Retour à l'accueil

Retour au sommaire de la chronique

CHRONIQUE HEBDOMADAIRE D’UNE PRATIQUE DE SECTEUR
Secteur 14 de la Seine Saint Denis

Lettre n° 4 - 11 septembre 2000

Nous avons tenu vendredi une Réunion de rentrée, assez passionnante pour que nous ayons envie d’en faire profiter un peu les absents. Sa forme a été celle d’un débat général.

Nous avions deux points à l’ordre du jour : - le planning des réunions mensuelles de l’année (dite ‘Réunion-Séminaire’ chaque premier vendredi de 9 h à 13 h avec une première mi temps qui est une présentation clinique par 3 ou 4 membres d’une équipe, et l’autre mi temps qui se veut son prolongement en une réflexion théorique) ; - un commentaire ‘de fond’ sur le nouveau fonctionnement de l’équipe de secteur depuis que l’unité d’hospitalisation est dans le secteur et sur les réflexions amorcées dans les Lettres hebdomadaires de l’été.

Question de fond d’abord, demande Fatima Doukhan : elle propose de partir de la Lettre n° 1 insistant sur la nécessité d’impliquer l’environnement pour tisser le soin des patients. Elle reprenait aussi le propos du Maire de la ville venu nous saluer quelques jours après notre installation dans ce nouvel espace en janvier. Il rapportait les réactions exprimées par les jeunes beurs du quartier où nous sommes installés, quartier assez déshérité : " Vous nous estimez si peu que maintenant vous installez les fous dans notre quartier ! ". Le maire nous dit qu’il a besoin de nous pour savoir s’il est possible de donner une autre image de la folie.

Doukhan est la collègue, psychiatre de l’équipe, qui s’est toujours efforcée d’établir des liens entre la dimension ‘culturelle’ de la vie en ville et la folie, et nous avons déjà fait grâce à elle de multiples essais positifs, à l’hôpital de jour avec le Dr Maurer, puis dans le service à Ville Evrard, en introduisant divers artistes dans les activités quotidiennes afin qu’ils fassent partager leurs capacités créatrices. Impliquée aussi dans l’organisation d’activités théâtrales et de lecture, elle venait de mettre en place avec d’autres complicités (de Ville Evrard et de la mairie), la tenue d’une Journée " Genet ", associant le 12 octobre expo (17 h au CPBB), film(19 h biblio Diderot), et théâtre (le 13 à 20 h Salle Malraux). Elle nous invitait à soutenir cette journée en soulignant, à la suite de nos questions, qu’il y avait une proximité entre la marginalité de Genet (qui a passé 3 à 4 ans de sa vie en prison pour vol…de livres), et celle des jeunes du quartier, le soutien très fort de la municipalité à cette entreprise était à saluer. Certains d’entre nous lui ont demandé ‘qui’ allait venir, soulignant que la marginalité évoquée n’était pas suffisante pour faire venir les jeunes dont parlait le maire…Il nous est apparu évident qu’il faudrait que beaucoup se mobilisent pour faire connaître cette rencontre et les y entraîner. Cela n’empêchait que nous devions continuer à réagir devant la réaction négative rapportée par le maire sur la folie…,à l’inverse plusieurs d’entre nous ont raconté les attitudes très tolérantes des bandes de jeunes régulièrement rencontrées au bas de l’immeuble où se trouve notre dispensaire nord, tolérants à notre égard et nous posant des questions.

Dans la foulée nous avons évoqué le souci que nous avons devant la vulnérabilité ‘sociale’ d’un certain nombre des personnes que nous soignons, il y a des squats, des rackets, des violences contre eux…comment faire pour que la tolérance s’étende à eux ? Nous avons repris le projet d’une nouvelle Association évoqué dans la Lettre n° 3. De nombreux membres de l’équipe ont insisté sur la notoriété acquise par l’Association Iris que nous avions créée en 1972, mais dont l’équipe s’est peu à peu retirée. Si Iris a marqué l’opinion, ce n’est pas avec les appartements associatifs ni l’entreprise de découpe de bois, qui nous ont pourtant demandé tant d’efforts, c’est avec la Boutique dépôt-vente créée par Michèle Merlin (psychologue partant en retraite ce mois ci) en raison des échanges larges qu’elle avait entraînés dans la ville. Ce qui serait utile maintenant c’est de promouvoir une Association qui joue seulement des rôles de relais vers les acteurs sociaux, rôle de relais ne cherchant pas à remplacer ceux ci dans leurs fonctions (même si certains nous paraissent défaillants). En même temps nous avons, en 30 ans, accumulé avec les 2 villes un capital relationnel considérable.

