Docteur Guy Baillon
Paris le 10
juin 2011
Psychiatre des Hôpitaux
Le Conseil Constitutionnel désavoue à nouveau les lois de
l’Etat sur la psychiatrie.
Le Conseil Constitutionnel le 9 juin a désavoué nettement
une seconde fois la volonté soutenue par l’Etat et l’UNAFAM d’enfermer sans
contrôle les malades mentaux
Remarquons que le Conseil Constitutionnel
s’est contenté jusqu’à maintenant de souligner la non-constitutionnalité de
quelques dispositions seulement de la loi de 1990.
En effet il n’a pas encore examiné la totalité de cette
loi toujours actuelle : dès qu’un malade va attirer l’attention du Conseil
sur l’arbitraire du début de chaque internement, et sur celui de la prolongation
illimitée possible de tout internement, le Conseil va évidemment se prononcer
encore contre la loi et étendre l’action du Ministère de la
Justice.
Il n’a pas examiné non plus la loi de 2011 -ni la
garde à vue de 72h qui se déroule « sous contrainte », -ni surtout
« l’obligation de soins » pour trouble psychique. Ces deux décisions ne sont pas
conformes à la constitution. En effet d’une part les troubles visés sont
éminemment variables en particulier sous l’effet du contexte et donc ne sont pas
stables, d’autre part les données sur lesquelles cette obligation s’appuie n’ont
aucun caractère objectif, tant pour la dangerosité (donnée contestable sans
aucune base scientifique), que pour l’effet des médicaments (effet variable
selon les personnes et le contexte), ainsi toute contrainte ne s’appuiera que
sur des données floues ! Notre Constitution ne saurait accepter un tel
arbitraire.
Certes la souffrance psychique et les troubles psychiques
sont une question de société très importante, pour cette raison ils doivent être
abordés dans leur ensemble, non à des moments particuliers de leur évolution,
ces moments où la personne est dans la méconnaissance de son état, d’autre part
l’ensemble aussi des méthodes thérapeutiques doit être examiné.
La France est le seul pays qui ait mis au point une démarche
thérapeutique qui a fait ses preuves : lorsqu’est installé auprès d’une telle
personne malade un travail relationnel psychothérapique, la méconnaissance qu’a
le patient de ses troubles cède et mis en confiance il accède au traitement qui
lui convient ; cette méthode nécessite que le service public qui l’assure mette
partout en proximité à disposition 24/24h une équipe pluridisciplinaire de
soignants construisant une continuité des soins, ce qui permet à la personne qui
souffre de comprendre de quoi elle souffre, grâce à la confiance établie avec
ces soignants elle se soigne.
A partir du moment où un pays fait une telle réalisation (je
vous rappelle qu’actuellement des colloques sont assurés par notre Ministère
auprès de pays tels que les USA, la Chine, le Brésil, à leur demande expresse
pour apprendre cette méthode qu’ils savent la meilleure !) il semble évident que
ce pays doit tout faire pour veiller à son développement. Malheureusement ce
travail commencé en 1972 dans le cadre d’une politique dite « de secteur » a été
délaissé par l’Etat à partir de 1990. Depuis l’Etat n’a plus soutenu ces équipes
et a préféré concentrer toute son attention sur la médecine hospitalière sans se
préoccuper de la psychiatrie, ni s’intéresser à ses spécificités dans le champ
médical, d’où la détérioration progressive d’un grand nombre d’équipes
psychiatriques.
Alerté tardivement de cette dégradation l’Etat a, par
paresse, choisi une solution de facilité, et au lieu de consolider les équipes
soignantes et leur spécificité de travail, il a décidé avec cette loi 2011
d’utiliser la violence : l’enfermement des patients et l’obligation de leur
faire absorber des molécules chimiques modifiant leur état de
conscience.
De quel droit un pays peut-il faire pareil choix, alors que
la méthode de la politique de secteur a fait ses preuves, et que enfermement,
obligation de soins et médicaments transforment la démarche profondément humaine
de la psychiatrie en une médecine vétérinaire, inhumaine ?
Ce n’est donc pas d’une loi que la psychiatrie française a
besoin aujourd’hui, mais d’un « plan de santé mentale » soutenant à la fois les
équipes de secteur pour les soins (depuis 1960-1985 politique de secteur) et les
acteurs sociaux pour les compensations sociales dont les malades-usagers ont
besoin de façon complémentaire (tels qu’ils ont été clairement précisés par la
loi du 11-2-2005). Ce Plan abandonnera définitivement les grands hôpitaux pour
favoriser l’implantation dans le tissu social des différents modes de soin
utiles et des appuis sociaux adaptés (la disponibilité 24/24h et de proximité
dans chaque secteur étant associée à l’attention à la continuité des soins et à
leur articulation avec les appuis sociaux nécessaires).
