Retour à l'accueil FSE




Forum Social Européen 2003 / Initiative santé mentale




La psychiatrie est-elle soignante 




La psychiatrie navigue sur une frontière délicate, celle du normal et du pathologique  ; frontière qui varie en fonction des valeurs de la société. Elle change et évolue donc au rythme de cette société et quand la société devient répressive, la psychiatrie suit la même voie.

Elle n’a pas toujours
bonne presse’ car persiste d’une part cette image du fou dangereux’. Image véhiculé et intensifié par les médias dont l’effet recherché est le plus souvent le choc des images sans le poids des mots  D’autre part subsistent aussi les peurs liées à l’enfermement, aux internements abusifs et à l’arbitraire.

Et pourtant la psychiatrie en France est d’une grande richesse.
En premier lieu les apports de la science ont permis d’éliminer du champ de la psychiatrie les étiologies organiques et de les prendre en charge comme telles. Les apports de la chimie ont aidé à la relation thérapeutique. La psychanalyse a donné sens aux troubles psychiques permettant ainsi un autre abord de la personne souffrant de maladie mentale. Parallèlement, les apports des thérapies institutionnelles ont favorisé l’humanisation des lieux de vie des personnes atteintes des pathologies les plus sévères. Un changement de regard s’est opéré et il est alors devenu possible d’envisager qu’une personne qui souffre dans ses pensées puisse vivre dans la cité.

La «
psychiatrie de secteur  » est la politique officielle de la France en matière de psychiatrie et ceci depuis 1960, pour son esprit. Cette politique a été officialisée par les Lois de 07/1985, dans ses moyens et son organisation. Depuis la mise en œuvre de cette politique de nombreuses avancées dans le champ de la santé mentale ont vu le jour.
Les fondamentaux du secteur sont simples   
«La psychiatrie de secteur est une hypothèse clinique sur la recherche du sens  l’homme dans sa globalité, son corps, son fonctionnement psychique, sa relation à l’autre  ; l’homme avec son histoire, sa famille, sa cité  ; l’intérêt porté à la recherche de ses potentialités et à celles de son entourage par une même équipe soignante  ; faites de personnes compétentes et disponibles au plus près de l’homme qui souffre  ; travaillant sur ses liens et ayant le souci d’anticipation formalisé par la définition de projets’ successifs pour la personne, son groupe, la cité.  »

La conception du soin au sein de la communauté s’est enrichi de nouveau savoir faire, au cours de ces 30 années de politique de secteur.. Elle s’oppose à un morcellement par la pathologie, l’âge, le mode de vie qui nous sont proposés de façon insistante actuellement et qui a eu un premier raté avec l’apparition des intersecteurs qui devaient être un endroit de liaison et qui sont devenus un endroit spécifique à l’enfance. La psychiatrie de l’enfant et celle de l’adulte se sont séparés à un tel point qu’il a fallu à nouveau réapprendre à travailler ensemble.

L’hospitalisation temps plein a été considérablement réduite (de 150.000 lits à 50.000 en 20 ans) et ont été mises en place des alternatives à l’hospitalisation, permettant un panel de réponses différenciées et adaptées. Chaque secteur adaptant ses structures selon ses besoins propres.
Cependant il y a eu plus de places supprimées à l’hôpital que de capacités données pour élargir et l’offre de soin sur la cité et l’offre d’accueil des personnes chronicisées et surtout désocialisées par des années d’hospitalisation.
Cependant et contre tout attente, la philosophie de soin demeure fortement orientée vers «hospitalocentrisme  »... Orientation qui ne correspond ni aux attentes des professionnels, ni aux attentes des usagers, ni aux attentes des familles et entourage.
Cet «
  hospitalocentrisme » est réaffirmé par les évaluations pratiquées dans le cadre de la démarche «qualité-accréditation  ». L’analyse porte principalement sur l’activité hospitalière. Elle satisfait ainsi aux grilles PMSI (Programme Médicalisé des Systèmes d’Information) et DIM. L’hospitalisation ne représente pourtant que 20% environ de la file active d’un secteur de psychiatrie.

