Docteur Guy Baillon
Psychiatre des Hôpitaux
Paris le 4 avril 2011
1 - Pourquoi l’UNAFAM, la
FNAPSY, les professionnels ont-ils voulu cette loi inhumaine sur la
psychiatrie ?
N’ont-ils pas tous été victimes d’une méprise
dramatique, chacun à des titres différents ?
Nous devons absolument élucider pourquoi, si nous voulons
nous préparer à l’avenir.
La loi est votée, l’aller et le retour entre les deux
Chambres ne l’annuleront pas.
Alors osons d’abord brosser l’avenir immédiat qui n’a
manifestement pas été ‘simulé’ par aucun des auteurs de la loi un instant. Nous
verrons ensuite pourquoi ces trois ‘partenaires’ sont inconscients de ce qu’ils
ont déclenché.
La loi est inapplicable pour des raisons concrètes et de
fond.
Certes chacun pense que l’intervention du juge demandée par
le Conseil Constitutionnel va être appliquée. Déjà là il y a un double obstacle
immédiat : d’une part cette mesure est ‘bancale’ ; pour être en accord avec la
réalité des faits, elle devrait porter aussi sur la décision initiale de
‘privation de liberté’ et sur son arrêt ; ne statuer que sur le 15ème
jour est totalement « surréaliste » ; dans le même temps nous savons tous la
pénurie de juges, … on fera donc appel à des mesures substitutives, tentatives
de ‘transfert de pouvoir au Préfet’ ? et commencera l’imbroglio des
responsabilités ‘et du jeu de la chaise vide’. Qui va accepter cela ? : les
procès se multiplieront, car les avocats vont comprendre qu’il y a matière à
plaider.
D’autre part sur le fond, personne n’a encore mesuré
l’ampleur de l’évolution amorcée : pourtant le rapport du contrôleur des
libertés, JM Delarue est éclairant : la logique majeure qui va guider les actes
de chacun sera encore « la logique de sécurité » dans l’hôpital, s’y ajoutera la
logique de « la certitude que l’obligation de soins doit être respectée » !
Chacun sait qu’il n’y a là aucune certitude possible, même l’effet de la même
injection intramusculaire d’un produit ‘reconnu’ comme adéquat ( ?) à … « à
quoi ? », est variable. Alors, pour faire bien, va se construire une escalade
sans fin des prescriptions médicamenteuses, où chaque acteur du soin en plus
cherchera à se protéger (on ne sait ce que ces craintes vont produire). Les
auteurs de cette loi savent-ils les faits très graves qui se sont produits lors
des premières années des neuroleptiques en France (Poitiers entre autre), en
Suisse (près de Genève) en raison des « abus » de médicaments (et des
responsabilités partagées entre médecins et infirmiers, chacun y allant de son
‘surdosage’) ? Et lorsque l’on observera que les médicaments donnés en excès
entrainent des troubles de plus en plus graves, les tribunaux vont montrer
facilement que des excès ont été commis. Le Médiator a ouvert une autre voie :
avons-nous bien éclairé la société sur les dangers très bien précisés des
nouveaux neuroleptiques aujourd’hui : ils produisent après quelques années des
troubles graves : obésité vite, puis diabète, hypertension, et sont suivis de
leurs conséquences irréversibles sur le cœur, la rétine, les artères. … Lorsque
les médicaments sont bien encadrés par les soins psychothérapiques et
institutionnels une prévention de ces troubles peut être réalisée. Mais lorsque
l’obligation de soins va intervenir, elle va écarter toute psychothérapie et
seul le médicament restera en lice, que va-t-il se passer lorsque familles
patients, amis vont se révolter devant ces effets secondaires et les abus des
médicaments ‘obligatoires’? On va entrer dans le cycle de la biologie pure
imposé par les laboratoires : un symptôme = une molécule. La psychiatrie
disparait pour laisser la place à un traitement vétérinaire.
