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CHRONIQUE HEBDOMADAIRE D’UNE PRATIQUE DE SECTEUR
Secteur 14 de la Seine Saint Denis

Lettre n° 2 – lundi 28 août 2000

Une leçon toute simple de psychiatrie 

Auparavant je donne quelques détails hors sujet pour souligner les filiations de nos démarches.

La rentrée se prépare.

Bonne rentrée à tous ! Pour ceux qui arrivent je les invite s’ils veulent comprendre le fil de cette lettre à se reporter aux lettres précédentes de cet été, à la fois pour préparer la réunion de service de rentrée qui les attend ce Vendredi 8 Septembre au CPBB et pour comprendre pourquoi cette lettre a changé d’intitulé.

Le SERPSY a donc accepté notre challenge de recevoir sur Internet 52 lettres d’une chronique hebdomadaire de secteur. Nous les remercions beaucoup, car c’était notre objectif que de vouloir témoigner de l’expérience que nous vivons avec le déplacement sur le secteur de notre service hospitalier, et c’est certainement dans l’échange avec d’autres équipes à partir du quotidien que nous aurons le plus de chance de trouver les mots justes pour parler de notre travail : les mots qui viennent lors de la rencontre avec une personne et autour des évènements de sa vie. (ceci me rappelle Emmanuel Mounier, Revue Esprit, 1952), ceux qui sont ‘banals’ comme ceux qui sont inattendus. Nous tentons le pari d’arriver à transmettre, simplement, les ‘informations hebdomadaires’ qu’utilise une équipe de secteur lambda, la nôtre, pour coordonner son travail.

Les trois premières lettres sont un peu longues, 4 pages chacune, c’était inévitable pour dresser le cadre. Les suivantes seront plus courtes.

Ci joint coordonnées du SERPSY – serpsy@serpsy.org
http://www.serpsy.org

Mardi dernier nous avions la visite dans notre nouveau centre psychiatrique (le CPBB pour les intimes : centre psychiatrique du ‘bois’ de Bondy, en effet il touche les 10 hectares de bois que la municipalité veut construire) de 5 personnes de l’équipe du XIIIe de Paris, ils sont intéressés par notre nouvel espace, car ils veulent eux mêmes quitter partiellement Soisy et s’installer à Paris pour être eux aussi totalement dans leur secteur. Comme j’ai été interne chez eux en 1966-67, nous avons gardé des liens étroits, je me suis beaucoup inspiré de cette année d’internat pour organiser plus tard notre équipe de secteur ; j’ai toujours considéré qu’ils abritaient l’un des laboratoires de la Psychiatrie de secteur, même s’ils ont constitué en fait le premier " intersecteur " avec 4 équipes ( j’ai apprécié l’enseignement de Paumelle, Diatkine, Racamier, c’est aussi chez eux que j’ai rencontré en 1985 Andréoli qui a été pour notre équipe l’inspirateur du travail autour de la crise, initiant un grand tournant dans notre évolution). Mardi dernier ils nous invitent pour rencontrer le lendemain à Soisy un psychiatre nord américain qui a travaillé dans le XIII° à la demande de Paumelle de 1966 à 1968 : Woodbury, psychanalyste, psychiatre. Je l’avais très peu vu, mais j’avais été fort impressionné par les rencontres de 40 à 50 personnes qu’il animait le mercredi autour des patients qu’il suivait à domicile (en HAD). Mercredi nous sommes allés à 5 à Soisy.

Toujours dynamique avec ses 50 ans de psychiatrie, Woodbury a accepté de nous parler de sa pratique. Dans la salle de conférence avec les 40 participants il a refusé l’organisation de la salle avec ses rangées de chaises qui le mettaient mal à l’aise et nous a forcé à faire un cercle, ce qui facilite les échanges en rendant chacun égal aux autres, puis il a demandé à une participante de venir au centre sur une chaise, et il s’est mis avec sa permission à lui faire un massage sur les muscles du cou et de la colonne cervicale,…il venait de rencontrer un patient et il tenait à nous expliquer que ce que nous prenons chez les patients pour de la pure agressivité était ‘demande de toucher’, précisant les modalités selon lesquelles le fœtus complète son organisation et sa maturation neurologique lentement, rappelant les influences que celui ci reçoit dans le ventre de sa mère pour souligner que l’environnement constamment modèle le sujet, (le père, les voix, les bruits…), mais aussi les nerfs de l’oreille interne qui gère l’équilibre, le mouvement…( ainsi par la suite sommes nous si sensibles au bercement) .

