Docteur Guy Baillon
Psychiatre des Hôpitaux
Paris le 8 avril 2011
Les professeurs de psychiatrie ne souffrent pas, mais
veulent la loi et son obligation de soin, voie royale pour les laboratoires
pharmaceutiques.
Ils sont favorables à la loi (écrivent-ils dans Le
Monde.fr de ce 8 avril) !
Combien de professeurs abrite la France ? 60. Ces 60 vont-ils
dicter la loi? En réalité nous savons qu’ils ne sont pas tous de cet avis. Déjà
nous pouvons penser que la plupart des 20 pédopsychiatres savent très bien que
les adolescents dont ils s’occupent ne vont pas supporter l’obligation de soins,
en particulier sous la forme provocatrice prévue par la loi, une garde à vue de
72 h au bout desquelles on va leur demander d’accepter de dire qu’ils sont
malades et qu’ils doivent se soigner ! Un adolescent qui est un peu bizarre et
qui de ce fait va être amené dans un tel centre va en pareil cas soit exploser,
soit ne pas comprendre du tout. La contention lui sera donc vite imposée. Il ne
vivra la psychiatrie par la suite que comme un monde hostile contre lequel il
doit s’organiser pour survivre. Il n’aura plus jamais confiance ni dans les
psychiatres ni dans son entourage qui ne l’a pas protégé de cette flétrissure.
Un adolescent c’est du cristal. Il a besoin à cette période de sa
vie de se confronter à la dure réalité pour se construire. Il a
besoin d’espérer être plus fort que le monde peu plaisant qui l’entoure. Il rêve
son avenir. C’est dire s’il est important de travailler la confiance dans ces
épisodes aigus qui commencent une maladie. Certes si la douleur éclate, il faut
être avec lui, l’entourer, absolument, mais pas l’enfermer loin de chez lui. Il
faut déployer patience, écoute, et certes utiliser les médicaments qui vont
aider à calmer notre physiologie débordante.
Donc sur 60 professeurs il reste 40. Ces 40 ne prônent pas
tous la violence de l’obligation de soins. Ce seraient 30 personnes qui vont
décider d’une loi qui va concerner 65 millions d’habitants. Quelle expérience
ont-ils ? Combien de patients soignent-ils par an ? Cela vaut la peine de
s’arrêter un instant sur leur activité, car ils étaient fort silencieux sur
cette loi.
Devant le conflit qui s’est exprimé autour de cette loi
inhumaine d’obligation de soins se lèvent deux d’entre eux ; tel Ponce Pilate
ils disent qu’il faut l’approuver. Mais ces professeurs ne jouent aucun rôle
dans le service public de psychiatrie concerné ; ils ne sont pas chargés de
secteur (à quelques rares exceptions) ; ils choisissent leurs malades, on dit
qu’ils écrèment la clientèle pour suivre les plus faciles. Ce qui leur importe
alors c’est de pouvoir se décharger des patients qui posent problème. La plupart
d’entre eux ne veulent pas non plus assurer les hospitalisations sous
contrainte, et laissent cela aux équipes de secteur. Ils sont donc en quête
d’un système qui leur permette au plus vite de faire régner le calme dans leur
service : la nouvelle loi propose l’obligation de soins, mais c’est pain béni !
Ils ne voulaient pas être dérangés dans leur cocon. Ils ont la solution. Il est
exact que la vie d’un professeur par rapport à celle d’un simple psychiatre de
secteur est déjà une voie royale pavée de « bons médicaments » sur lesquels ils
font des essais à longueur d’année. Les autres soins demandent trop de temps à
l’exception des traitements comportementaux. Pavlov modernisé a laissé des
émules, c’est si facile à enseigner. La psychothérapie est trop
complexe.
Et voilà une loi qui leur donne carte blanche pour affirmer
que les médicaments sont les seuls traitements fiables ! Capables en peu de
temps de venir à bout de tout ce qui fait peur en psychiatrie ; les laboratoires
pharmaceutiques sont généreux, tout symptôme est répertorié : angoisse,
agitation de différentes sortes, dépression de différentes sortes, insomnie,
excitation de types variés, mutisme, bizarrerie, énurésie… à chacun sa
molécule.