Les dangers, démontrés par JM Delarue dans le seul cadre des
hospitalisations sous contrainte de la précédente loi, vont augmenter de façon
exponentielle. L’état d’esprit qui domine ces lois est le risque zéro. JM
Delarue a montré qu’un tel état d’esprit infiltre tout et n’a pas de limite car
il ne rencontre aucune certitude sur la diminution du risque.
Le calme, la sérénité, la confiance, la liberté, la
créativité, qui sont les outils de base du soin psychique n’auront pas droit de
cité. La logique du soin sera donc exclue.
Certes des voix s’élèveront à la lecture de ce propos, pour
en sourire, et apporter des preuves que dans quelques situations on a arrêté
l’escalade de la violence. Mais la violence d’un malade ne s’accroit que lorsque
personne ne répond à la souffrance sous jacente, origine de cette violence.
C’est donc avant qu’il faut se montrer disponible.
Reprenons les trois formes d’obligation prévues par la loi :
72 h, hospitalisation, domicile.
Pour les 72 h : dans quel espace cette ‘garde à vue’
va-t-elle être réalisée ?-aux urgences des hôpitaux généraux déjà surchargées et
où l’on ne reste que quelques heures ? -dans les prisons habituées à la
privation de liberté ? En effet les autres espaces de soin actuels n’offrent
aucune garantie de sécurité suffisant. Il faudra donc ‘construire’ de nouveaux
espaces à grand frais -selon quels critères ? -avec quels soignants ? Ils seront
certainement ‘prélevés’ sur les équipes de secteur ce qui diminuera d’autant
leur travail de prévention, dont le but est de diminuer les situations
d’urgence, les demandes d’hospitalisation vont augmenter ; -l’entrée ‘en 72h’
sera faite à partir de quelle ‘demande’ ? -quelle formation auront les
soignants ? celle du soin (laquelle ne cherche pas d’emblée à imposer diagnostic
et traitement, mais d’abord à installer la confiance, la contradiction est
pesante), ou l’habileté à ‘faire avouer au malade sa maladie’ ? cet aveu est
déjà une attitude brutale pour les excès d’alcool, c’est une violence
inacceptable et incompréhensible pour les malades qui ‘méconnaissent’ leurs
troubles. Le point de contradiction maximal sera atteint pour les adolescents
qui sont à l’époque de la survenue des troubles psychiques graves : leur passage
‘en garde à vue’ de 72 h qui devrait déboucher sur une proposition de soin après
avoir rencontré une quinzaine de personnes différentes en 72h dans des liens
‘protocolisés’, sera l’occasion de ‘massacre’ d’ado, véritables assassinats
d’âme de jeunes en quête d’identité à cette période si fragile de la vie. Des
psychiatres d’adolescents ont-ils participé à l’élaboration de cette
loi ? ???
Quant aux services d’hospitalisation où seront envoyés
les patients qui auront ‘refusé’ un traitement, alors qu’ils méconnaissent
seulement leur maladie, ils seront vite débordés, malgré les efforts des
directeurs pour y faire venir un grand nombre de soignants, prélevés eux aussi
sur les espaces de soin des villes où ils avaient une fonction de prévention
essentielle, ce qui va encore augmenter le flux des patients ‘décompensés’. On
va rouvrir des lits et multiplier les services ‘fermés’. Ce sera l’abandon
définitif de la psychiatrie de secteur qui s’appuyait sur la reconversion des
services hospitaliers en espaces de soins en ville consolidés par les liens avec
l’environnement relationnel de chaque malade. Certes il y a le recours au
domicile.