A partir de là, il nous montre toutes les pistes associant la maturation neurologique, la connaissance du corps, la physiologie et la vie psychique, le rôle du toucher lui paraît fondamental dans la rencontre avec les patients qui souffrent gravement, en particulier les psychotiques, d’où l’intérêt des massages (en même temps il pétrit le trapèze de la personne qui avait accepté d’être son partenaire, jusqu’à ce qu’elle exprime sa douleur, et continuant ce pétrissage le long de la colonne puis des bras pour libérer les endorphines musculaires qui manifestement détendent le sujet, enfin il retrouve des points d’acupuncture sur le crâne avec ses doigts…)

Ce travail du toucher effondre les agressivités les plus coriaces, il est utile et justifié non seulement dans la pratique psychiatrique mais dans la pratique psychanalytique ; il évoque ensuite sa pratique des ‘packs’ (enveloppements humides) en insistant sur le fait que massages et packs peuvent être réalisés aussi bien dans les espaces de soin, qu’au domicile, ils peuvent aussi après apprentissage être réalisés par des non soignants et entre personnes d’une même famille. Il aime bien installer ses patients dans un hamac, le bercement facilitant le travail psychique…

Je vois vos cheveux se dresser sur vos têtes, vous lecteurs de cette lettre, mais ce sur quoi notre ami Woodbury insiste c’est l’importance du lien humain, de la rencontre qui s’établit entre une personne qui souffre et un soignant, il revendique l’égalité des capacités thérapeutiques des soignants, car c’est la personnalité de chacun qui s’engage. Il fustige la psychiatrie classique et sa surcharge stigmatisante qui oblige à ne commencer un soin qu’après avoir posé et décidé fortement un diagnostic, le DSM IV a aggravé la situation en donnant aux généralistes la possibilité de croire qu’une molécule était adaptée à chaque symptôme et suffisait pour guérir.

Il se déclare au passage très hostile à la prise de pouvoir de l’industrie pharmaceutique et affirme que si l’on prend son temps et si l’on est déterminé on peut se passer des médicaments dans un certain nombre de situations. Il a ici le même point de vue que Bonnafé qui depuis plusieurs années reprend des propos anciens où il affirmait que la découverte des neuroleptiques a décapité la pratique et la réflexion cliniques qui se faisaient autour du travail relationnel et autour des approches corporelles dans les années 40 – 50. tous les deux nous stimulent pour retrouver confiance en nous et en la force de nos personnalités dans nos engagements relationnels avec les patients dans un climat qui soit d’abord humain.

Surtout dans ce travail du toucher il met en évidence que cela désamorce toute érotisation de la relation par ce pétrissage musculaire profond, alors que c’est précisément cette crainte d’érotiser qui pétrifie si souvent les soignants devant toute approche corporelle.

Nous lui demandons aussi de nous reparler de son activité à Paris dans cette équipe du XIIIe et des soins à domicile lors de son séjour antérieur : il nous précise que l’on ne peut soigner quelqu’un sans se préoccuper de sa famille et s’appuyer sur elle, une personne déprimée doit pouvoir s’appuyer sur sa famille sinon l’entreprise thérapeutique est imprudente. L’espace psychiatrique est souvent stigmatisant ; le domicile est le lieu naturel du patient, c’est là que nous pouvons faire le mieux connaissance avec lui, c’est là que nous rencontrons la famille, ce n’est pas une intrusion que de chercher à le rencontrer là, tout dépend de notre attitude : nous venons à plusieurs avec spontanéité en étant à l’aise pour que le patient ne se sente pas gêné. Au lieu d’entrer en force et de s’imposer, n’est il pas préférable de dire : " Est ce que vous êtes sûrs qu’on ne vous dérange pas ? Nous pouvons revenir " " On vient, mais on ne veut pas vous déranger, on ne va peut être pas rentrer ? " Puis on prend le temps de parler, mais on peut aussi faire des massages, on peut faire des packs à domicile… Il faut qu’il y ait un retour, il faut dire aussi au patient et à la famille que nous les recevons aussi quand ils le veulent dans notre espace à nous, c’est pour cette raison que dans le XIIIe ils avaient organisé un ‘grand groupe’ une fois par semaine et dans un petit local à part dans le dispensaire un ’groupe permanent’ ou ils pouvaient venir quand ils voulaient (on voit que la liberté d’être fou qui pousse certains soignants à dire que l’espace de l’asile est nécessaire, est pour Woodbury, l’espace du domicile étendu à plusieurs autres espaces dont des espaces de soin, la folie accompagnée dans la ville est reconnue comme vivable). Là encore ce que revendique Woodbury, c’est une simplicité de liens, de communications, de rencontres

Au total cette rencontre avec un monsieur qui depuis 50 ans continue à avancer sans s’inquiéter des tabous apporte un enseignement humain pour que la psychiatrie apprenne à être humaine bouscule nos habitudes et nos rigidités

Nous comprenons que la Psychiatrie de secteur peut affirmer l’ampleur du changement qu’elle propose, car elle a en mains les meilleurs atouts dans la proximité, mais cela passe par un certain nombre de remises en cause :

