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CHRONIQUE HEBDOMADAIRE D’UNE PRATIQUE DE SECTEUR
Secteur 14 de Seine Saint Denis


Lettre n° 11.. Lundi 6 novembre 2000

Le groupe recherche

Un bien grand mot pour une équipe de psychiatrie de secteur " de base ",voulant simplement ‘défricher’ son terrain.

La notion de Recherche s’est imposée à nous lorsque, ayant fait le projet de créer des structures de soin différenciées, (en 1977), et les ayant pour l’essentiel réalisées, (en 1982), nous nous sommes interrogés sur leur validité. Dans le même temps il nous paraissait essentiel que cette réflexion soit partagée par tous les membres de l’équipe du secteur.

Les paradoxes de cette proposition

Faire une recherche, c’est au moins limiter le regard et le travail à un champ très précis d’une activité pour diminuer le nombre de paramètres risquant de complexifier l’étude, c’est aussi isoler des personnes, dites chercheurs, du contexte général pour leur permettre de se polariser sur l’objet de la recherche. Cette affirmation générale et approximative de ma part montre pourquoi les gens de terrain sont en général éliminés de la Recherche : ainsi cette année une grande recherche est lancée par la MIRE (ministère de la recherche et de l’emploi) sur la psychiatrie de secteur : ont été convoqués des chercheurs patentés, (sociologues universitaires), et ont été éliminés les acteurs de terrain que sont les équipes psychiatriques car " manquant de sérieux sur le plan de la recherche ", donc invalidés. Pourtant j’affirme que la Psychiatrie de secteur est encore très incomplètement réalisée et que la mettre sous le microscope de personnes qui ne sont pas au fait de ses objectifs cliniques et de cette évolution est un très grand risque ; en effet son analyse va être menée selon des options extérieures qui vont la déformer, alors que ce qui importe aujourd’hui c’est de soutenir la combativité et l’invention chez les acteurs eux mêmes pour qu’ils continuent à la réaliser avant de l’analyser. On voit que mon affirmation est pleine de contradictions …puisque je soutenais l’absolue nécessité d’une recherche dans notre équipe dès le début. Un exemple de ceci nous a récemment été rappelé (cf. Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, n°24, juin 2000, - Brian Martindale " une grande enquête fut menée sur les effets de la psychanalyse dans les psychoses par May en Californie dans les années 70 : on y prouvait que la psychanalyse était inefficace,….enquête réalisée par des personnes non expérimentées en psychanalyse ! ")

Cette démarche de " recherche " nous est apparue indispensable pour plusieurs raisons : -nous étions (et sommes encore) en train de ‘défricher’ un terrain de travail inconnu (le ’travail de secteur’), les soignants doivent y accepter la ‘précarité’ de leur travail, lui apporter leur intérêt et en même temps ne pas aussitôt se retrancher derrière le bien fondé de leur action réalisée pour la défendre comme ‘intouchable’ mais en accepter la nécessaire évolutivité, -nous avons, dans toute équipe, à expérimenter de façon parallèle plusieurs modalités de travail qui doivent donc être connues de chacun des soignants de l’ensemble de l’équipe de secteur et pas seulement par les seuls acteurs de chaque unité de soin, -nous avons à travailler leur complémentarité, en effet au départ (1971) nous avions seulement le service hospitalier à Ville-Evrard (92 patients dans 3 pavillons) et un dispensaire à Bondy, puis plus tard l’hôpital de jour (1979) et l’unité d’Accueil (1982) (et en ambulatoire les petites unités de personnes âgées et de thérapie familiale) : alors comment expliquer qu’il est utile pour tel et tel patient de les utiliser successivement (ou pas) ? d’y recevoir des soins différents ?, comment inciter les soignants à prendre acte de l’efficacité (ou de l’inefficacité) de telle et telle modalité de soin ?, comment faire partager par l’ensemble de l’équipe les transformations à décider, pour ces raisons, sur telle unité de soin ou sur…l’ensemble ?Nous devions prendre en compte le fait que nous avions à expérimenter tout ce que nous mettions en place progressivement.

Pour soutenir cette démarche, nous avons pris plusieurs décisions : -créer ce groupe de Recherche, -ouvrir un cycle de formation interne, - installer une instance de concertation (conseil anticipant le conseil de service pour discuter ces décisions).