L’obligation de soin à domicile va transformer les
parents en ‘surveillants de prison’ attentifs à une seule chose (on ne peut leur
demander de soigner, sinon il y a longtemps qu’ils auraient guéri leurs enfants)
vérifier qu’ils prennent bien leur traitement, laissant de côté leur rôle
affectif essentiel. Ils seront vite secondés par les voisins se transformant en
‘délateurs’, préoccupés du calme du voisinage, donc de la certitude que les
traitements sont bien pris. Qui peut avoir cette certitude ‘qu’un traitement est
bien pris (c’est déjà actuellement une source de débats entre soignants et
familles) ? Très vite, comme cela se fait déjà chez certains journalistes, on
confondra les cicatrices des troubles psychiques graves avec la survenue de ces
troubles. De plus on les confondra (parce que les voisins ne sont pas soignants)
avec les effets secondaires néfastes des neuroleptiques qui sont réels et
fréquents. La moindre ‘bizarrerie’ fera l’objet d’un signalement, et provoquera
une nouvelle hospitalisation. Les sorties d’essai n’en finiront jamais. Ce sera
souvent l’installation progressive de l’asile à domicile et la chronicisation de
tout l’entourage !
Le critère majeur sera la recherche du « bon traitement
chimique » (les autres traitements étant éliminés car non évaluables), mais qui
peut assurer connaitre le ‘bon traitement’ pour telle personne à tel moment de
sa maladie, et rester attentif à l’évolution à long terme ?
Mais voyons il y a un joker ! dira l’UNAFAM qui a beaucoup
misé sur lui : ce sont « Les équipes de soin mobiles » associées ou non
au SAMU. Bien sûr leurs soignants sont des acteurs de valeur, mais travaillant
sans les atouts de l’équipe de secteur, sans la connaissance continue du
patient, sans l’appui de l’environnement puisque leur action est punctiforme, et
qu’ils travaillent sur une population de 300 à 600.000 habitants. Leur
intervention vient fracturer la continuité des soins qui est l’outil essentiel
façonné par la politique de secteur. De ce fait cette intervention s’ouvre
presque systématiquement sur des hospitalisations qui seront souvent sous
contrainte. Plus ces équipes vont se multiplier, plus elles vont réduire les
équipes de secteur, et dévaloriser celles qui resteront.
Le résultat global de cette loi sera : à la fois le
dépérissement des équipes de secteur et le renforcement progressif et définitif
des monstres hospitaliers : remise en scène des asiles !
L’UNAFAM, la FNAPSY, les syndicats des professionnels de la
psychiatrie savent cela. Lorsque l’on interroge sur le terrain familles, usagers
et soignants on trouve un décalage évident entre les responsables et la base.
Cette base est contre la loi, car elle connait très bien ce que nous venons de
décrire. Elle sait que l’état d’esprit du soin a besoin pour se développer d’une
‘ambiance’ toute autre, dont les outils de base sont la confiance et le
‘temps’ suffisant.
Certains diront d’écarter les syndicats, ils se sont élevés
contre. Mais c’est récent. Pendant plus de deux ans ils l’ont soutenue. Cela a
commencé par leur soutien au rapport Couty terminé avant l’intervention
stigmatisante du Président le 2 décembre 2008. Ce rapport préparait la fin de la
politique de secteur et la révision de la loi de 1990, sans dire un seul mot de
ce qu’a mis à nu le rapport de JM Delarue : les effets anti thérapeutiques de
l’application de la loi de 1990 : la logique de la sécurité écrasant le soin
dans toute institution fermée.
La preuve de cette acceptation de la loi par les ‘pro’ : le
nombre de 400 manifestants venus devant l’Assemblée Nationale le jour du vote de
la loi en mars. Si les soignants ne sont pas venus participer à l’expression
démocratique dans la rue sur cette question particulière, si peu connue des
élus, c’est bien qu’ils l’acceptent.
Je vais me permettre de vous proposer trois essais dans les
jours qui viennent pour essayer de comprendre pourquoi chacun de ces trois
acteurs a soutenu la loi.
2-L’UNAFAM.
3- La FNAPSY. 4- Les syndicats.
Alors pourquoi ces trois acteurs ont-ils soutenu cette
loi ? Parce qu’ils ont eu peur !
Certes, mais il y a d’autres raisons, pour chacun
différentes.
Ce sont des pistes modestes pour réfléchir, démarche
essentielle si nous voulons retrouver nos esprits, retrouver notre capacité de
nous parler entre nous et avec chacun des acteurs pour arriver à soigner, et si
nous voulons préparer un avenir meilleur.