Le centre médico psychologique est le pivot de ce secteur, il le démontre tous les jours mais n’arrive pas à supplanter cette impression que seul l’hôpital existe.

Les centres d’accueil et de crises ont montré et démontré sur le terrain, leurs pertinences cliniques, ils sont actuellement dans la région parisienne, tous entrain de fermer pour des motifs économico-gestionnaire (manque de personnel mis en avant  )


Depuis 2 décennies, les rapports ministériels sur la psychiatrie et la santé mentale tombent comme s’il en pleuvait  Ces rapports, tout comme nos textes officiels, s’attachent le plus souvent à décrire une organisation possible. Il est à déplorer que peu ont interrogé la politique de secteur sur son hypothèse clinique et sur ce qui lui a donné sens.
Il est aussi à déplorer que peu de secteur ne soit allé au bout de cette expérience.

La question de pour qui et à quoi est destiné la psychiatrie n’est pas évoquée. Si cette question était posée nous pourrions aborder en premier lieu la conceptualisation des soins, ensuite nous pourrions poser les bases d’une organisation, de celle-ci découlerait l’exécution des soins. Actuellement cette phase de conceptualisation ressemble à un grand désert, l’organisation ne peut qu’en pâtir et l’exécution se montrée inadéquate.
L’argument est le plus souvent économique. Comment soigner le plus rapidement possible et au moindre coût.

La société est assujettie au primat de l’économique, la psychiatrie également, il lui est demandé plus de productivité. Cela se traduit sur le terrain par l’apparition de listes d’attente pour un premier rendez-vous de plus en plus longues (parfois 2 à 3 mois), par l’accélération des consultations où il n’est plus possible de prendre son temps. Les situations sont gérées dans l’urgence et laisse peu de temps pour les traitements au long court. A la stase asilaire ont succédé les portes à tourniquet, à peine entrée les patients se voient déjà sortants.
La psychiatrie doit répondre aux mêmes critères et aux mêmes schémas que la médecine. Nos gouvernements privilégient le développement des techniques quantitatives. Mais ils s’avèrent que les thérapies relationnelles sont difficilement quantifiables. Il y a un point fondamental où psychiatrie et médecine divergent  l’évolution clinique du patient dépend de la vitesse de son
fonctionnement psychique’, ceci est propre à chacun et ne peut être évalué en première intention.
On assiste à un développement où les techniques quantitatives sont privilégiées, tel que l’effet des traitements médicamenteux, les sismothérapies (ou électrochocs), les traitements chirurgicaux (exemple les lobotomies modernes pour les T.O.C). C’est la recherche de gains à court terme. L’idéologie du tout économique prime, nous évoluons dans un mode généralisé d’échanges, de production de vie. L’humain est un outil de production qu’il faut rendre opérationnel au plus vite.
C’est ainsi que l"évolution vers les neurosciences est favorisé. A chaque diagnostic correspond une molécule !!! La clinique le dément tous les jours. Mais il existe une
fascination’ à numériser le monde  «  Penser le monde comme une multiplication du même grain de quantité.»( 4)    L’industrie pharmaceutique joue ici un rôle important. Elle finance en grande partie la recherche et influence ainsi la refonte des catégories cliniques (Ex  les troubles bi-polaires, la phobie sociale). Elle distribue les rôles, le médecin devient un simple prescripteur, le patient un client, un consommateur susceptible d’être une proie publicitaire.

