homme là dedans  ») qui dans un exposé magistral a dégonflé les fausses affirmations des média faisant croire que les découvertes de la génétique allaient transformer la psychiatrie, il a insisté au contraire sur l’importance de l’environnement comme facteur essentiel de l’évolution.


Tout ceci nous montre que nous ne faisons pas fausse route lorsque, dans notre équipe, nous nous disons que nous pouvons déployer tous nos efforts pour apprendre à connaître…
l’environnement du patient qu’est le terrain du secteur, dans sa diversité, dans sa complexité, dans ses potentialités.


Cela rejoignait ce que Pierre Delion avait retracé en expliquant ce qu’avait apporté comme enseignement à la psychiatrie de l’enfant la méthode d’Esther Bick  l’observation pendant deux ans une heure par jour d’un enfant nouveau né dans sa famille par un soignant de psychiatrie (accompagné d’un contrôle de ce soignant) avait montré l’importance colossale de l’interaction entre enfant et parent…on sait que cette interaction ne s’arrête pas tout au long de la vie.


Pour Delion le cadre du secteur est la dimension indispensable permettant d’appuyer ce travail sur la proximité et la continuité des soins. Ce qui était le sentiment de la plupart des psychiatres présents, mais aucun travail collectif n’a encore été fait pour soutenir solidement cette constatation sur l’importance de ce cadre du secteur dans ces grandes rencontres de la psychiatrie (où, il est vrai, ne sont malheureusement présents que les psychiatres).


Une remarque de fond et deux éléments conclusifs généraux, sont, m’a t il semblé à retenir encore 
La psychiatrie infantile une fois de plus montre la fécondité de sa réflexion et ceci permet d’insister sur l’absolue nécessité de transmettre ses découvertes à l’ensemble de la psychiatrie et d’empêcher le cloisonnement en tranches séparées  avec une psychiatrie de l’enfant, une de l’ado, du nouveau né, adulte, femme enceinte, 3
ème âge, 4ème,5ème


La finesse de l’observation durable de la famille met en évidence de quelle façon, (dans les interactions) un changement trop fort dans l’évolution quotidienne du tout petit, ou l’inverse plutôt un non changement peut entraîner discrètement une évolution de cet enfant différente de la plupart des autres enfants, et à partir de là une réponse en miroir de la famille qui soit va accompagner cette évolution différente et la renforcer, soit va à la fois accentuer la séparation et la rupture dans l’accompagnement  ; les points de départ de ces évolutions différentes sont variables, et la part du corps y est très grande y compris les lourdeurs neurologiques….le début de l’autisme est ainsi très précoce et de telles études montrent comment s’intriquent les données génétiques, neurologiques, familiales relationnelles, comment les troubles psychiques les plus lourds commencent très tôt et très discrètement (je perçois à quel point mes affirmations ici sont dénuées d’intérêt, elles n’ont de justification d’inviter chacun à aller voir et écouter ces psychiatres de l’enfant)
Cependant ceci a le double intérêt de montrer que toute la psychiatrie, celle dite de l’adulte, celle de la personne âgée, doit s’enrichir et faire siennes ces découvertes  : le poids du corps dans la vie psychique est constant ils s’intriquent en permanence, le travail soignant dans le temps, l’observation et le suivi du patient dans son milieu (à domicile, avec les siens est une réalité d’une importance centrale), les interactions entre les différentes personnes qui vivent ensemble sont constantes et incontournables


D’autre part nous devons enfin mettre à plat les nouvelles conditions de travail que permet le travail de secteur  proximité, continuité et en tirer toutes les conclusions…


Il nous faut bien comprendre qu’il ne suffit pas d’avoir quitté l’asile pour être sûrs de faire de la psychiatrie de secteur, il ne suffit pas d’avoir eu la chance de ne pas nous être laissés enfermer avec moins de moyens à l’hôpital général, encore faut il faire comme la psychiatrie de l’enfant  se mettre à observer le patient dans ses relations propres, dans sa vie personnelle, dans son environnement quotidien. Nous ne sommes pas encore arrivés à bien connaître et analyser l’environnement naturel des patients. Nous n’avons pas encore accepté de reconnaître (ce sera un deuil à faire) que toutes les structures institutionnelles soignantes constituent un milieu artificiel que nous demandons de partager à des personnes dont justement la caractéristique principale est d’avoir perdu certaines de leurs capacités d’adaptation, elles ne sauraient donc à elles toutes seules assurer les soins.


Je dois avouer que ce n’est pas sur de telles considérations que la table ronde finale de ce congrès s’est terminée…à l’exception de deux bretons têtus qui ont affirmé, (l’un public, l’autre privé) J Cozic, et JJ Laboutière que la psychiatrie n’avait pas besoin de consensus (toujours mous) car ceux ci se contentaient de la plus petite réduction des avis rassemblés, ni de recueils de chiffres PMSI et autres labels de qualité), car ces deux faits n’ont rien à voir avec la psychiatrie. La psychiatrie a besoin de débats pour que naisse la
pensée qui pourra lutter contre la folie, la psychiatrie ne saurait avoir peur des conflits, ceux ci sont structurants…ouf  une bouffée du large péchée dans le grand ouest. Merci.
La question que nous avons à affronter dans notre équipe de secteur est celle du défi à relever  démontrer par un travail clinique précis dans notre secteur que pour nous le travail clinique de secteur commence enfin cette année. A nous d’une part d’en définir les conditions d’exercice, et d’autre part d’y décrire l’évolution clinique des patients. Ces deux tâches doivent être assumées.


Nous aurons à les reprendre dans le détail. Si nous ne témoignons pas, ceux qui ont pour tâche de contrôler ne nous croiront pas et passeront à autre chose.


Bien cordialement.                                                 Guy Baillon