Ce que le public et les élus ne savent pas assez c’est que
les laboratoires pharmaceutiques se frottent les mains de cette aubaine que
représente cette nouvelle loi, d’autant qu’ils ont pour leur servir de si bons
représentants dans les professeurs défendant cette loi du haut de leur
savoir.
Soyons sérieux les auteurs de cet article sont connus pour
leur valeur humaine. Mais ils sont tombés dans le piège médiatique déployé
autour de la folie soit disant dangereuse. Ils n’ont pas anticipé ce que la
loi prépare : elle prépare en effet un développement sans limite de
l’utilisation des médicaments. Et il se trouve que ce sont les professeurs
qui sont en la matière les grands chercheurs et qui font tout le travail d’essai
des médicaments. La loi en imposant l’obligation de soin ne met en place que
les médicaments ! C’est en cela qu’elle est destructrice. Aucune autre
stratégie de soin ne va tenir face à l’efficacité des molécules chimiques
ciblées sur chaque symptôme, les psychothérapies, les traitements
institutionnels, les traitements physiologiques (eau, enveloppements,
relaxation, massage, médiations par diverses activités, …) tout cela va être
balayé comme fétu de paille devant la toute puissance des molécules. Et une fois
le train parti il ne pourra que s’accélérer ; de nouvelles molécules seront
cherchées pour réparer les insuffisances d’efficacité, ou les effets secondaires
(lesquels se montrent dès aujourd’hui redoutables), mais il y aura à chaque fois
des réponses moléculaires. Et là aussi les professeurs avanceront sur du velours
en multipliant les « essais médicamenteux ».
Allez soyons sérieux encore, ce n’est pas ce que pensent ces
deux professeurs. Peut-être, mais c’est ce qui va se passer. En réalité ce que
vivent ces deux professeurs actuellement c’est la surcharge de violence à leurs
urgences comme dans toutes celles de Marseille. La folie est montrée comme
responsable : en réalité si on examine les faits à Marseille d’un peu plus près
–saute aux yeux la précarité économique qui prend dans trop d’endroits une
ampleur d’une grande violence, -on constate que la drogue joue un rôle
considérable, -ainsi que l’abus d’alcool. Ce sont des questions très sérieuses,
mais dont chacune mérite des réponses spécifiques. Les deux professeurs ont
raison de se révolter. Mais la vraie solution ce n’est certes pas d’accuser la
psychiatrie d’être le lieu de toutes les violences.
L’accueil des patients ayant pris des drogues doit être
réalisé dans des espaces spécifiques, et non dans les urgences des hôpitaux, ni
dans les centres psychiatriques. Les réponses sociales doivent être suffisantes,
et avant les soins, d’abord en matière de logement, et ensuite de ressources.
Ensuite il faudrait que la « politique de secteur » ait eu le temps et les
moyens d’être bien appliquée à Marseille, ce qui n’est pas le cas : c'est-à-dire
qu’il y ait des espaces de soin divers en ville, le transfert des lits
d’hospitalisation temps plein en ville hors hôpital, et surtout pour chaque
équipe de secteur un espace de disponibilité 24/24h, dont l’expérience montre
qu’il désamorce la plupart des urgences et des situations dites de violence.
Certes tout ceci demande la mobilisation de tous les acteurs du soin, et du
social, professeurs compris.
Ce que la loi va produire en réalité, outre les excès sans
limite des médicaments (alors que leur utilité n’est plus à démontrer quand ils
sont sous contrôle des autres soins), c’est une escalade de la violence et un
écrasement de tout soin. Pour en être convaincus, il est urgent que ces auteurs
lisent les trois rapports successifs et récents : celui du syndicat de la
magistrature, celui de JM Delarue contrôleur des libertés, celui de la
commission nationale des droits de l’homme ; ils verront les conséquences
fâcheuses de l’atteinte aux libertés.
Ce que vivent les marseillais se déploie aussi dans d’autres
villes, il est urgent de ne pas se laisser impressionner par les cris de panique
des médias, et avant de se précipiter dans une loi répressive, il est
indispensable de faire un vrai bilan de la situation française. Cela permettra
de comprendre la multiplicité des facteurs en cause et de montrer la
complémentarité des acteurs à faire intervenir, associant soin et action
sociale.
Une fois de plus la psychiatrie met en évidence la nécessité
d’approches solidaires. Les professeurs sont tout à fait à même de l’entendre et
de participer à cette solidarité.