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CHRONIQUE HEBDOMADAIRE D’UNE PRATIQUE DE SECTEUR
Secteur 14 de la Seine Saint Denis

Lettre n° 5 - 18 septembre 2000

Je voudrais dans cette lettre évoquer trois évènements de cette semaine :

Mardi, la réunion mensuelle de l'unité Accueil-Crise, en raison des retombées sur la réflexion clinique qui se mène actuellement dans notre équipe

Mercredi, la visite de madame Léger, notre DASS (Directrice de l'Action Sanitaire et Sociale de Seine st Denis), qui n'avait pu venir à l'inauguration du CPBB en juin

Jeudi, le congrès des internes en psychiatrie à Lille, auquel j'ai été appelé la semaine dernière pour intervenir en remplacement de notre ami Michel de Clercq, disparu en août.

1 Nous tenons chaque mois une réunion de l'unité Accueil-Crise pour approfondir notre réflexion clinique dans le but de continuer à nous adapter aux besoins des patients tout en cherchant à maintenir l'objectif de cette unité ( je reste fidèle à notre idée centrale de " travail de Crise " puisée chez Andréoli, adoptée par de Clercq, et remaniée par nous, voir nos trois livres). Nous n'avions pas décidé d'ordre du jour précis et nous cherchions à savoir comment pendant deux mois nous allions fonctionner avec un médecin assistant en moins.

Nous avons spontanément commencé à parler de Me BO suivie en crise depuis un mois et qui préoccupe l'équipe ; elle avait fait l'objet de la réunion hebdomadaire lundi, avec le docteur Patrick Rennesson, coordonnateur de l'équipe, revenu de vacances. Tout en étant 'en crise' (suivie par le groupe de crise) Me BO avait été hospitalisée par l'Accueil Dimanche en raison de son désarroi présent depuis quelques jours et de son angoisse excessive.

Rappelons que notre unité d'Accueil-Crise comprend 13 infirmiers, un cadre, deux médecins assistants, un PH coordonnateur deux demi journée hebdo, deux psychologues, une secrétaire ; elle fonctionne en étant subdivisée en deux groupes, l'Accueil (9 inf. 1 ass) situé dans 4 pièces à l'entrée du CPBB, elle assure le 24/24, intervient à la demande aux urgences de l'hôpital général de l'AP, Jean Verdier, à 300 mètres, et sur place répond à toute demande urgente, mais là seulement pour les patients de notre secteur; le groupe de Crise (4 inf. 1 ass), contigu au dispensaire sud, à 600 m, ouvert aux heures ouvrables des jours ouvrables, il suit des patients 'en crise' pendant deux mois sur rendez vous, selon la technique que nous avons décrite (G Baillon 'Les urgences de la folie'). Les indications du travail de crise sont médicale. L'ensemble de cette unité avec ses trois modes de fonctionnement fait face à toutes les demandes dites urgentes et transforme toute urgence en une 'introduction à un soin psychiatrique' à chaque fois que nécessaire. Depuis sa création en 1982 et l'intégration depuis 1987 de l'idée de Crise s'appuyant sur la référence au transfert cette unité joue un rôle central dans la répartition des soins sur l'ensemble du secteur et dans l'élaboration clinique à mener constamment.[Au fur et à mesure de ces lettres je reprendrai en quelques lignes comme ici la description de nos différents outils de soin.]

L'hospitalisation était proposée pour 24 h. Cette jeune femme de 29 ans d'origine algérienne est suivie par notre équipe à l'Accueil depuis juin pour une anorexie et une maigreur importantes (au point d'avoir déclenché une hospitalisation de deux semaines au CPBB en juillet, de là elle avait été adressée à l'unité de Crise, mais avait attendu 3 semaines avant d'y venir). Nous sommes mardi, la veille le Dr Renevot PH de l'unité d'hospitalisation m'indiquait qu'elle voulait la faire rester au moins un jour de plus car la notion de personnalité hystérique, qui lors du précédent séjour s'était substituée à la seule anorexie, ne lui paraissait pas satisfaisante. Je souligne que ceci justifie de se poser des questions sur notre fonctionnement. A ce moment, dans la réunion, l'équipe de Crise précise que depuis deux semaines son attitude (ses doutes, ses interprétations, ses plaintes fonctionnelles itératives) les incite à penser que sa personnalité est psychotique ; nous apprenons alors que BO est sortie hier après midi, lundi, sans autorisation après le départ du médecin…et qu'elle s'est présentée aux urgences de l'hôpital général en se plaignant de troubles digestifs (elle avait pourtant vu le généraliste le matin même comme chaque entrant) ; l'urgentiste nous avait prévenus hier, et la gardait aux lits portes jusqu'au mardi matin… ; mardi matin les examens médicaux n'avaient rien montré de préoccupant, et sans attendre notre arrivée elle était repartie chez elle, refusant de revenir au CPBB.

