J’aime écrire pour
parler du soin, défendre un projet, évoquer une situation clinique, essayer de
poser une problématique psychopathologique …
Je n’aime pas trop les
déclarations dogmatiques sur une pratique toujours plus difficile à décrire et
à rendre perceptibles pour le plus grand nombre. Mais aujourd’hui il y urgence, urgence à défendre notre outil de soin si gravement
menacé devant l’accumulation de difficultés qui nous assaillent : le
manque de moyens humains, la dégradation de notre pratique et le tournant sécuritaire dans un contexte
de « politique de la peur’ . Il y a aussi urgence aussi
à faire connaître ce que nous faisons, et sortir de l’image caricaturale que
les médias et le grand public ont de la Psychiatrie.
Le temps nous manque cependant pour suivre de près l'évolution de la
profession et de
Ces dernières semaines, les prises de
position se sont multipliées, surtout du
corps professionnel déterminé à résister concrètement aux injonctions
sécuritaires. Certains étaient plus « réalistes » et pragmatiques que
d’autres plus indignés. Cette indignation rejoignait celle du public vis-à-vis
du retentissement à la suite de plusieurs faits-divers.
Nous constatons cependant que nous sommes tous
anesthésiés, "sidérés" par cette incompréhension des pouvoirs publics
et des médias, sur un sujet aussi
stigmatisé que celui de la santé mentale et de
Il n'y a pas que le secteur psychiatrique
public qui soit menacé de dislocation,
d'absorption par le secteur sanitaire et médico - social, et une logique
sécuritaire, c'est la politique de santé dans son ensemble qui est
menacé par la réduction des moyens institutionnels et sociaux, la réduction
démographique des personnels infirmiers et médicaux présents et à venir, l’idéologie entrepreneuriale et de
paupérisation. L’appel des appels évoque comment le pouvoir politique
défait et recompose tous les métiers au nom d’une idéologie de "l’homme
économique".
En Psychiatrie, la passion des origines, avec ses avancées novatrices
en matière de Politique de Santé Mentale, relayée par celle des années 70,
autour des débats sur la folie ou sur l’institution, est à présent passée par
les fourches caudines des impératifs technocratiques et gestionnaires. Il n’y a pas une équipe qui ne
constate de difficultés dans le
développement de sa pratique, les multiples contraintes exercées sur les soins au quotidien et
le manque de moyens. Et pourtant jamais nous n’avons
été si « interpellés’ , et nos « missions » si diversifiées.
Je ne voudrai
me joindre à ces déclarations indignées que pour relater la richesse d’une
pratique totalement méconnue . celle du soin
psychique que les équipes de Psychiatrie de secteur exercent depuis près de 50
ans
Je voudrais ici expliquer mon attachement à
cette pratique de Psychiatrie publique que l'on décrit comme
« menacée ». Divers facteurs interviennent dans la mise en
place de cette menace, et le moindre n’est pas la question
de l’émoussement d’une culture celle de la Psychiatrie de secteur. En effet, le
développement depuis au moins 40 ans de la Pratique de secteur n’est pas sans
avoir modifier le rapport entretenu avec le patient, son environnement social
et familial.
La politique de sectorisation comme élément
fondateur de la continuité des soins dans la pratique de secteur est repérée
souvent par nos interlocuteurs étrangers comme force du système français. Il
existe bien un « modèle » français autour du modèle sectoriel envié
par la plupart de nos collègues étrangers.
La nature de nos interventions
tend à se diversifier très largement
au-delà des cadres sanitaires vis-à-vis de populations
désinsérées, marginalisées ou auprès d’institutions médico-sociales. Nous sommes aussi de plus en
plus reconnues auprès de nos partenaires. Le nombre de malades présentant des
troubles psychopathologiques non seulement ne diminue pas, mais progressent.
Certes, nous n’avons pas tous les
mêmes principes dans le développement de cette pratique, ni bien sûr les mêmes
moyens. Mais il ne faut pas pour autant abandonner le modèle qui seul peut
garantir la continuité des soins que nous garantissons souvent pour des années.
50 ans après la circulaire du Secteur il est anormal
que la Psychiatrie de secteur soit représentée encore trop souvent pour le
public par l'image de l'hôpital.
Le nombre de patients le plus
important se trouve dans la cité, c’est auprès d’eux que nous exerçons
quotidiennement, conjointement avec la pratique libérale et de plus en plus en
articulation étroite avec elle...
C’est cette réalité du soin psychique dans la cité
qu’il faut absolument faire connaître et défendre. Il faut que nous analysions
et développions davantage les ressources communautaires développées dans le
cadre de la sectorisation ou à côté. Le « savoir » qui découle de
cette pratique est différent du savoir élaboré uniquement à partir du patient
dans le contexte hospitalier. C’est ce
« savoir là « que nous voudrions voir se développer, diffuser plus
largement et réellement défendu. Il faut que nous le fassions connaître .
Si certains ont tenu à se poser,
s’agissant du Secteur, la question de son adaptation, de son ouverture, voire
de son dépassement, d’autres ont insisté au contraire sur le risque réel
représenté par l’effritement du champ de compétence de la psychiatrie publique.
Il ne faut pas que le
niveau de proximité du territoire correspondant à celui du secteur, en
coordination avec les différents acteurs concernés, soit dissocié de
l’hospitalisation comme l’évoque le récent rapport Couty
Dans un environnement où les autres
structures de soin pratiquent fréquemment une politique de sélection (il serait plus exact de dire d’exclusion),
par le biais de la pathologie, ou celui de l’argent, le service public de psychiatrie est seul à situer son intervention sur
une
continuité entre les différentes forme de soins, de
l’ambulatoire contractuelle à l’hospitalisation contrainte si nécessaire. Il ne
faudrait pas, par un effet de syllogisme réducteur, que nous passions d’un
service public s’adressant dans la cohérence et la continuité, à toutes les
catégories de patients et de pathologies, sans exclusives, à un service public
dé spécifié, recentré sur des sujets démunis, désocialisés, non-demandeurs de
soins, voire même non sectorisés. Il ne s’agit
pas uniquement de résister à des lois qui ne sont pas encore promulguées, mais
il s’agit aussi d’expliquer ce qu’est la folie, d’arrêter de faire de
l’esthétisme autour de ce dérèglement de l’humain, de parler vrai, et de se
battre pour de véritables moyens de prise en charges et j’ose le dire, de
contrôle. Sans cela le président SARKOSY continuera à faire des adeptes. Ainsi si on veut « soigner le
soin » c’est déjà en modifiant le regard porté sur nos pratiques, en
faisant connaître toutes nos avancées dans la cité, nos engagements dans une
nouvelle perspective intégrative du patient et de son entourage, mais aussi en
faisant connaître nos doutes et nos
limites, nos incertitudes et nos besoins, que nous pourrons avancer. Lucien Bonnafé , un psychiatre « désaliéniste »
, parlait déjà il y a trente ans de « changer le regard sur la folie ». J’ai
conscience que la tâche n’est pas aisée.
PATRICK BANTMAN Janvier 2009 [1] Patrick
Bantman Responsable du secteur des communes de Saint Maurice , aint Mandé,
Charenton et Alfortville dans le Val-de-Marne