A ce moment du débat Mme Quique, infirmière engagée dans l’équipe Sida, entre l’hôpital général et notre secteur, veut nous faire partager son étonnement de constater que les membres du Bus Social qui commence à circuler sur 4 communes autour de l’hôpital général continuent à s’interroger sur le fonctionnement de l’équipe de secteur ; ils demandent à nous visiter pour comprendre comment ‘ça’ fonctionne chez nous ; plusieurs d’entre nous réagissent en disant qu’ils les ont déjà rencontrés et qu’ils continuent à dire qu’ils ne comprennent pas. Ce ‘Bus social a commencé son activité cette année (style SAMU social).

Nous soulignons que cette demande est très importante à éclaircir ; il nous semble qu’elle témoigne à la fois que la folie inquiète toujours, et en même temps que les réponses ne sont plus résumées par l’enfermement et l’éloignement. Ce constat en rejoint d’autres du même type auprès de diverses personnes des deux villes, nous sommes toujours étonnés du sentiment de méconnaissance de la population à notre égard…pourtant nous sommes présents dans la ville depuis 30 ans ! Plusieurs personnes de l’équipe alors témoignent que ce flou disparaît quand ce sont les mêmes personnes qui se rencontrent : des soignants et des personnes de la ville, à ce moment là un lien se crée, fait de confiance, et il n’y a plus d’hésitation. Nous convenons que le travail de secteur n’est pas fait d’informations abstraites ou anonymes, (car elles ne ‘prennent’ pas, ne s’impriment pas), mais qu’il est fait de contacts humains précis, où l’information est remplacée par un lien. François Samson, collègue psychiatre, souligne que dans ces échanges il faut donc qu’il y ait des efforts faits pour qu’il y ait des ‘entrées’ vers notre activité, des ‘portes’ facilement utilisables par les habitants.

Je précise alors que depuis l’arrivée du CPBB en ville, je ne cherche plus à représenter notre équipe comme avant, cad à l’aide d’un bel ‘organigramme’ où sont précisées nos différentes structures de soin, car cela donne une fausse idée de la réalité de notre travail ; en effet maintenant il y a une circulation de plus en plus souple entre les différents espaces de soin et la notion de continuité des soins prend de plus en plus de force. Ainsi ces ‘portes’ dont nous venons de parler sont devenues des ‘constructions de liens’ entre plusieurs personnes, entre un ou des habitants et l’un des membres de l’équipe soignante. Ces portes sont devenues des contacts personnalisés. C’est ainsi que la peur de la folie et de la psychiatrie s’estompe.

Deux exemples vont être apportés spontanément dans la suite de cet échange. F Samson fait part du constat qu’il fait qu’il ne travaille plus aujourd’hui comme avant. Il pense à un patient en difficulté de soin depuis deux ans. Auparavant il se contentait de le signaler à l’équipe d’Accueil dont c’était le rôle de rétablir le soin, mais comme le patient fuyait toute intervention, l’équipe d’Accueil s’épuisait, n’aboutissait pas, et la situation n’évoluait pas. Maintenant notre collègue s’est décidé à intervenir directement sans déléguer à une autre équipe ; s’entourant de deux soignants connaissant aussi le patient, il est arrivé à trouver une solution pour mettre en place un soin, d’abord contre son gré puis avec son accord ; ceci a pu se faire grâce à la connaissance précise des soignants. Il ajoutait qu’en plus il y avait un voisinage qui avait témoigné par des pétitions de la souffrance de ce patient et qu’il n’avait jamais cherché à s’appuyer sur les voisins, il avait négligé cet autre moyen d’intervenir.

J’ai confirmé qu’en effet nous sommes encore trop marqués par la notion médicale du secret à l’égard du trouble psychiatrique du patient. En médecine le trouble est caché et le médecin va le dépister et le confier au seul patient ; en psychiatrie les patients vont présenter des symptômes apparents aux yeux de tout le monde, nous ne devons pas faire comme si on ne voyait pas, au contraire ; dés que nous sommes témoins d’une souffrance psychique qui s’est exprimée publiquement nous sommes engagés à y répondre et à montrer sans se cacher que nous sommes conscients de cette souffrance et que nous voulons qu’elle aboutisse à la reconstruction de liens sur lesquels le patient peut s’appuyer et reconstituer une intimité.