Nous nous trouvons donc devant plusieurs questions à résoudre, d'ordre différent : - BO qui il y a un mois avait elle même accepté le travail de crise, s'en montrait aujourd'hui partiellement insatisfaite ; elle avait auparavant mis en évidence l'ambivalence de ses parents qui n'acceptaient pas qu'elle soit malade ; en raison de l'attitude parentale l'équipe m'avait demandé de les voir à part, ils s'étaient montrés stabilisés par notre entretien. Par contre l'équipe de Crise n'arrivait pas à obtenir une sédation suffisante de son angoisse, et nous apprenions qu'elle reproduisait un comportement antérieur, demandant un soin puis s'efforçant très vite de l'annuler. Mais ceci est un des problèmes que l'unité sait affronter ; - ensuite nous constations que leurs réflexions cliniques n'avaient pas été transmises lors de l'hospitalisation, ce qui avait mis notre collègue hospitalière devant une double difficulté, l'appréciation de ses troubles qui ne correspondait pas avec la connotation antérieure d'hystérie, et la cohérence à garder dans le soin actuel en ne la gardant que 24h comme BO l'avait demandé ; - enfin cela mettait en évidence que dans un certain nombre de situations le patient garde la maîtrise de l'évolution et utilise de nouveaux symptômes qui font éclater nos propositions thérapeutiques si elles ne sont pas articulées avec les différents intervenants.

Cette situation éclaire bien le point où nous en sommes de notre 'fonctionnement de secteur' : nous voudrions travailler autrement la notion de continuité des soins, mais nous avons encore l'habitude de travailler dans des espaces séparés où chaque équipe soignante a pris l'habitude de décider de sa démarche thérapeutique en gardant (jalousement) sa totale indépendance par rapport aux autres soignants (ceci est un héritage déplacé des pratiques de la psychanalyse et de l'expertise, mais en psychiatrie nous ne sommes dans aucun de ces champs), l'existence du médecin de secteur prévu pour représenter la continuité du soin ne nous protège pas de cela. Une autre situation que nous avons abordée ce matin là concernait Mr BT patient suivi à l'hôpital de jour et qui avait été adressé à l'Accueil en urgence hier avec l'ordre au téléphone " Hospitalisez le " et sans document. Cette attitude, certainement justifiée dans l'instant (j'ai l'habitude de ne jamais contester les actions thérapeutiques des soignants sur le moment, cela n'empêche pas de réfléchir sur la possibilité d'anticiper telle ou telle situation par une autre réflexion), niait en même temps le rôle de l'unité d'Accueil : un ordre extérieur est donné pour une situation d'urgence présumant que l'unité ne saura jouer son rôle. Pourtant la connaissance que l'on a de lui dans l'équipe d'Accueil permet de penser que son état s'est aggravé progressivement. Nous voulions montrer ici qu'il aurait été possible d'anticiper cette situation et de permettre alors à l'unité d'Accueil d'intervenir avant (auprès de ce psychotique de 40 ans, bien connu, présentant une recrudescence de son angoisse), au lieu de mettre les soignants de l'Accueil devant une injonction " vous n'avez plus qu'à l'hospitaliser ". A l'inverse du cas précédent, les soignants du secteur ne tiennent pas compte ici de la différenciation du travail réalisée dans ce secteur : ainsi des soignants de l'hôpital de jour dans ce cas ont voulu faire face à l'aggravation de Mr BT jusqu'au moment où l'unité est totalement débordée, et elle veut comme autrefois utiliser l'hôpital comme l'espace où on envoie les patients quand on ne peut rien faire d'autre ; ceci est une dévalorisation de l'effort fait pour différencier nos espaces de soin ; après avoir rédigé en 1977 le projet des unités de soin différenciées et un médecin de secteur par patient, nous avons en 1979 ouvert l'hôpital de jour, puis en 1982 l'unité d'Accueil-Crise ; cette dernière proposait une nouvelle modalité de relation thérapeutique donnant l'occasion aux patients 'd'élaborer' au moment où un événement (interne à leur vie psychique ou externe) les déstabilise. Par exemple pour Mr BT une infirmière de l'Accueil, Me Bousselaire, qui le connaît bien, précise qu'elle a remarqué que c'est souvent à l'occasion de rencontres avec ses enfants qu'il est envahi d'angoisse et se met à délirer. Cette remarque est intéressante car elle confirme plusieurs choses : dans un certain nombre de situations certains soignants ont les éléments leur permettant d'anticiper, (et alors que faire de cette connaissance ?), et ce ne sont pas forcément seulement les soignants de l'unité où le patient se trouve à ce moment précis (ce qui montre bien que la notion de continuité des soins après un certain temps d'expérience implique l'ensemble de l'équipe de secteur). Pour Mr BT les interventions thérapeutiques ont un effet très rapide, il était à nouveau souriant et désangoissé après 3 jours d'hospitalisation.

