1er
juillet 1988: Me voilà infirmière de secteur psychiatrique. L'étiquette IDSP
remplace élève infirmière sur la poche gauche de ma blouse.
Ces lettres
signifient ça y est, je peux appliquer mon savoir, mes connaissances dans
l'exercice de ma profession. Mais pourquoi soudain ai-je l'impression de ne
rien savoir ?
Deux ans de psychiatrie dans un service
« d'oligophrènes », nous ne voyons ni médecins, ni psychologue et je me sens
livrée à mon seul ressenti qui, quelquefois me trouble et me fait peur. D'où
vient cette violence ?
Je fuis.
Je travaille
ensuite dans un service d'alcoologie qui se crée. Je me forme à la sophrologie,
à la relation d'aide. Je me rencontre. Et je commence à rencontrer l'autre.
Puis viennent
les années de travail en CMP : les personnes que l'on rencontre
durant des années, le soin au quotidien.
Une « famille »
de soin. Un groupe de femmes psychotiques que je vois en relaxation une fois
par semaine pendant cinq ans. Quelles rencontres !
Patrick, quand
trop agressé par les « transparents » tu venais nous confier ta peur.
Sonia, qui dans
le soin d'un pack évoquant ton premier soir de bal habillée d'un
tee-shirt « Apocalypse now ».
Mohamed, qui me
confiait son homosexualité en murmurant les yeux fermés...
Que de visages !
Que de
souffrances recueillies, accueillies, écoutées, respectées... Que de
soulagement. Un mot, un seul et la vie peut continuer. Quelquefois, pour
certains elle s'est arrêtée. Trop de douleurs, d'incompréhensions, de mystères.
Et pour nous soignants : pas
assez.
Questions, remise en question, épuisement et puis espoir.
Puis vint le jour où il fallut
caser, classer, répertorier, noter, prévoir, cibler.
D'une rencontre naissait une DAR :
Donnée Action Résultat.
D'un secret l'angoisse de la page blanche.
C'était pour le
bien de la profession, pour la reconnaissance de notre travail...
Pour cela, il fallait couper court à une parole afin de
pouvoir la retranscrire.
Alors je suis partie.
J'ai découvert le monde de
l'insertion du fond de ma petite infirmerie d'un CHRS (Centre d'Hébergement et
de Réinsertion Sociale.) J'ai découvert l'obligation faite à des hommes de
s'insérer professionnellement alors qu'ils sont abattus, essoufflés, noyés,
perchés, en quête de sens.
Mais avant il fallait les « soigner »
Alors merci Ali, Gifles, Pierre, Louis, Ibra et les
autres...
Merci de m'avoir appris que le soin
n'est pas quelque chose que l'on dispense mais bien quelque chose que l'on partage.
Ma volonté de votre mieux être
rencontra souvent votre impuissance à aller mieux.
Quels est le sens des maux ?
Vers quoi mène la guérison ?
Peut être est-ce pour percer ce mystère qu'aujourd'hui je
travaille dans la rue.
Attachée à une équipe mobile de psychiatrie précarité, je ne
cesse d'aller à la rencontre et de tenter de comprendre les secrets des hommes.
Que fuit-on dans l'errance ? Et dans la folie ?
Rencontres bouleversantes, dérangeantes...
Mais si la pression sociale arrive à
imposer à la psychiatrie de sortir du
soin pour contenir les disfonctionnements humains de tout ordre alors Je m'en irais
En attendant je résiste.