Comme aujourd’hui par exemple ce point d’orgue sur l’importance du corps aussi bien dans la rencontre, que dans les moments de grande violence qui peuvent être compris, non pas comme agressivité, mais comme recherche du contact corporel, du toucher, lesquels rassemblent le sujet dont les perceptions profondes explosent

Comme cette prise en compte de la famille, partenaire indispensable des échanges

Comme cette reconnaissance du domicile, qui constitue un lieu naturel de rencontre

Si nous ne nous engageons pas dans de telles démarches, nous pouvons nous demander si nous ne restons pas dans l’idéologie de la psychiatrie classique laquelle n’ose rien faire sans commencer par prononcer un diagnostic et s’entourer de secret, donc elle classe, sépare et se préoccupe en premier lieu du confort du …soignant !

La rencontre avec Woodbury est une confiance en l’homme et ses capacités créatrices. Nous aurons l’occasion d’en reparler ; dans notre équipe il y a depuis 20 ans des soignants autour de Claudie Cachard, psychanalyste, se sont formés aux approches corporelles, mais ils restent peu nombreux, pourquoi pas tous ? Il y a aussi des soignants qui sont à l’aise dans les soins à domicile, d’autres qui sont hostiles aux deux, pourquoi ? Il y a des adeptes des thérapies familiales, il y a quelques soignants aussi qui s’efforcent d’être toujours disponibles aux familles, mais beaucoup les fuient encore, pourquoi ?

Est ce qu’une " équipe de secteur " ne peut pas s’interroger alors sur l’impression que ces désaccords non dits à l’intérieur d’une même équipe entraînent comme conséquence sur ces patients et ces familles qui rencontrent les uns après les autres ces différents soignants ? Que pensent ils d’une psychiatrie aussi disparate ? Et que pensent ils de ces différences aussi lorsqu’elles se montrent fortes entre deux équipes de secteur voisines ?

Pouvons nous nous satisfaire de dire que chacun d’entre nous a des habitudes (c’est à dire un confort qu’il ne veut pas abandonner par peur, peur de quoi ?)  ? Notre éthique ne nous interroge t elle pas ici ?

A ceci près comme dit Woodbury que nous ne faisons bien que ce que nous aimons faire, même dans le ‘service public’ (c’est le comble).

Une fois de plus cette intrusion d’un collègue dans notre réflexion nous a forcé à réfléchir et nous a stimulés, mais nous n’étions que 5 à la vivre : P Chaltiel, M.A Rennevot, A.M Lepoulichet, et M Decourt.( 3 psychiatres, une infirmière, une psychologue) Et les autres membres de l’équipe ? Comment une " équipe " avance-t-elle ?

Nous continuons nos rencontres avec l’équipe du XIIIe en octobre ; elles devraient déboucher sur l’organisation d’une journée sur le " travail à domicile " en psychiatrie.

La question de la " continuité des soins " n’a pas été close par la lettre précédente, elle a seulement été ouverte

Mon hypothèse est la suivante : pour réaliser la psychiatrie de secteur, il a fallu commencer par accepter de sortir de l’hôpital et nous transporter sur le secteur, et pour ne pas tout mettre au même endroit, nous disperser en plusieurs espaces facilement accessibles. Mais au lieu de poursuivre notre évolution, nous nous sommes arrêtés en chemin, nous avons consolidé ces espaces de transition et nous avons tout fait pour les perfectionner et pour les différencier les uns des autres. Le résultat est la réalisation de soins discontinus, la continuité n’est plus restée notre objectif primordial. Maintenant que nous avons enfin quitté en totalité l’hôpital, il nous est possible d’effondrer les cloisonnements entre unités de soin différenciées pour établir une vraie continuité des soins : c’est notre tâche actuelle. Comment faire pour que les soins successifs que reçoit un patient puissent être vécus par lui de façon active, comme sujet, et qu’ils les vivent comme des expériences qui l’enrichissent parce que justement à chaque soin il " acquiert " quelque chose de nouveau qui l’enrichit. Mais comment transmettre et quoi ? si ce n’est par des ‘passages’ associant deux soignants, l’un ancien, l’autre nouveau avec la participation active du patient. " Ce que vous décrivez est simplement une psychiatrie humaine ", m’a dit notre directeur ce matin en m’écoutant… il a de l’oreille celui là.

 

La réunion de rentrée-séminaire du 8 Septembre, je vous le rappelle, a comme thème général " la place du Groupe dans notre activité thérapeutique, et les interactions entre le travail thérapeutique individuel et le travail thérapeutique de groupe ".

Patrick Chaltiel en a fait une première annonce résumant la dernière réunion de juillet.

Il nous reste à nous répartir tous les premiers vendredis de chaque mois.

Nous aurons aussi la chance de rencontrer plusieurs nouveaux membres de l’équipe.

Nous espérons nous y voir tous.

Bien cordialement. Guy Baillon