Le Moigne Patricia
Association SERPSY
Soins, études et recherches en
psychiatrie
Objet : témoignage / « L'ECRITURE
QUI SOIGNE LE SOIN »
Paris, le 26 mars 2009 Chère Madame, Cher Monsieur,
Je ne sais plus
dans quel sens mettre les mots.... quel sens donner aux maux... qui font échos
dans ma tête, moi
l'épouse qui souffre de l'absence de considération du corps médical pour la
maladie de son mari, d'un malade à
perpétuité.
Tout à commencé
un 22 février 1992. Ce jour là, en accompagnant mon mari aux urgences d'un
hôpital, j'étais loin d'imaginer dans quel monde j'allais entrer. Le choc a été
violent et le demeure toujours autant à chaque nouvelle hospitalisation.
II m'est impossible d'oublier cette
première rencontre avec cet endroit que l'on appelle psychiatrie, lieu où les patients ne peuvent même plus hurler leurs
souffrances tellement ils ont été domptés à grands renforts d'antipsychotiques
aux effets secondaires dévastateurs, ils peuvent juste errer en pyjama bleu
dans les couloirs l'air livide, l'air de rien, baveux, tremblant, aux
yeux sans vie... attendant l'heure du repas ou les trop rares visites.
Mon mari deviendra l'un d'eux.
II rejoindra
cette promiscuité où les patients s'occupent comme ils peuvent restant là
hébétés devant une télévision, consumant cigarettes sur cigarettes ou faisant
d'interminables allers-retours dans les couloirs. L'absence d'activité
thérapeutique enferme plus encore les patients dans leurs isolements et leurs souffrances,
les enchaînant ainsi à une oisiveté forcée durant des mois, des années ou à vie
pour certains.
J'ai vu un mari
tellement « bourré de sédatifs » qu'il était dans la quasi impossibilité de se
lever de son lit et ce
durant des mois, macérant dans son urine, laissant apparaître un corps mutilé
par les escarres, son esprit livré à de
terribles angoisses dans la plus grande indifférence, n'ayant plus aucune
faculté de discernement, de réflexion, avec des émotions complètement
anesthésiées, avec une élocution rendue pénible, d'inquiétants troubles de la
vue et de la mémoire... en cause cette camisole chimique aliénante physiquement
et psychologiquement qui marque à vie et ces petits chefs de service aux
allures condescendantes quand on ose remettre en question le programme
de soins et quand on pointe du doigt les
nombreuses négligences, nous font ressentir une menace qui n'est jamais loin de
s'exécuter...l'HO (l'hospitalisation sous contrainte), la chambre d'isolement
qui exclue et fragilise plus encore le malade, les privations de visite, les
appels téléphoniques interdits, les injections forcées... accompagnés de
petites phrases que l'on s'entend dire "c'est pour son bien"... alors
qu'il suffirait de mettre au coeur de la thérapie : l'estime et la dignité du
patient, de prendre le temps de l'écouter, d'échanger avec lui, de rendre à ce
lieu la parole, pour que le malade se sente compris et surtout EXISTER.
EXISTER, ce mot est aussi
vide de tout sens pour les proches que l'on abandonne là, face à leurs
interrogations, en proie à des doutes et des inquiétudes sur la maladie et son
évolution.
Face à nous un
silence douloureux ou parfois une explication lancée comme une évidence « c'est
génétique », elle est sensée taire ainsi toutes questions puisque c'est une
évidence.
Cette
explication « facile » privilégie d'amblée une préférence pour un suivi
médicamenteux plutôt que l'instauration d'un vrai relationnel entre
soignants-patients-proches.
Ce choix
médicamenteux évite ainsi de considérer plus avant les histoires personnelles,
réduisant par conséquence le temps de suivi des patients qui n'a d'autre but
que celui de satisfaire la course au temps dans une société toujours plus
pressée et de contourner la problématique du manque de personnel.
Je déplore que la
mission des psychiatres se résume trop souvent à d'interminables prescriptions
d'ordonnance qui relèvent parfois d'une véritable panoplie de petit chimiste.
La psychiatrie-business fait ainsi la part belle aux
laboratoires de santé, aux médecins de villes qui prennent des tarifs de
consultation jugés exorbitants, aux hôpitaux psychiatriques privés qui
accueillent leurs malades « élites »...
Ces inégalités dans le rapport au soin
se font également ressentir dans la carte de la sectorisation hospitalière.
Les sept hospitalisations de mon mari en
psychiatrie nous ont toujours renvoyé comme un boomerang à la même adresse
d'hôpital (à trois heures aller-retour du domicile) que nous tentions
désespérément de fuir. Partir, fuir ces locaux délabrés où les peintures grises
s'écaillent, où les lits en fer scellés au sol sont trop petits pour la plupart
des patients, où les barreaux aux fenêtres rappellent combien il sera difficile
de s'en sortir...
Aujourd'hui, cet hôpital du 18ème arrondissement
de Paris a fait « peau neuve » (juste la peau !), il a été transféré à 10
minutes du domicile. Désormais, les malades pourront être internés dans un
bunker flambant neuf.
Les barreaux aux fenêtres ont été remplacés par des fenêtres hermétiques
à tout, les ascenseurs sont codifiés, il faut passer des SAS de contrôle, ensuite il faut franchir
des portes hautement sécurisées dans un
véritable labyrinthe de couloirs, après il y a encore un gardien qui veille sur
le temple de la psychiatrie, les identifications des entrants sont
zélées, le dépôt des papiers d'identité et les autorisations de visites donnent la très pénible impression d'être plus encore
coupée de la société.
Ce lieu confiné accentue l'état d'enfermement, où les patients aux
pathologies confondues évoluent en vase clos en n'ayant aucune possibilité de
sortir, ne serait-ce que la possibilité de faire une promenade dans le « jardin
» de l'hôpital pour respirer un peu l'extérieur... est-ce si difficile
d'humaniser l'hôpital ?
Pour ce qui est des services sociaux et administratifs rien n'a changé !
Leurs interventions quand elles ne sont pas inexistantes demeurent trop
aléatoires. Et pourtant ces services ont aussi un rôle important à jouer dans
l'accompagnement et la réinsertion d'un patient qui séjourne souvent plusieurs
mois dans ces structures.
II est bon de rappeler qu'un patient n'est pas toujours apte et n'a pas
toujours un entourage sur qui compter pour gérer des situations d'urgences
administratives comme le paiement de loyers et d'autres factures, l'envoi d'un
arrêt de travail auprès d'un employeur pas toujours au courant de la situation,
etc.
A leur sortie d'hôpital, les conséquences pour des
malades qui restent vulnérables peuvent conduire à de dramatique situation de
détresse qui ont parfois comme seule issue le retour à la case hôpital.
Je souhaite conclure ce courrier en soulignant le travail remarquable de
certaines associations qui avec leurs petits moyens font de grandes choses pour
informer, témoigner, rassurer, rassembler... et aussi de certains soignants
(hors secteur) qui portent encore mes espoirs pour donner à la psychiatrie un
caractère plus humain.
En vous remerciant de l'attention que vous aurez bien voulu accorder à ce
courrier, veuillez croire, Chère Madame, Cher Monsieur, à l'assurance de ma
haute considération.
Lé Moigne Patricia