Tu
travailles en psychiatrie ? T’as un grain ?
-
Vous êtes infirmière ? C’est un beau métier…
mais ça ne paye pas !
-
Oui, pour ça, vous avez raison !
-
Vous êtes un peu bonne sœur, faut être con de nos
jours pour faire ça !
-
Bonne sœur ? Je ne crois pas, non !
-
Oh mais vous, quand vous avez commencé, c’était pas
pareil !
-
Oh non, ce n’était pas pareil…
-
Et vous travaillez dans quel service ?
-
En psychiatrie !
-
Oh ? Faut être un peu fada, non, pour travailler
là ?
-
C’est ce qu’on dit…
-
Et vous travaillez dans un service avec des vrais
fous ?
-
Des vrais fous ? C’est quoi, des vrais
fous ?
-
Je ne sais pas, moi, des schizophrènes, des
dépressifs, des fous dangereux !
-
Je travaille avec des personnes qui souffrent,
Monsieur… des gens comme vous, mais qui souffrent !
-
Comme moi, comme moi, faut pas exagérer !
-
Je n’exagère pas… les personnes qui sont
hospitalisées en psychiatrie sont des gens comme vous, comme nous, avec une
pathologie mentale qui les empêche de vivre sereins. N’importe qui est
susceptible d’être hospitalisé en psychiatrie, même vous !
-
Moi ? Bien sûr que non ! Vous dites
n’importe quoi ! C’est vrai, finalement, ce qu’on raconte sur les
infirmiers qui travaillent en psychiatrie… vous êtes tous un peu fadas, vous
aussi ! Allez, salut !
Pourquoi en sommes-nous là encore aujourd’hui ?
Pourquoi sommes-nous encore et toujours les oubliés de la médecine, grand sac
de psy où se mélangent soignants et soignés, punis et malades, suspects des
pires tares engendrées par la société ? Pourquoi ne parle-t-on de nous que
lorsqu’un crime, bien atroce et dégoulinant, accrocheur à la une des journaux,
fait baver les ignorants et caracoler des ministres indignés, voire des
présidents choqués qui promettent alors bracelets or et diamant sécuritaires
pour geôler et mater les criminels fous à lier dans des cellules
inviolables ?
Regardez-nous, regardez-les, ces fous qui vous ressemblent,
osez franchir les portes de nos services, dedans, dehors, et voyez le désert
des compressions de personnel infirmier qui fait de nous des gardiens d’asile !
Trois ans d’études, formations continues, pour faire quoi ? Courir après
le temps, ouvrir et fermer des portes, renvoyer les schizophrènes dans la rue
pour arranger les statistiques, hypocrites, sans soin, sans toit souvent… qui
se soucie du fou tant qu’il ne tue pas ? C’est quoi, un fou, somme toute ?
Qui peut le dire ? Et vous savez, vous, qu’un fou, c’est souvent une
personne qui a eu une vie, comme vous, normale, quoi ? Oui, oui, c’est un
être humain, avec des parents, une famille ! Comme vous…
Alors, demain, ça vous plairait de porter un bracelet
antifugue et de vous retrouver en chambre d’isolement parce qu’il n’y a pas
assez d’infirmiers pour veiller sur vous quand vous souffrirez à vouloir en
mourir ? Non ? Oh, dommage pour vous, si vous étiez un peu plus âgé,
vous auriez pu connaître autre chose, l’empathie, l’écoute, les soins
relationnels de qualité… mais c’était avant, ça ! Aujourd’hui, une bonne
injection dans les fesses, et hop, dormez, attaché, on n’a plus le temps de
vous écouter… les budgets sont coupés, les services sont surchargés !
Oh ? Vous avez les moyens de vous payer des soins en
clinique ? Oui, mais quand vous pèterez un plomb… vous serez peut-être
embarqué en HDT ou pire, en HO, à l’asile d’aliénés, et là… là ! Horreur,
vous ne pourrez pas sortir de votre service, enfermé à double tour de sécurité,
parce que les soignants sont trop peu nombreux pour vous garantir même de
prendre l’air ! Hé oui, c’est pire qu’en prison ! Quoi, c’est pas de
votre faute ? Vous en êtes sûrs ? Qu’avez-vous fait pour que ça
change ? Pour que le regard de la société change sur les malades
hospitalisés en psychiatrie ? Qu’avez-vous proposé ? Des clefs, des
bracelets, des miradors ? Des vigiles ? Et pourquoi pas des chiens,
des chiens dangereux qui montreraient leurs dents au moindre geste et qui
déchiquetteraient celui, fou, qui oserait bouger le petit doigt sans
autorisation préfectorale, et celui aussi qui était sensé le surveiller, vous
savez, l’infirmier maton que vous voulez former, déformer, transformer en
gardien de prison ?
Je suis infirmière en psychiatrie, depuis bien longtemps,
trop longtemps… j’ai vu le pire, le meilleur, et voici que le pire revient. Je
suis fatiguée, je ne veux pas régresser. Pas détricoter ce que nous avons mis
des années à tisser. Pas rembobiner le film parlant couleur pour retourner au
noir et blanc muet. Pas fermer à double tour ce que nous avons ouvert sur cour
et ciel de liberté. Je ne veux pas vendre mon âme de soignante au diable
carcéral. Déserter cette batailles menée
depuis tant d’années… rendre mon tablier, vomir mon humanité, mes valeurs, pour
des peurs sans fondement de l’ignorance d’incultes dirigeants.
Je ne veux pas être complice de l’enfermement, du
renfermement, je n’aime pas l’odeur du renfermé, ne veut pas être collabo d’une
gestapo des schizos…je veux garder encore mon credo, mon espoir, ne pas tout
voir en noir…
Mais je crois qu’il a raison, le Monsieur du début de mon
histoire : il faut être fada, ou bonne sœur, pour y croire encore !
Cadre de santé
auteur de « chroniques
de Bretzelde7 sur le site Serpsy
auteur de « Mon grain
de Sète » éditions singulières 2007
et de « Maux de miel,
mots de fiel », édition de la mouette 2008