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                                         L’écriture qui soigne le soin

 

 

                        Comment changer le regard actuel sur la folie ? [1]

 

 

J’aime écrire pour parler du soin, défendre un projet, évoquer une situation clinique, essayer de poser une problématique psychopathologique …

Je n’aime pas trop les déclarations dogmatiques sur une pratique toujours plus difficile à décrire et à rendre perceptibles pour le plus grand nombre.  Mais aujourd’hui il y urgence, urgence  à défendre notre outil de soin si gravement menacé devant l’accumulation de difficultés qui nous assaillent  : le manque de moyens humains, la dégradation de notre pratique  et le tournant sécuritaire dans un contexte de « politique de la peur’ . Il y a aussi urgence aussi à faire connaître ce que nous faisons, et sortir de l’image caricaturale que les médias et le grand public ont de la Psychiatrie.

       

  Le temps nous manque cependant  pour suivre de près l'évolution de la profession et de la discipline. Dans nos services, le quotidien est déjà assez lourd pour nous occuper largement….

 

        Ces dernières semaines, les prises de position se sont multipliées, surtout du  corps professionnel déterminé à résister concrètement aux injonctions sécuritaires. Certains étaient plus « réalistes » et pragmatiques que d’autres plus indignés. Cette indignation rejoignait celle du public vis-à-vis du retentissement à la suite de plusieurs faits-divers.

 

 Nous constatons cependant que nous sommes tous anesthésiés, "sidérés" par cette incompréhension des pouvoirs publics et des médias, sur un  sujet aussi stigmatisé que celui de la santé mentale et de la psychiatrie. Des nuages aussi surgissent à l’évocation des réformes à venir dans notre discipline, à peine éloignées les précédentes,   la loi Hôpital, Patient, Santé, Territoire, le rapport Couty juste publié.

Il n'y a pas que le secteur psychiatrique public qui soit menacé de dislocation, d'absorption par le secteur sanitaire et médico - social, et une logique sécuritaire, c'est la politique de santé dans son ensemble qui est menacé par la réduction des moyens institutionnels et sociaux, la réduction démographique des personnels infirmiers et médicaux présents et  à venir, l’idéologie entrepreneuriale et de paupérisation. L’appel des appels évoque comment le pouvoir politique défait et recompose tous les métiers  au nom d’une idéologie de "l’homme économique".

 

           En Psychiatrie, la  passion des origines, avec ses avancées novatrices en matière de Politique de Santé Mentale, relayée par celle des années 70, autour des débats sur la folie ou sur l’institution, est à présent passée par les fourches caudines des impératifs technocratiques et gestionnaires. Il n’y a pas une équipe qui ne constate  de difficultés dans le développement de sa pratique, les multiples contraintes exercées sur les soins au quotidien et le manque de moyens. Et pourtant jamais nous n’avons été si « interpellés’ , et nos « missions » si diversifiées.

Je ne voudrai me joindre à ces déclarations indignées que pour relater la richesse d’une pratique totalement méconnue . celle du soin psychique que les équipes de Psychiatrie de secteur exercent depuis près de 50 ans

          Je voudrais ici expliquer mon attachement à cette pratique de Psychiatrie publique que l'on décrit comme « menacée  ». Divers facteurs interviennent dans la mise en place de cette menace, et le moindre n’est pas la question de l’émoussement d’une culture celle de la Psychiatrie de secteur. En effet, le développement depuis au moins 40 ans de la Pratique de secteur n’est pas sans avoir modifier le rapport entretenu avec le patient, son environnement social et familial.

La politique de sectorisation comme élément fondateur de la continuité des soins dans la pratique de secteur est repérée souvent par nos interlocuteurs étrangers comme force du système français. Il existe bien un « modèle » français autour du modèle sectoriel envié par la plupart de nos collègues étrangers.

La nature de nos interventions tend  à se diversifier très largement au-delà des cadres sanitaires vis-à-vis de populations désinsérées, marginalisées ou auprès d’institutions  médico-sociales. Nous sommes aussi de plus en plus reconnues auprès de nos partenaires. Le nombre de malades présentant des troubles psychopathologiques non seulement ne diminue pas, mais progressent.

Certes, nous n’avons pas tous les mêmes principes dans le développement de cette pratique, ni bien sûr les mêmes moyens. Mais il ne faut pas pour autant abandonner le modèle qui seul peut garantir la continuité des soins que nous garantissons souvent pour des années.

      50 ans après la circulaire du Secteur il est anormal que la Psychiatrie de secteur soit représentée encore trop souvent pour le public par l'image de l'hôpital.

 

            Le nombre de patients le plus important se trouve dans la cité, c’est auprès d’eux que nous exerçons quotidiennement, conjointement avec la pratique libérale et de plus en plus en articulation étroite avec elle...

C’est cette réalité du soin psychique dans la cité qu’il faut absolument faire connaître et défendre. Il faut que nous analysions et développions davantage les ressources communautaires développées dans le cadre de la sectorisation ou à côté. Le « savoir » qui découle de cette pratique est différent du savoir élaboré uniquement à partir du patient dans le contexte  hospitalier. C’est ce « savoir là «  que nous voudrions voir se développer, diffuser plus largement et réellement défendu. Il faut que nous le fassions connaître .

 

         Si certains ont tenu à se poser, s’agissant du Secteur, la question de son adaptation, de son ouverture, voire de son dépassement, d’autres ont insisté au contraire sur le risque réel représenté par l’effritement du champ de compétence de la psychiatrie publique.

 

Il ne faut pas que  le niveau de proximité du territoire correspondant à celui du secteur, en coordination avec les différents acteurs concernés, soit dissocié de l’hospitalisation comme l’évoque le récent rapport Couty

         Dans un environnement où les autres structures de soin pratiquent fréquemment une politique de sélection (il serait plus exact de dire d’exclusion), par le biais de la pathologie, ou celui de l’argent, le service public de psychiatrie est seul à situer son intervention sur une

continuité entre les différentes forme de soins, de l’ambulatoire contractuelle à l’hospitalisation contrainte si nécessaire.

         Il ne faudrait pas, par un effet de syllogisme réducteur, que nous passions d’un service public s’adressant dans la cohérence et la continuité, à toutes les catégories de patients et de pathologies, sans exclusives, à un service public dé spécifié, recentré sur des sujets démunis, désocialisés, non-demandeurs de soins, voire même non sectorisés.

 

Il ne s’agit pas uniquement de résister à des lois qui ne sont pas encore promulguées, mais il s’agit aussi d’expliquer ce qu’est la folie, d’arrêter de faire de l’esthétisme autour de ce dérèglement de l’humain, de parler vrai, et de se battre pour de véritables moyens de prise en charges et j’ose le dire, de contrôle. Sans cela le président SARKOSY continuera à faire des adeptes.

 

Ainsi si on veut « soigner le soin » c’est déjà en modifiant le regard porté sur nos pratiques, en faisant connaître toutes nos avancées dans la cité, nos engagements dans une nouvelle perspective intégrative du patient et de son entourage, mais aussi en faisant connaître nos doutes et  nos limites, nos incertitudes et nos besoins, que nous pourrons avancer.

Lucien Bonnafé , un psychiatre « désaliéniste » , parlait déjà il y a trente ans de « changer le regard sur la folie ».

 J’ai conscience que la tâche n’est pas aisée.

 

                                                    PATRICK BANTMAN Janvier 2009

 



[1] Patrick Bantman Responsable du secteur des communes de Saint Maurice , aint Mandé, Charenton et Alfortville dans le Val-de-Marne