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« Ecrire le soin tel qu’il est pressenti actuellement »… Alors ce sont aussitôt tous ces visages qui m’apparaissent, qui se succèdent dans ma mémoire : 30 ans de pratique du soin en psychiatrie pour moi…Toutes ces histoires si intimes qui me reviennent en tête, et qui me touchent encore aujourd’hui, même si certaines sont si anciennes… Tous ces échanges,  ces liens humains tissés, ces moments partagés : « entrer en relation » , ces confiances accordées dans des moments si fragiles : « construire une relation »…Les visages de tous ceux qui ensuite sont partis vers de (riches) devenir, et aussi ceux qui sont partis, décidant de quitter un monde vraiment trop douloureux…Tous ces visages, hommes et femmes que j’ai eu l’honneur d’accompagner un moment, court ou long, mais toujours intense, pour des soins en psychiatrie. « Elève », puis « infirmière de secteur psychiatrique », maintenant « cadre de santé », je devrais donc pouvoir dire que les soins ont évolués, qu’ils sont d’une plus grande qualité aujourd’hui qu’il y a 30 ans. Mais voilà, ce n’est pas ce que je constate au quotidien. Moi je vois de toutes petites équipes, dont certains membres sont bien démunis, jeunes diplômé(e)s tellement plein de bonne volonté mais un peu perdu(e)s auprès de l’unique collègue à leur côté, pour prendre soin, à deux, de 20 patients, plus 2 en chambre d’isolement. Ca fait combien de temps à consacrer à chacun ? Car il y aura aussi beaucoup à faire en une journée, « à côté », côté « administratif » : toujours plus d’ailleurs, et qui réduira encore le temps accordé en réalité « à être auprès de… »

Souvenir : des équipes bien plus étoffées, une formation spécialisée, avec en parallèle un contact permanent, d’une part avec les patients, et en même temps avec les psychiatres, et les psychologues, une vraie équipe pluridisciplinaire, et des échanges humains riches et constants.

Aujourd’hui, non seulement il y a de moins en moins d’infirmiers formés en psychiatrie, et expérimentés, mais en plus, dans certains services, il n’y a plus qu’un psychiatre : un psychiatre pour un secteur, secteur lui-même qui s’est densifié en population, population qui connaît de plus en plus de souffrance psychique et de trouble psychiatriques. Ce constat est « côté hôpital » : maiis l’hôpital n’est pas le plus important dans l’organisation des soins en psychiatrie. Mon métier : « infirmière de secteur psychiatrique » est de prendre soin d’une personne dans son contexte de vie, au cœur de la société.

Aujourd’hui, ce que je vois, c’est une société dont on voudrait nous faire croire qu’elle rejette « les fous ». Il faudrait, alors que depuis des dizaines d’années mes collègues et moi avons œuvré à faire changer l’image de la psychiatrie dans les mentalités au quotidien, expliquant inlassablement chaque jour dans nos CMP les possibilités de soins, les actions possible pour venir en aide à des patients et des familles en détresse, il faudrait aujourd’hui accepter d’enfermer, de mettre à l’écart les plus démunis d’entre nous. Oublier le secteur, l’accompagnement et le soutien au quotidien, pour enfermer, ne plus tolérer aucun risque d’écart d’aucune sorte. Une rue calme : les enfants n’y jouent plus déjà depuis bien des années, les clochards, pardon, les SDF y sont indésirables, et les fous …

Les fous, il faudrait ne pas oublier de les juger, comme au moyen-âge on jugeait les animaux, véritables « boucs émissaires » d’une société déboussolée, car un président de la république, de profession avocat, a choisi délibérément d’expliquer dans les médias à une heure de grande écoute qu’un « non-lieu » voudrait dire …que des faits n’ont pas eu lieu : grand art du plus bas populisme. Alors qu’on attendrait sens de la mesure du président de la république, effort de pédagogie de l’avocat…

Pour le personnel de soin, il faudrait aujourd’hui accepter de remplir des certificats « d’évasion », car les hôpitaux seraient devenus des prisons. A mon objection je me suis entendu dire « par un administratif » que cela s’appelle bien ainsi, « un certificat d’évasion ». Il faudrait donc répondre à toute injonction purement administratives et s’y plier prioritairement, car après tout ce sont elles qui sont les plus importantes dans la vie, et pas la vie même…Voilà que tout mon vocabulaire lui aussi n’a plus aucun sens…