A la fin de la réunion, ce mardi, nous avons compris deux choses : d'une part il me revenait, en tant que Chef de secteur d'adresser une petite note interne à mes collègues pour leur repréciser la fonction de l'unité d'Accueil (l'expérience nous apprend que de tels rappels sont utiles, et que pour les nouveaux soignants la " transmission " ne peut se faire par simple osmose mais par des échanges précis décidés dans ce but), d'autre part il devenait évident que, (ces deux situations de soin opposées l'illustraient) nous avions à travailler la notion de continuité des soins, en particulier en mettant mieux en pratique cet outil que l'équipe s'est forgée, les " passages ". Nous avons aussi décidé de la façon dont nous devions répartir les temps médicaux en ce moment de restriction.

2 A la demande de notre directeur, mercredi, nous avons eu le plaisir de présenter à la Directrice de la DASS notre nouvel espace de soin, le CPBB, Centre Psychiatrique du Bois de Bondy. Nous nous sommes comme à l'habitude partagé le travail, Daniel Zagury, médecin chef du secteur11 (notre voisin dans cette unité) et moi. D'entrée de jeu, il soulignait que nos deux équipes s'entendaient de mieux en mieux, ( c'était en effet à souligner, cela n'avait pas paru évident au départ, même pendant les 4 années pendant lesquelles nous nous étions rencontrés tous les mois, et plus, avec l'équipe des Dr Chazaut et Zagury). Daniel a ensuite affirmé que la qualité du travail effectué dans cet espace était exigeante en moyens humains et en compétences, en particulier dans les situations de violence, relativement rares mais réelles, et que cela nécessitait la solidité des équipes soignantes, il montrait bien ainsi que ce travail était militant et justifiait nos revendications dans le maintien de nos moyens. Intervenant à mon tour, je me suis attaché à démontrer à notre Dass que cette relocalisation constituait une nouvelle étape, très forte, de notre évolution, qui nous permettait d'accéder à une qualité des soins que nous n'avions pas connue jusqu'alors. Ceci était le résultat de la simplicité avec laquelle se mettaient en place les échanges entre patients, familles, soignants des différents lieux de soin de notre secteur auparavant si cloisonnés, et avec l'ensemble du tissu social des deux villes ; j'ai beaucoup insisté sur ce qui me surprend le plus : la facilité avec laquelle cette mise en situation permet à l'ensemble des soignants, (d'abord ceux du CPBB et tout particulièrement les infirmiers, mais pas seulement, car c'est contagieux) de se montrer inventifs et créatifs dans leur pratique quotidienne, comme si chacun pour soigner se sentait enfin libre de puiser dans son expérience de soignant, dans son expérience de vie, dans le travail fait en commun auparavant ; ceci à mon sens est dû au regard que les soignants sentent que la population de notre secteur porte sur eux ; je pense qu'ils se sentent à la fois provoqués et reconnus dans leur identité et dans leurs potentialités, c'est comme s'ils retrouvaient leur vraie peau après avoir fait sauter des carapaces qui les avaient auparavant coincés. La Dass et le Directeur ont été très sensibles à cette affirmation. J'ai ajouté que nous nous rendions compte aussi que nous pouvions maintenant élaborer une nouvelle conception de la continuité des soins, en effet jusqu'alors nous étions limités à l'organisation d'une discontinuité des soins réalisés dans les différentes unités de soin dites " intermédiaires " ; maintenant à cause de la présence de la totalité des lieux de soin en ville, il était possible à chaque soignant de s'interroger sur ce qu'il pouvait apporter aux soignants s'occupant d'un patient avec lequel il avait travaillé ; et que l'on pouvait enfin en finir avec cette image d'Epinal selon laquelle un soignant revoyant un patient affirme à son collègue le diagnostic ou les symptômes que ce patient a 'l'habitude' de présenter, pour parler plutôt des évènements constructifs qui ont émaillé le dernier soin ; ainsi de soin en soin, chaque étape peut enfin donner aux soignants des opportunités pour construire une trajectoire thérapeutique qui peut être entendue comme animée des résultats des différentes rencontres de soin successives, au lieu de parler de répétition et de rechutes. Mais seuls des cas cliniques nous permettront de mettre cela en évidence. Nous sommes convoqués par notre propre histoire pour continuer à approfondir cette notion de continuité des soins..