Alain Simard, interne, évoque une autre situation, actuelle. Mr BB, jeune adulte schizophrène connu de l’équipe est en rupture de soin d’avec son psychiatre de secteur depuis plusieurs mois ;il est de plus en plus violent, les parents et la fratrie ont du mal à ne pas être ambivalents et refusent l’alliance thérapeutique nécessaire pour rétablir ensemble les soins ; l’équipe d’Accueil a beaucoup de difficultés pour établir un lien thérapeutique avec lui ; cependant après plusieurs semaines d’échanges une hospitalisation est rendue possible la semaine dernière à la suite d’une violence familiale qui amène la famille à soutenir l’intervention des soignants. Hospitalisé vendredi, les soignants du service n’arrivent pas à mettre en place une confiance avec lui, il se montre agressif avec une infirmière mais respecte la fermeté d’un autre infirmier. Il affirme qu’il n’est pas malade, qu’il refuse les soins (il est en HDT), et qu’il fuguera. C’est ce qu’il fait quelques heures plus tard. L’équipe informe que l’on va aller le chercher, une première tentative échoue ; cinq jours plus tard au lieu de demander à l’équipe d’Accueil (dont c’est ‘classiquement’ dans notre équipe le rôle), les soignants comprennent qu’il est essentiel que ce soient les mêmes personnes du service ayant commencé à établir un dialogue avec lui (l’interne et les deux infirmiers) qui interviennent. Hier ils l’ont prévenu de leur arrivée, il refuse d’abord de les voir chez lui mais accepte de les voir dans la rue, le dialogue s’engage là ; et comme les soignants sont attentifs à repérer ce qui leur permet d’établir le contact en s’appuyant sur les éléments de détail des échanges précédents ; il est possible de parler avec lui, il dit qu’il refuse la reprise de l’hospitalisation, les soignants lui répondent qu’ils ne lui imposeront pas s’il accepte de reprendre son traitement (ils étaient informés par son psychiatre de secteur que dès qu’il suivait un traitement son délire s’estompait et il était capable de reprendre son activité professionnelle ), il accepte de recevoir à son domicile l’injection retard qui habituellement lui permet de retrouver son calme et sa capacité d’échange avec la certitude que pendant quelques jours l’équipe du service viendra le voir, puis qu’il reprendra rendez vous au Cmp.

Ces deux exemples sont assez démonstratifs de l’évolution actuelle de l’équipe du secteur qui accepte spontanément de passer d’une époque où l’on se répartissait les rôles en donnant à chaque unité de soin des responsabilités cliniques bien différenciées, à une époque où ce qui prime est la recherche des soignants qui ont la meilleure connaissance relationnelle avec ‘ce’ patient. Ce qui est en train de se mettre en place avec des résultats immédiats est le décloisonnement des unités de soin, et la capacité des soignants à collaborer entre eux, même quand ils sont répartis dans des unités de soin différentes ; en particulier il devient clair que l’on peut transmettre en présence du patient ses ‘acquis’ d’un soin antérieur, sur lesquels les soignants actuels vont pouvoir s’appuyer pour présenter le nouveau soin comme une " suite " véritable, plus positive que la précédente ( au lieu de le stigmatiser comme une ‘rechute’).

Ce débat s’arrête là en raison de l’heure, mais nous avons compris que la discussion amorcée est fondamentale, à prolonger, si l’on veut poursuivre l’évolution de notre travail de secteur…

La deuxième partie de notre réunion( le planning des Séminaires) sera plus courte, d’autant plus que nous constatons que nous ne l’avons pas bien préparée. Certes Patrick Chaltiel qui la conduisait, souffrant, est absent, ainsi que Petitit, cadre, les trois autres personnes qui avaient accepté de jouer le rôle de coordonnateurs sont là, Périnne Lecoy, Stéphanie Mansuet, psychologues, et Servan Guillou infirmière, mais sont trop seules devant le reste de l’équipe qui n’a rien préparé (alors qu’un séminaire de service ne peut être que l’affaire de tous !).