Le groupe de Recherche s’est donné plusieurs buts : d’abord proposer à l’équipe (et aux tutelles) une représentation de l’ensemble de l’activité de l’équipe et de l’utilisation des différentes unités de soin. Précisons que nous avons continué ce travail jusqu’à cette année grâce à des efforts considérables de l’ensemble de l’équipe. Nous avons pu avoir l’appui d’un chercheur de l’INSERM, le docteur Nicole Quemada, nous avons voulu obtenir un appui informatique et avons eu un appui de notre collègue Pénochet de Montpellier, puis du service informatique débutant de Ville-Evrard, avec lesquels nous avons dû cesser nos échanges car ils étaient submergés par d’autres tâches ; nous avons dû nous tourner vers de jeunes ingénieurs extérieurs qui ont réalisé un logiciel, ‘Secteur-Psy’ fonctionnant correctement depuis 1990 ; ce logiciel avait aussi l’avantage, à notre demande, de mettre en évidence la " trajectoire de soin " d’un patient, par année, par exemple. Je dois préciser que si nous n’avions pas reçu l’aide d’une Association et d’un Laboratoire ce logiciel n’aurait pas vu le jour. En effet à chaque demande d’aide de notre part nous avons rencontré un refus du Directeur, puis du DIM, et l’indifférence de la communauté médicale. (Il est quelques sujets sur lesquels nos administrateurs sont très jaloux, ainsi en est il des chiffres, -et la pression des tutelles sur les données chiffrées est telle que les meilleurs directeurs osent dire que vouloir en concevoir la forme de recueil ne regarde pas les soignants !, manifestement cela empêche de penser les directeurs !). Il y a là un combat que les psychiatres n’ont pas toujours su mener, pourtant c’est de lui que dépend la survie de la psychiatrie : ces chiffres vont montrer à l’opinion que la psychiatrie de secteur est efficace ou ne l’est pas. C’est ainsi que nos collègues qui se sont fait nommer DIM ont, la plupart, abandonné la pratique clinique et sont passés dans le camp administratif pour accepter de découper toutes nos activités en séquences minutées, ce qui est une totale perte de sens sur le plan du soin (on se met à vendre des tranches de temps…alors que seul le contenu du soin a une valeur, et ce qui importe aussi dans le soin en psychiatrie c’est son déroulement, ses articulations avec toute une suite de paroles, de faits, de gestes, c’est le fil conducteur de la démarche de soin qui importe et ses liens…ce n’est certainement pas le minutage !). Ce que nous devons soutenir c’est la qualité d’engagement personnel des soignants dans le soin, et il est essentiel qu’une recherche se fasse sur l’évaluation par chaque soignant ; le minutage les en détourne et pervertit le soin. Le PMSI est là une totale absurdité et constitue un acte pervers contre la psychiatrie.

Pour en terminer avec ce conflit, en fait très grave pour la psychiatrie, la seule chose que nous devrions promouvoir dans le domaine des chiffres serait de préciser deux chiffres de notre file active annuelle : le nombre de patients pour lesquels quelques interventions ont suffi pour retrouver un fonctionnement personnel et relationnel atténuant leurs souffrances de façon " suffisante ", et le nombre de ceux pour lesquels une " continuité des soins " a été ‘installée ; il suffit de les compléter par les précisions concernant les stratégies de soin utilisées, ce qui peut être facilement représenté par la ‘trajectoire de soin’ de chaque patient ( donnant le temps de séjour du patient dans chaque structure de soin) ; par ailleurs chaque équipe précise en début de chaque année de façon ‘forfaitaire’ l’intensité de soin propre à chaque structure (et en multipliant ce forfait et la durée de séjour on obtient une donnée comptable amplement suffisante sans avoir perverti les préoccupations des soignants). Elémentaire mon cher Watson !