Qui a dicté la loi liberticide de 2011? L’origine
se trouve dans les idées choisies pour gouverner depuis 4 ans : les choix de la
peur et de « la » solution qui serait donnée à cette peur : la politique
sécuritaire. En réalité une politique sécuritaire ne soigne pas. Mais elle
provoque à son tour la peur, ainsi se constitue un cercle vicieux infernal qui
empêche chacun de penser, de fait les élus de la majorité sont soumis au
principe d’autorité qui les empêche de penser. L’UNAFAM à son tour a été
fascinée par cette solution de facilité et, rompant son alliance avec les
usagers (la FNAPSY), s’est laissée prendre par l’Etat à ce désir de les
« maitriser » jusqu’à se rêver au pouvoir, et à proposer « un plan psychique »
selon lequel les familles appuieraient l’application de la loi et seraient
présentes à tous les points névralgiques : les 72h, les décisions de contrainte,
soit d’hospitalisation, soit de soins, … L’UNAFAM n’a pas mesuré le risque
considérable qu’elle prenait devant l’opinion : après s’être délégitimée par sa
rupture avec la FNAPSY, comment peut-elle croire que l’opinion accepte de
confier le contrôle des soins psychiques à des familles ayant eu l’expérience de
la folie parmi les siens et s’étant montrées incapables de les sauver de la
maladie ? Ce sont ces familles qui viendraient donner de bons conseils aux
professionnels qui eux s’appuient sur 10 à 20 années de formation pour donner
des soins ? L’opinion pourrait bien changer d’attitude à l’égard des familles.
Si l’UNAFAM rassemble 15.000 familles, précisons qu’il y a un million de malades
et que les désaccords de la base avec le national augmentent à vive
allure.
En face, les acteurs et les autorités sont nombreux qui
s’opposent clairement à l’Etat et à l’UNAFAM. Il y a eu le Syndicat de la
Magistrature, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, le
Contrôleur général des lieux de privation de liberté, puis la FNAPSY, et ensuite
la totalité des syndicats des professionnels de la psychiatrie, en premier lieu
les psychiatres, enfin différents mouvements d’opinion et d’associations
diverses. Cela fait beaucoup. Cela doit faire réfléchir les élus, et surtout les
conseillers du Président, et les aider à percevoir que la psychiatrie est un
domaine très complexe, un domaine de soin, qui ne saurait être le terrain
d’application d’une politique sécuritaire. Il est très facile de s’attaquer aux
plus faibles, aux plus vulnérables et surtout à ceux qui ne se défendent pas, ce
qui est le caractère spécifique des personnes présentant des troubles
psychiques. Prenons acte au contraire que c’est justement cette interrogation
qui justifie la montée de la solidarité dans un pays ? Quelle est la force de la
folie ? Après avoir montré la vanité de son rejet, tout confirme la valeur et la
nécessité de la solidarité dans un pays pour y répondre.
Pour conclure précisons que mettre un terme à cette
« tragédie » est simple : trois décisions
1-Décider le retrait de cette loi 2011
2-Rendre obligatoire l’intervention de la justice au début de
toute hospitalisation sous contrainte, et chaque fois que sa durée dépasse un
mois, à renouveler chaque mois supplémentaire, il suffit de rédiger quelques
articles de loi additionnels à la loi de 1990
3-Mettre en chantier un Plan de Santé Mentale associant
-politique de secteur centrée, non sur l’hôpital et la contrainte, mais sur la
Cité et la disponibilité 24/24h des équipes de secteur, et -loi de 2005 son
soutien social (Plan auxquels participeront tous les acteurs)
Soutenons l’initiative de la conférence de presse que
tous les représentants officiels doivent tenir avec les sénateurs le 15 juin
2011 autour de la FNAPSY (nous pouvons espérer que des délégations de
familles s’y associeront) pour la mise en acte de cette fin de
tragédie.
Nous vous invitons à lire les excellents communiqués
(FNAPSY, conférence des présidents de CME, syndicats de psychiatres)diffusés
avant même l’intervention du Conseil Constitutionnel.