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Madame La Ministre,

 

Monsieur le Président de la République, dans son discours du 2 décembre a dit «  Un schizophrène est, avant toute autre considération, une personne malade ».

Un peu plus tard, dans ce même discours, il a ajouté «  l’espérance, parfois tenue, d’un retour à la vie normale, ne peut primer en toutes circonstances sur la protection de nos concitoyens ».

 

Je travaille en psychiatrie adulte depuis des années, et avant toute considération, ce qui soutient mon écoute, une rencontre singulière permettant le soin, c’est mon désir de m’adresser à un autre dans son humanité et dont la folie n’est à priori, ni un délit ni une atteinte de la protection des concitoyens, ni  d’ailleurs une atteinte de son humanité.

La folie est humaine. Ce point est essentiel.

« Le retour à la vie normale » posé  comme seule espérance pour un patient, pour citer Monsieur le Président, tout comme son appellation «  un schizophrène » relèvent d’un point du vue qui en aucun cas ne peut  prétendre représenter autre chose que le discours d’un homme, même Président, à l’évidence, trop effrayé pour voir, au delà de la folie, l’humanité dans ses différences, sa vulnérabilité, et parfois  sa richesse.

J’écoute des patients donc j’écoute des hommes.Ils bousculent les normes, ils m’apprennent  à entendre autre chose que mon propre discours, que ma subjectivité bornée, il n’y pas de vérité indiscutable sauf à vivre dans un état totalitaire. « Le retour à la vie normale  »  réductrice dans son espérance ( en quoi être normal est-il un  unique espoir ?) devrait laisser place plutôt à la possibilité pour chacun de mener la vie qu’il entend mener avec le moins de souffrance possible.La normalité est souvent peine perdue, et misère redoublée dans une société où normalité rime avec production, efficacité et compétence.

Je n’écoute pas « des schizophrènes », parcequ ‘il n’est pas pas possible de les enfermer dans le langage même.Toutes les normes, nous le savons bien, sont aléatoires, et  dérisoirement relatives. Y aurait-il donc deux catégories d’hommes : les schizophrènes et les non schizophrènes ?Suggestion effrayante !

« Le retour à la vie normale », qu’est-ce au juste ? Prenons un peu d’altitude sur de tels énoncés.

Soigner, c’est aussi reconnaitre que certains n’ont pas comme d’autres, le désir, la possibilité de travailler ou de mener d’autres projets dits « normaux », cela ne fait pas nécéssairement sens pour eux .Par ailleurs ceux qui travaillent, notamment en CAT,sont souvent payés beaucoup moins que les gens dits- normaux !

Si les droits de l’homme constituent le sôcle d’une société digne, alors voilà une discrimimation bien installée que celle de ces emplois peu rémunérés, empêchant souvent là aussi la possibilité d’accéder à une location dite « normale ».Où est la normalité d’une société qui pénalise les plus vulnérables ?

D’autre part, si  le soin n’était que réhabilitation  alors il exclurait des différences qu’une société digne et libre doit accepter, et accueillir.Le travail n’est pas forcément la finalité de tous.

 A ne tirer le fil que du côté de la sécurité et de la protection, le risque est grand de dévaster l’humanité  qui fonde le soin.

A faire croire que la folie rime nécéssairement avec danger, la folie est réduite à se taire , à être enfermée.

Si « réhabilitation » il doit y avoir pour certains, ce n’est certainement pas en générant  de telles stigmatisations qu’elle sera possible.Au contraire.....

Avant de contrôler les entrées et sorties de ces quasi animaux sauvages que semble décrire Monsieur le Président, il m’apparait urgent de faire un effort financier  pour que les patients puissent bénéficier de toute l’attention et de toute l’écoute dont ils ont besoin.Les systèmes de vidéosurveillance proposés, les systèmes de géo localisation, tout cela contribue à faire rimer psychiatrie et contrôle.Le sens du soin s’évide sous une chappe de plomb.

Si Monsieur le Président avait pris le temps de rencontrer les patients, peut-être aurait-il vu « avant toute autre considération », des êtres humains.

Ses propositions vont contre les valeurs que soutiennent les soignants, le  respect de la personne,  et de sa dignité.

Pour ma part , je reste convaincue que le soin ne fonctionne que dans une alliance possible entre soignants et soignés.Cette alliance  qui doit permettre la diminution de la souffrance ne se fait qu’avec le temps, le respect, la patience et la considération de la singularité de tout individu :  travail de rencontre et de liens avant tout, avec le patient, avec l’équipe, avec la famille Etc

L’hôpital n’est pas une entreprise, à ce titre, le mot « patron », et ce d’autant plus s’il peut décider et diriger seul comme l’indique Monsieur le Président, est un mot qui signe combien Monsieur le Président se méprend sur le soin, et sa nature.

Il y a d’autres façons d’aborder la vie que sous les angles de l’efficacité inerte, du normatif , du contrôle, du sécuritaire et de l’exclusion des différences.

La notion de protection n’est d’ailleurs pas absente du travail des soignants.Nous ne sômmes pas une horde d’irresponsables !

 Mais si ce mot est à mettre sur le devant de la scène, alors faut-il le situer dans son double emploi, protection des citoyens, des familles, mais protection des patients aussi.

J’ai vu beaucoup de patients se faire escroquer par des tenanciers d’hôtel sordides, parcequ’ils n’avaient pas la possibilité de répondre aux exigences de notre société pour un lieu de vie décent.Est-ce normal ?

J’ai  même vu des patients escroqués par  le bistrot du coin ,ou différentes personnes « normalement » insérées profitant de leur naîveté.Est-ce normal ?

La normalité a bon dos pour exclure , et si des patients restent parfois des années dans nos locaux, ce n’est pas nécéssairement dû à l’échec d’équipe souvent  motivée et compétente, c’est précisemment parce qu’il manque des petites structures, plus humaines,  moins stigmatisantes, plus rassurantes pour les accueillir, ceci est un exemple parmi tant d’autres de propositions qui me paraitraient salutaires, à l’opposé de la multiplication des chambres d’isolement.Peut-on réfléchir à une ouverture, construite, soutenue, étayée, à des relais trop insuffisants actuellement plutôt qu’à fermer définivement les portes des hôpitaux !

Le fou est un autre soi-même, à vouloir l’isoler, le réduire à sa localisation tel un objet sans vie psychique dans un dispositif uniquement contrôlant, on l’isole du langage, possible ouverture pour lui comme pour nous, d’une vie plus libre, respectée et moins douloureuse.

E.Peltier , Psychologue, Hôpital Esquirol.