Notre groupe Recherche a eu pour fonction dans notre évolution, outre cette proposition d’une représentation de l’activité de l’équipe utile pour prendre des décisions, d’approfondir certaines de nos démarches thérapeutiques : ainsi nous avons étudié -notre politique générale de soin ; -puis notre unité d’Accueil et nos attitudes devant l’urgence en psychiatrie, soulignant l’intérêt de rencontrer la famille, le généraliste, l’importance d’un ‘courrier’ adapté à cette situation ; -nous avons tenté de comprendre ce que les nord américains appellent " qualité de vie ", et nous avons mené une étude sur la qualité de vie des patients dits ‘schizophrènes ; -auparavant nous avions tenté de cerner ce que nous pouvions appeler " début " des troubles dans la schizophrénie (en fait impossible à cerner), et quelle pouvait être une stratégie de début des soins adéquat. A chaque étape ce qui nous manquait le plus était un minimum de " méthodologie " nécessaire pour donner le minimum de valeur utile à ces démarches, l’appui de Nicole Quemada a été tout au long de ces années considérable. Notre conclusion serait que cette démarche de " recherche " est essentielle pour toute équipe de secteur, car celle ci a besoin de valider ses efforts, et doit trouver les moyens de comparer avec ceux d’autres équipes. L’objectif essentiel de la recherche de haut niveau devrait donc être, plutôt que de tenter de se substituer aux équipes de terrain, d’étudier les méthodes que devraient utiliser ces équipes pour que leurs démarches de recherche de terrain soient valides.

Ainsi la seule question que les Tutelles devraient poser aux équipes de secteur serait celle là : " Avez vous constitué un ‘groupe de recherche ? quelles questions se pose ce groupe ? " avant de parler de chiffres !

Cette année, depuis l’arrivée de notre service hospitalier en ville, nous avons été frappés par les changements que nous percevions dans les attitudes thérapeutiques dus à cette nouvelle mise en situation et par leurs conséquences. Nous avons perçu que les hospitalisations avaient trouvé un autre sens et que cela avait retenti sur l’ensemble du secteur. Nicole Quemada, interrogée en juin , nous a invités à cerner notre réflexion sur deux points : si nous voulions décrire en finesse ce qui se passait autour de l’hospitalisation, elle a confirmé que l’idée d’un film était pertinente et devait être travaillée ; et par ailleurs elle nous a invités à élaborer une enquête sous forme de questionnaire proposé aux patients, à leur famille, aux infirmiers, à l’entrée et à la sortie (leurs troubles et la qualité des soins) ; cette étude est en cours.

De plus lors de la réunion du groupe Recherche d’octobre, Patrick Chaltiel a tenu, avec raison, à ce que soit soutenu le travail de concertation que nous menons depuis 3 ans avec plusieurs généralistes pour préciser quelle peut être une " co-thérapie " psychiatre-généraliste autour de psychotiques suivis au long cours : a donc été décidé un " travail d’évaluation " sur d’une part les troubles présentés par les patients, d’autre part les implications thérapeutiques des deux co-thérapeutes, implications soit séparées soit conjointes. Cette étude une fois de plus aura des retombées, car cela éclairera un point aveugle bien qu’au centre de notre activité thérapeutique : nous sommes constamment en train de souligner la nécessité d’associer les efforts thérapeutiques de plusieurs soignants pour les patients dits psychotiques, mais nous précisons peu de choses sur la réalité et le contenu de ces " co-thérapies " ; nous nous contentons dans la plupart des cas de ’dire’ que nous sommes plusieurs à traiter un patient, mais nous ne précisons pas comment nous pensons que ces enchaînements de soin se réalisent et se …’justifient’ ; c’est pourtant l’un des points centraux de la ‘continuité des soins’. Actuellement l’équipe se penche de plus en plus sur le contenu de ce que nous appelons les ‘passages’ et nous nous lançons dans l’éclaircissement de ce que sont les ‘groupes’. Ceci est un appel à participation, car ce groupe a besoin d’acteurs ; il se réunira les derniers mercredis de chaque mois : les 20/12, 24/1, 28/2, 28/3, 25/4, 30/5, et 20/6 au CPBB à 9h30

Et certains voudraient faire croire que nous ne nous préoccupons pas d’évaluer ce que nous faisons !

Rappel du séminaire du service de vendredi 10 nov. sur le ‘groupe d’appui’ et avec JC Rouchy, 9h au CPBB Non seulement ce séminaire est intéressant, mais c’est une obligation de service,… ce que les ‘nouveaux’ de l’équipe ne savent pas encore (ces derniers se réunissent aussi le lundi 13 nov à 9h30 au CPBB).à chacun d’aménager son planning de travail pour y inclure cette demie journée.

Bien cordialement

Guy Baillon