Retour à l'accueil

Docteur Guy BAILLON - Psychiatre des Hôpitaux

 guy-baillon@orange.fr

Monsieur Yves GIGOU Cadre de santé  en psychiatrie

‘yves .gigou@wanadoo.fr

Docteur Dimitri KARAVOKYROS Psychiatre des Hôpitaux

‘dimitri.karavokyros@wanadoo.fr’                                                                

 

 

 

                                                                                              Paris le vendredi 20 février 2009 

 

 

                       

                                               Monsieur le Président

 

 

Monsieur le Président, nous avons la tristesse et l’obligation de vous dire que sur cette question qui nous préoccupe – celle de la folie et de ses expressions –, les conseillers que vous avez choisis vous ont trompé; ils se sont aventurés sur un terrain dont ils ne connaissaient que les ‘rumeurs’, fondées sur des peurs remontant aux origines de toute civilisation.

Ils ne savent pas que si la folie fait peur, c’est parce qu’elle rassemble sur elle toutes nos énigmes et nos craintes. Ils ne vous ont pas dit, et pour cause car ils ne nous ont pas interrogés, que les personnes dites folles un moment ne le sont pas en permanence et ont encore plus peur d’une société qui ne les comprend pas.

 

De là commence une rumeur qui dans toute civilisation encore primitive fait croire que la folie annonce les catastrophes, et qu’il suffirait de se séparer des fous. Autrefois, il y a peu, on les brûlait. Vos conseillers vous ont raconté que votre peuple vous saurait gré de les enfermer à partir du moment où vous confirmiez l’équation au plus bas de nos sentiments les plus bas, désignant le fou comme futur criminel. Ainsi vous sauveriez la Patrie de tout danger !

 

Vos conseillers ont fait pire, ils vous ont fait croire que si pouviez habiller cette mise à l’écart de mots savants, ainsi vous auriez la science comme soutien, et ils vous ont glissé dans leurs feuillets le mot de schizophrène. Seulement étant ignares en ce domaine de la folie, ils ne vous ont pas dit que la psychiatrie, celle de la France, a fait en cinquante ans des progrès considérables, où s’associent les apports de la psychologie, de la psychanalyse, de la génétique, des neurosciences, de l’anthropologie, entre autres, car nous sommes là à un carrefour des savoirs. La psychiatrie n’est encore qu’au début de sa longue marche.

 

Le mardi 17 février 2009, plusieurs millions de téléspectateurs de France 2, à 22 heures ont reçu un message terrifiant. Le présentateur avait organisé un débat dans la continuité des propos de vos conseillers pour démontrer que toute personne présentant le trouble que nous venons d’évoquer était un futur criminel. C’est ainsi que nous avons tous vus avec stupéfaction et une tristesse déchirante que « les fauves étaient lâchés, non pas dans l’arène, mais hélas sur la place publique» pour débusquer ces personnes.

Pire, un homme que nous ne voulons pas nommer s’est déchaîné devant des millions de téléspectateurs, en s’appuyant sur tout un parti politique, que nous ne nommerons pas plus (car c’était une autre outrance de sa part), pour affirmer que tout ce qu’avait fait la psychiatrie était de peu de poids devant le crime d’un fou, dont deux douloureuses victimes témoignaient avec raison. Celles-ci n’ont pas compris que ce n’était pas leur auteur et son procès qui étaient en question.  Il s’agissait d’un autre procès avec des millions de téléspectateurs ne pouvant faire entendre leur révolte devant pareille mise en scène inique.

 

Monsieur le Président, nous accusons les metteurs en scène de ce procès. Le procès qui s’est tenu ce soir là, de façon tout à fait inique comme du temps de l’inquisition (car ce sont des mêmes faits dont il était question, et la même invocation de fausse science) a été « le procès des un million et demi de personnes souffrant aujourd’hui dans notre pays de troubles psychiques graves ».