Dans ce contexte les thérapies qui privilégient le long court et le respect de l’évolution propre à chaque patient apparaissent aléatoires. Pourtant il a été démontré que les traitements à long terme permettaient de limiter le passage par les urgences et raréfiaient le recours à l’hospitalisation. La psychiatrie de secteur s’inscrit dans le moyen et long terme, c’est dans cette dimension qu’elle se montre efficace.
C’est dans ce même mouvement, de rentabilité, que les formations spécifiques des professionnels ont été supprimées. Le nombre de psychiatres formés depuis 1986 a été divisé par 10. La formation d’infirmier de secteur psychiatrique a disparu depuis 1992. Cette disparition s’est avérée possible car il n’y a pas eu de reconnaissance d’un exercice particulier. D’un point de vue économique, il n’était pas rentable de continuer à dispenser 2 formations de plus les hôpitaux psychiatriques représentaient des «
  » d’infirmiers diplômés. Avec la disparition de ce diplôme, la spécificité du champ d’exercice a disparu.
Etre soignant en psychiatrie n’est pas un métier anodin, cela suppose une éthique, un positionnement militant quand à la défense des droits de l’homme. Notre travail consiste à nous rapprocher de l’autre, cela suppose que l’on se positionne avant tout comme Homme et que l’on travaille avec son propre engagement humain.
Cela suppose aussi d’être un artisan, qui bricole au quotidien avec ses outils et concepts. Cela suppose qu’il faut rester en position d’apprentissage et d’apprendre aussi et surtout des patients.
Notre travail est aussi et surtout un travail de lien, de connaissance humaine et professionnelle  ; lien de l’Homme avec son histoire, sa famille, sa cité.

Si l’engagement est nécessaire aux soignants en psychiatrie, il est primordial que cet engagement soit effectif pour le patient. En 2002, deux Lois (Janvier 2002 «
action sociale et médico-sociale  » et Mars 2002 relative aux droits des malades) ont recadré la réglementation en vigueur quant à la participation du patient au dispositif de soins. Il lui a été reconnu une place centrale au cœur de ce dispositif de soin et de prévention. Cette place centrale implique l’information claire due au patient.
Cette réglementation définie également l’usager et son entourage comme co-décideur dans la mise en œuvre de projets ainsi que dans l’analyse des activités des institutions de soins. Il faut donc modifier et développer une logique et un dialogue différents entre les professionnels et les usagers de la santé. Il va falloir  «
écider Avec  » et non plus «écider Pour  ». Certains professionnels (tant soignants qu’administratifs) ont émis des réticences et la représentativité des usagers reste bien minime. Ils se sentent menacés par la présence des usagers dans les processus de décisions, au sein des réunions. Beaucoup ne comprennent pas ce que veux dire d’accueillir à leur bord des usagers comme partenaires. Ils n’octroient ainsi aux usagers qu’une place d’objet décoratif.

Et pourtant, la relation thérapeutique est basée sur un engagement et une confiance. Même s’il est clair que tout engagement, toute relation ne peut s’établir grâce à l’observation d’un cadre réglementaire. Nous sommes tentés de penser que ce cadre pourrait accompagner ce changement d’idéologie.

Comme vous avez pu le comprendre, le soin en psychiatrie en France s'est développé dans sa période moderne autour d'un axe humaniste à l'écoute de la souffrance et dans le respect de l'intégrité du sujet. Ce temps est aujourd'hui révolu, en imposant ses outils de comptabilité la rationalisation économique influe directement sur la clinique. Sachant que
Le dispositif de soin très sophistiqué qui correspond à notre philosophie est coûteux en "main d'œuvre très qualifiée", mais aussi dans sa dimension temporelle. Nous sommes donc hors jeu de tout avenir.
La régression est déjà bien amorcée, tant sur l'axe économique que sécuritaire. C'est une dérive aveugle qui va nous confronter très rapidement à un glissement de la mission de soin vers celle de contrôle social.
Nous
connaissons les liens intimes qu'il existe entre les systèmes politiques et la façon dont sont traités les fous sous les différents régimes.
Nous savons qu'une société de compétition entretenant une vision très réductrice du bien et du mal chez l'homme est peu propice à notre idée du soin. Seule une société organisée autour de la constructions de solidarité est à même de supporter la continuation de notre projet.

 

Isabelle Aubard - Serpsy - FSE


Notes :

1 FRIARD (D) et coll. Psychose, psychotique, psychotrope, quel rôle infirmier ? Editions hospitalières, collection Soins infirmiers, novembre 1994.

2 PABOIS (AM) Quels savoirs pour soigner ? Dossier n°18, Pratiques les cahiers de la médecine utopique, juillet 2002, p.5.

3 BAILLON (G), Les urgences de la folie, l'accueil en santé mentale, Gaétan Morin Editeur, Collection des pensées et des actes en santé mentale, novembre 1998, p.157

4 Bernard DORAY, " PTSD :les mailles de la cotation ", Rhizome N°12