3 Ils étaient 300, les internes en psychiatrie, à Lille. A Ville Evrard nous avions cru que c'était une race en voie de disparition. Loin de là, ils sont solides, bien organisés et surtout très attachés déjà à la psychiatrie de secteur, très conscients des graves problèmes démographiques de leur profession. Mais au moins, eux, contrairement à la majorité actuelle de leurs aînés, cela ne les démotive pas, et ils n'ont pas envie de quitter le navire, eux. Très intéressés par les questions de formation et nous interpellant à ce sujet. Pour évoquer l'avenir des pratiques psychiatriques ils avaient invité les Pr Thomas, Consoli, Bailly, Misés, Rufo, et les Dr Guillaumont et Roelandt ; enfin mon ami de Clercq, professeur à Bruxelles, hélas disparu cet été accidentellement, qu'ils m'avaient demandé de remplacer. Ils se sont montrés très sensibles et attentifs à ce que je leur rapportais, autour de la question qu'ils avaient posée 'Les pratiques psychiatriques en service d'urgence', sur ce qui se passait en Seine st Denis, aussi à Ville Evrard, et à Bondy. Une fois de plus j'ai senti que lorsque nous expliquons le travail que nous réalisons, celui que je reprends dans ces lettres, ils sont convaincus de son intérêt et ils se montrent désireux de venir nous rejoindre ; il est important que vous sachiez que parmi les premières questions posées il y avait leur désir de savoir le rôle que jouaient les infirmiers psychiatriques dans ces moments d'urgence, d'accueil et de crise, ce qui montrait leur désir de travailler en équipe et de connaître leurs collaborateurs. Voilà qui nous regonfle et nous donne du courage.

Cette mobilisation tombait à pic pour plusieurs d'entre nous : en effet l'Association Accueils ? venait mardi de prendre la douloureuse décision d'annuler ses journées prévues les 20 et 21 octobre sur une question de fond 'TRANSMETTRE'. Le nombre d'inscrits et d'intervenants étant nul, un mois avant. Les sondages faits autour de nous montraient qu'actuellement les membres des équipes de secteur ne cherchent pas à se réunir sur des questions de fond tellement ils sont écrasés dans leur vie professionnelle par des problèmes d'effectif médical et infirmier, par l'absence de continuité de projet, par des querelles diverses entre médecins, avec des administrateurs stupides, par le flou des objectifs de la psychiatrie de service public…Déception que d'être obligés de prendre cette décision.

Parallèlement l'Appel de Bondy, lancé le 4 mars continue son voyage et rassemble près de 800 signatures, car il est axé sur des revendications concrètes et précises, de ce fait le groupe fondateur de cet Appel se propose de faire le point en novembre pour organiser une journée avec l'ensemble des signataires début 2001 à Bondy pour élaborer une suite à ces signatures qui témoignent d'une forte mobilisation et rejoint ce que j'ai vu dans ce congrès d'internes.

Je rappelle la réunion du Conseil de Service Vendredi prochain 22 septembre à 9h30 au CPBB. Ce conseil est important pour faire le point sur toutes les questions qui vous préoccupent sur la situation actuelle de l'équipe et sur nos projets. Madame Amblard et moi avons proposé un ordre du jour, et nous avons décidé qu'il serait ouvert à tous en raison de la nécessité de préparer les élections, car le mandat de 3 ans de ce conseil arrive à expiration.

Bien cordialement. Guy Baillon