Poitiers le 11 décembre
2008
Monsieur le Président de la
Chose Publique,
Paul Eluard écrit dans
Souvenirs de la Maison des Fous « ma souffrance est souillée ».
Après le meurtre de
Grenoble, votre impatience à répondre dans l’instant à l’aspiration au pire,
qu’il vaudrait mieux laisser dormir en chacun d’entre nous, et que vous avez
semble t-il tant de difficulté à contenir, vous a amené dans votre discours du
2 décembre à l’hôpital Erasme d’Antony à souiller la souffrance de nos
patients.
Erasme, l’auteur de «
L’Eloge de la Folie » eut pu mieux vous inspirer, vous qui en un discours avez
montré votre intention d’en finir avec plus d’un demi siècle de lutte contre le
mauvais sort fait à la folie : l’enfermement derrière les hauts murs, lui
appliquant les traitements les plus dégradants, leur extermination en premier,
quand la barbarie prétendit purifier la race, la stigmatisation au quotidien du
fait simplement d’être fou.
Vous avez à Antony insulté
la mémoire des Bonnafé, Le Guillant, Lacan,
Daumaison et tant d’autres,
dont ma génération a hérité du travail magnifique, et qui ont fait de leur
pratique, œuvre de libération des fécondités dont la folie est porteuse, œuvre
de libération aussi de la pensée de tous, rendant à la population son honneur
perdu à maltraiter les plus vulnérables d’entre nous. Lacan n’écrit-il pas « l’homme
moderne est voué à la plus formidable galère sociale que nous recueillions
quand elle vient à nous, c’est à cet être de néant que notre tâche quotidienne
est d’ouvrir à nouveau la voie de son sens dans une fraternité discrète, à la
mesure de laquelle nous sommes toujours trop inégaux ».
Et voilà qu’après un drame,
certes, mais seulement un drame, vous proposez une fois encore le dérisoire
panégyrique de ceux que vous allez plus tard insulter leur demandant
d’accomplir votre basse besogne, que les portes se referment sur les cohortes
de patients.
De ce drame, vous faites
une généralité, vous désignez ainsi nos patients comme dangereux, alors que
tout le monde s’entend à dire qu’ils sont plus vulnérables que dangereux.
Mesurez-vous, Monsieur le
Président, l’incalculable portée de vos propos
qui va renforcer la
stigmatisation des fous, remettre les soignants en position de gardiens et
alarmer les braves gens habitant près du lieu de soin de la folie ?
Vous donnez consistance à
toutes les craintes les moins rationnelles, qui désignant tel ou tel,
l’assignent dans les lieux de réclusion.
Vous venez de finir
d’ouvrir la boîte de Pandore et d’achever ce que vous avez commencé à
l’occasion de votre réplique aux pêcheurs de Concarneau, de votre insulte au
passant du salon de l’agriculture, avilissant votre fonction, vous déprenant
ainsi du registre symbolique sans lequel le lien social ne peut que se
dissoudre. Vous avez donc, Monsieur le Président, contribué à la destruction du
lien social en désignant des malades à la vindicte, et ce, quelques soient les
précautions oratoires dont vous affublez votre discours et dont le miel et
l’excès masquent mal la violence qu’il tente de dissimuler.
Vous avez donc, sous
l’apparence du discours d’ordre, contribué à créer un désordre majeur, portant
ainsi atteinte à la cohésion nationale en désignant à ceux qui ne demandent que
cela, des boucs émissaires, dont mes années de pratique m’ont montré que
justement, ils ne pouvaient pas se défendre.
Face à votre violence, il
ne reste, chacun à sa place, et particulièrement dans mon métier, qu’à résister
autant que possible. J’affirme ici mon ardente obligation à ne pas mettre en
œuvre vos propositions dégradantes d’exclure du paysage social les plus
vulnérables.
Il en va des lois comme des
pensées, certaines ne sont pas respectables. Elles peuvent être légales mais
illégitimes, la révolte est donc un grand devoir.
Je ne respecterai donc pas
celle dont vous nous annoncez la promulgation prochaine.
Veuillez agréer, Monsieur
le Président, la très haute considération que je porte à votre fonction.
Le marchand d'Histoires,
Fabricauteur, voire pire si affinités .