Nous reprenons donc la discussion lancée en juillet au point zéro :

J’avais proposé à l’équipe, avec l’accord de P Chaltiel de prendre comme thème central LE GROUPE. J’avais souligné qu’il n’était pas constructif que l’on se limite aux groupes thérapeutiques. De même il m’a paru imprudent de demander à chaque unité de soin du secteur de venir présenter sa ‘culture de groupe’, produit de son expérience, car cela inviterait chacun à renforcer son narcissisme au moment où il faut le rendre souple. J’ai rappelé que dans l’histoire de l’équipe nous avions à deux ou trois reprises demandé à chaque unité de présenter son travail, cela correspondait à l’époque où il fallait que les soignants affirment leur identité, et s’appuient sur l’effet narcissisant apporté par la solidité reconnue de leur nouvelle unité de soin. Ceci est aujourd’hui tout à fait acquis ; si en plus nous évoquons la ‘culture de groupe’ qu’elle s’est constituée nous n’aurons tout simplement pas de temps ni de place pour démontrer comment chaque unité est incapable de réaliser la continuité des soins et donc comment chacune va s’inscrire dans une trajectoire de soin qui la déborde largement.

Surtout nous devons être attentifs à ne pas limiter notre intérêt à… notre nombril, en particulier si nous parlons de " groupe ".

La notion de groupe n’est pas ‘d’abord’ thérapeutique. C’est une réalité de base de la vie de chacun, du début de la vie à la fin, depuis la naissance qui est un moment de groupe très fort jusqu’à l’enterrement qui est aussi un moment de groupe. Le sujet ne se constitue que dans des interactions qui ont leur base dans des moments de vie en groupe. La psychiatrie de secteur a cette originalité fantastique de se mettre en situation de repérer les divers groupes dont fait partie une personne qui souffre. Notre premier travail est donc de repérer les groupes, de reconnaître leurs différences, de préciser leur fonction et leur dynamique : la famille bien sûr, la constellation de vie aussi, les divers groupes institutionnels (social, politique, religieux, associatifs, culturels), éducatifs, professionnels…, ainsi que les interactions entre ces groupes, enfin de réfléchir sur les relations entre le sujet et les groupes.

Ceci doit précéder et compléter constamment la connaissance des groupes thérapeutiques ; et plutôt que de parler une fois de plus des unités de soin il serait utile de mettre en évidence les différents types de groupe qui existent dans une équipe de secteur et qui ‘agissent’ avec et sur chacun d’entre nous. L’équipe de secteur en tant que groupe, les instances organisationnelles (conseil de service, collèges de chaque catégorie professionnelle, groupe Recherche…) ; dans chaque unité de soin, les différents groupes institués par l’unité ; mais aussi les groupes transversaux comme le groupe de packs, le Sida, le Groupe d’appui de l’ancien foyer…

La fonction des groupes dans la vie, d’une part, dans le soin, d’autre part.

Cela ne doit pas faire l’économie d’une présentation des unités aux nouveaux membres du secteur 14 (en 2 ou 3 ans ils sont nombreux), et il est indispensable de leur présenter l’ensemble du secteur. Dans le Séminaire nous devons continuer notre effort d’élaboration :

Pour construire ces séances nous pouvons partir d’un certain nombre de propositions :

MF Maupomé, absente aujourd’hui car souffrante, avait accepté de présenter le point actuel des recherches générales sur les groupes (ce que l’on appelle les ‘lois’ des groupes)

P Chaltiel a fait un excellent travail sur la fratrie, donnée de base dans l’étude des groupes (rivalité et solidarité fraternelles, silence et non dit comme attitude de base, …). Il est d’accord pour le présenter dans ce séminaire

La famille peut être représentée à cette occasion ; il y a de nombreux ‘spécialistes’ actuellement dans l’équipe. – Les adolescents pourraient faire l’occasion d’une réflexion

Le livre de JC Rouchy " Le groupe espace analytique ", Eres, peut faire l’objet d’une présentation. Il est possible de lui demander de venir

De même Woodbury, que maintenant une dizaine d’entre nous connaissent,( voire lettre n°2) avait constitué avec plusieurs familles de psychotiques un ‘groupe continu’

Les assistantes sociales polyvalentes de Bondy ont fait un travail d’analyse sociologique de la ville et accepteraient de nous en parler

Pour conclure cette réunion nous demandons à l’ensemble des membres du secteur de réfléchir, et avant le vendredi 6 octobre de faire des suggestions auprès de l’un des 5 membres coordonnateurs Chaltiel, Lecoy, Mansuet, Guillou, Petitit, afin de pouvoir terminer le programme ce jour là pour les 9 autres séances de l’année 2000-2001.

En même temps à chaque séance les soignants d’une unité feront en première partie une présentation clinique.

Je rappelle le Conseil de service bimensuel qui se tiendra vendredi 22 Septembre

Bien cordialement Guy Baillon