Forum Social Européen 2003 / Initiative santé mentale
A propos des psychotrusts qui prescrivent dans le champs de la Santé-Mentale
Serge Klopp - CEMEA
On ne peut aborder cette problématique en dehors du problème plus général de la marchandisation du vivant au profit de l'industrie pharmaceutique.
Comme le dit très clairement Eloan Dos Santos Pinheiro " …la santé et la nourriture ne devraient pas être sous brevet… ", " …Le service public doit répondre aux besoins de santé de la population… "
Or, je pense que le médicament devrait intégrer un service public mondial de la santé.
Pour défendre le principe de la brevetabilité des molécules pendant 20 ans, les laboratoires utilisent comme argument le coût de la recherche ;
Mais si l'on créait au sein de l'OMS ce service public mondial de la santé, cela signifierait que l'on mette en commun les résultats des recherches de tous les laboratoires dans le monde. Cela réduirait considérablement les coûts de la recherche, puisque chaque laboratoire n'aurait plus à réaliser les travaux (énormément coûteux) réalisés déjà par de nombreuses autres équipes de recherche.
Cela peut sembler bien utopique.
Mais aujourd'hui la moindre mesure s'opposant a la logique du capitalisme triomphant n'apparaît-elle pas utopique ?
Cela suppose d'abord une volonté politique privilégiant le bien-être social aux profits boursiers.
Par ailleurs, cela n'est peut-être pas aussi fou que cela paraît, si l'on regarde ce qui est en train de bouger sur le plan mondial et national en ce qui concerne l'eau.
En effet, l'idée avance de p^lus en plus fortement d'un service public de l'eau garantissant à chaque être humain de la planète le droit à bénéficier d'eau potable en quantité suffisante à son bien-être, et ce quel que soit l'endroit de la planète où l'on vive et sans condition de ressources.
En France, le service public de l'eau est en fait détenu pour l'essentiel par de grands groupes comme Vivendi, ou la Lyonnaise des Eaux. Ceux-ci n'hésitant pas à vendre l'eau à prix prohibitifs aux collectivités locales qui répercutent ces tarifs sur les usagers.
Pourtant de plus en plus de collectivités remettent en cause cette situation et envisage de revenir à une gestion directe de l'eau.
Alors, pourquoi ce qui semble devenir possible pour l'eau ne le serait-il pas pour la santé et le médicament ?
Qu'en est-il maintenant du rôle des trusts pharmaceutiques dans le domaine de la Santé-Mentale ?
On privilégie au nom de l'objectivité scientifique l'action centrée sur le symptôme au détriment du sens de celui-ci pour l'individu souffrant
A une époque où l'on doit pouvoir tout évaluer (donc objectiver), il paraît impensable que la Psychiatrie continue à travailler sur la base de la subjectivité de la relation interpersonnelle. L'introduction puis la généralisation du DSM à fortement pesé sur cette soi-disant objectivité scientifique à l'œuvre dans la psychiatrie dite moderne. Le DSM qui s'autoproclame anti-théorique, donc qu'il serait inutile de vouloir combattre sur le terrain de l'idéologie. Alors qu'il n'est qu'un des avatars de l'idéologie libérale.
Mais cette objectivation a pour résultat d'évacuer l'Humain du soin. Comme le dit Olivier Rey : " …si un état mental comme une croyance n'est que la traduction d'un état cérébral, à quel état cérébral correspondrait une croyance fausse ? Comme l'est (d'après la neurobiologie elle-même) la croyance selon laquelle l'état mental est irréductible à l'état cérébral. "
On invente une nouvelle nosographie en fonction des effets des nouvelles molécules.
C'est ainsi que nous avons vu apparaître l'Hyperactivité chez les enfants, comme pathologie en soi, simplement parce que la " Ritaline " semble avoir des effets sur celle-ci.
Mais qu'en est-il du trouble psychique chez ces jeunes qui les ont amené à développer de tels troubles ?
Et, qu'en est-il des jeunes chez qui les symptômes ne cèdent pas ?
On privilégie le modèle bio-médicale pour faire croire qu'on guérit certaines maladies
Au fond, il n'y aurait de vraies maladies que de maladies que l'on pourrait " guérir ". Ou tout du moins dont on pourrait réduire significativement les symptômes. Ainsi toute pathologie psychiatrique chronique et néanmoins productive, ne relèverait plus du champs de la Santé, mais de celui du Handicap. La psychiatrie devant se concentrer sur les patients dont les symptômes sont réactifs aux molécules que mettent à notre disposition les Labos. Les autres ne relèveraient plus de nos bons soins.
On essaie d'intégrer les patients leurs familles les Associations d'Usagers et de Familles dans une logique consumériste où les grands gagnants sont les Labos.
Devant les résistances des professionnels à cette logique, les Labos tentent (avec le renfort des médias), avec succès parfois, à utiliser les Usagers pour qu'ils fassent pression sur nous pour que nous nous plions à cette logique.
On modifie nos pratiques
Ce modèle du soin basé sur l'éradication du symptôme remet en cause toute idée d'un soin relationnel inscrit dans la durée, basé sur l'histoire du sujet, au profit des thérapies dites brèves. Peut-importe que la plupart des patients rechutent aussi rapidement qu'ils sont " guéris ". Peut-importe qu'ils continuent à souffrir de troubles du moment qu'ils ne troublent plus leur entourage
Dans cette logique les psychiatres ne sont plus que des prescripteurs et non plus des psychothérapeutes. Et les infirmier(e)s ne sont là que pour veiller à la bonne administration des traitements.
Le dispositif de psychiatrie ne serait là que pour pérenniser et développer le marché des psychotropes et autres molécules…
Un modèle qui s'ajuste parfaitement aux politiques de restriction budgétaires !
Si le soin en psychiatrie ne nécessite plus d'hospitalisations longues, inutile de maintenir autant de lits.
Si le soin en psychiatrie n'est plus basé sur le soin relationnel inscrit dans la durée, inutile de maintenir autant de moyens en ambulatoire.
Si le soin en psychiatrie se limite à l'administration de médicaments, inutile de former des professionnels avec une formation spécifique.
Pourtant il ne s'agit pas de s'opposer à la pharmacologie !
Il n'est pas question de nier l'aspect bénéfique pour les patients des molécules. Je pense au contraire que la pharmacologie permet bien souvent de soulager plus rapidement leur souffrance intolérable.
Mais, alors qu'on voudrait nous convaincre que notre travaille s'arrête là, n'est-ce pas à ce moment là que peut débuter le vrai travaille du Sujet.
Le travaille d'élaboration qui permet au Sujet de trouver un autre équilibre psychique qui soit moins douloureux pour lui.
Et notre fonction n'est-elle pas essentiellement là : aider le Sujet dans ce travail d'élaboration ?
Ce qui suppose développer les compétences de tous les soignants en psychiatrie dans le champs du travail relationnel et de la psychothérapie.