 

Procès sur la place publique. Depuis ce 17 février au soir, 1.500.000 personnes sont vouées à la vindicte populaire. Nous savons que dans toute démarche sociale, banale, de recherche de logement, de demande ressources, de désordre public, si le terme de fou, de schizophrène, de malade mental est « lâché », la violence populaire sera « justifiée » aux yeux de ceux qui veulent appliquer vos nouvelles lois.

 

Monsieur le Président, cette violence commise il y a quelques jours à peine, se déroule au moment où nos parlementaires et vos ministres vont à votre demande élaborer une loi sur l’ensemble des questions de la santé mentale.

 

Monsieur le Président, votre pays a eu l’honneur d’inventer une psychiatrie au lendemain des atrocités de la guerre et des 45.000 morts de faim dans nos hôpitaux psychiatriques (il faut six mois pour mourir de faim), un « projet de santé mentale, nommé psychiatrie de secteur, inventant la nécessité que les mêmes soignants en équipe suivent les mêmes personnes malades tout au long de leur vie en s’appuyant sur les proches de chaque malade ».

 

Nous vous demandons instamment d’inviter les députés et sénateurs à republier officiellement le texte de cette simple circulaire du 15 mars 1960 (n° 3.020, non publiée au J.O.) et de demander une application simple, en effaçant la réglementation trop alambiquée qui s’est installée depuis. Mais surtout en veillant à ce que l’administration délègue un acteur de la gestion auprès de chaque équipe pour une population d’environ 70.000 personnes au cœur de leur cité.

La psychiatrie ne se construit que dans la proximité de tous les soins, ses lits compris, administration comprise. Le soin devant s’associer à un accompagnement social grâce aux acteurs aussi nombreux et militants présents dans l’action sociale, (champ social et médico- social) en particulier grâce à cette belle loi de 2005 sur l’égalité des chances, à laquelle vos services travaillent activement.

 

Cependant, Monsieur le Président, vous êtes le seul qui puissiez « faire rentrer les fauves », nous ne disons pas vos fauves, car ils ont fait ce que vous n’avez pas demandé, certains seulement ont commencé à appliquer vos propos de façon primitive.

Vous savez que la psychiatrie a été « inventée » dans ce pays par trois personnes ensemble (contrairement à ce que racontent les tableaux de maître), il y a deux cents ans en 1800.

A Bicêtre, un simple gardien Pussin, sa femme Marguerite, un médecin  Pinel : en équipe déjà, ils ont réfléchi, ils ont agi, ils ont observé : ils ont affirmé « La folie totale n’existe pas, chez tout homme troublé, à côté de sa folie, subsiste une part de raison gardée ». 

 

Nous vous demandons, Monsieur le Président d’éteindre par d’autres paroles la haine qui s’est réveillée avec force ces jours-ci, certains médias balayant en un jour cinquante années d’ardent  travail, nous vous demandons d’affirmer à votre tour, contre le vent violent de ces médias, à contre sens de vos mauvais conseillers :

 

« Chers concitoyens et amis :  Nous savons tous aujourd’hui, que chez chaque homme sensé, la raison totale n’existe pas, mais qu’à côté de sa raison subsiste une part de folie gardée. »

 

C’est une affirmation d’une portée immense. C’est un beau projet de société où chacun trouvera sa place. 

 

Nous ne demandons pas pour cela encore une loi supplémentaire, ni un procès, nous vous demandons qu’à la suite de votre parole, soit redonnée tout simplement sa place à la folie en chacun de nous comme chez chaque patient présentant des troubles.

Nous vous demandons que pendant une année se déploie un grand et vaste débat sur votre incitation sur l’ensemble du pays. Seul le Chef de l’Etat, avec force et conviction, doit arriver à entraîner chaque citoyen à comprendre que la folie de l’autre n’est qu’un appel.

 

Veuillez  agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre très haute considération.

 

 

                                                           Guy BAILLON 

                                                           Yves GIGOU

                                                           Dimitri KARAVOKYROS