communiquÉ de presse
Paris, le 8 mars 2011
Pour une action
coordonnée en faveur des personnes présentant une souffrance ou un handicap
psychiques dans les champs sanitaire, social et médico-social
FEDERATION D'AIDE A LA SANTE MENTALE CROIX MARINE
Malgré une mobilisation sans précédent le
gouvernement a décidé de délibérer en procédure accélérée à partir du 15 mars sur
un projet de loi « relatif aux droits et à la protection des personnes
faisant l’objet de soins psychiatriques ».
La FASM Croix Marine rappelle qu’il y a exactement
quatre ans, elle s’était vivement prononcée, à côté des représentants des
familles et des usagers qui avaient été le fer de lance de la mobilisation
d’alors, contre la confusion introduite par le projet de loi sur la prévention
de la délinquance qui faisait un amalgame entre délinquance et troubles mentaux
se manifestant dans l’espace public, avec la mise en place d’un fichier des
personnes internées comparable aux fichiers des personnes délinquantes. Il faut
rappeler qu’à l’époque, même le Conseil national de l’Ordre des médecins avait déclaré
que ce projet de loi constituait « une violation grave des droits à une
vie privée et à l’intimité des patients ».
Force est de constater que le pouvoir actuel
réitère cette volonté d’assimiler troubles psychiques et dangerosité sociale,
au mépris de toutes les avancées de ces dernières années en termes de lutte
contre la stigmatisation et de droits des patients, avec la loi de mars 2002 et
celle du 11 février 2005 qui a reconnu que les personnes présentant des
troubles psychiques avaient également le droit de bénéficier des compensations
que notre société reconnaît aux personnes en situation de handicap.
Lorsque l’on lit attentivement ce texte, on
constate qu’il relève beaucoup plus du vocabulaire du ministère de l’Intérieur
que de la Santé : il y est question de manière récurrente de la sûreté des
personnes et de l’atteinte à l’ordre public comme si la maladie mentale
induisait inéluctablement ce type de problématique alors qu’à aucun moment il
n’y est question de la souffrance psychique des personnes concernées et de leur
famille.
Il faut que les citoyens sachent que les mesures
de sureté imposées déjà aux établissements de soins, en application de la
circulaire de janvier 2009, publiée en urgence après les injonctions du
président de la République à Antony, le 2 décembre 2008, ont contribué à réduire
la qualité de l’accueil de ces établissement. C’est l’ensemble des patients,
dont la grande majorité est hospitalisée de son propre chef qui doit subir la
présence de grillages et de caméras vidéo qui induisent une ambiance de
surveillance au dépens d’une attention soignante ; par ailleurs, de nombreuses
familles attendent aujourd’hui de retrouver leur proche, qui bien que médicalement
en état de sortir, est retenu « enfermé » par la seule volonté de certains
préfets.
Mais ce projet de loi ne se cantonne pas aux
procédures de privation de liberté à laquelle la société a parfois besoin de
recourir dans l’intérêt des personnes concernées ou de leur entourage social. En
effet, il propose un changement de paradigme dont le législateur n’a pas pris
la mesure en substituant la contrainte liée au fait d’être hospitalisé contre
son gré au fait que ce sont dorénavant les soins eux-mêmes qui se feront sous
contrainte, en prévoyant que cette contrainte puisse s’exercer jusqu’au
domicile personnel du patient. Ce projet de loi précise, dans le cas où
l’hospitalisation complète n’apparaît pas nécessaire et que le choix d’un
traitement ambulatoire sous contrainte est décidé, que ce soit le directeur de
l’établissement qui aura reçu initialement ce patient qui ait la charge
d’établir le document fixant la date des visites médicales obligatoires ; si
ce calendrier n’est pas respecté et qu’il s’avère impossible d’examiner le
patient, il appartiendra au psychiatre d’alerter la direction de
l’établissement qui saisira elle-même les autorités.
On voit ainsi que ces modalités sont en
contradiction avec l’éthique du soin qui impose la recherche d’une confiance,
le respect de l’intimité du patient et des garanties de liberté de prescription
des actes thérapeutiques choisies par le psychiatre et son équipe en accord
avec le patient lui-même et le cas échéant sa famille, mais qu’elles relèvent plus
d’une logique de contrôle social et de sureté publique. De même, on ne peut se satisfaire
de la création d’un nouveau fichier de patients considérés a priori comme
dangereux, parce qu’à un moment de leur parcours de soins il aura fallu recourir
à une unité pour malades difficiles, fichier qui constituera un véritable
casier judiciaire psychiatrique.
Il faut noter que la décision du Conseil
constitutionnel du 26 novembre dernier, à la suite d’une question prioritaire
de constitutionnalité, a déjà nécessité de modifier ce projet de loi. Il ne
s’est agi, en fait, que d’un ajustement de détail sans qu’une véritable
réflexion n’ait été engagée sur la manière d’assurer le recours aux soins, y compris
lorsque celui-ci demande une limitation temporaire de liberté.
Une réflexion nous semble nécessaire sur la place
du juge judiciaire, éventuellement susceptible de se substituer au représentant
de l’Etat ou au préfet de police, comme cela est le cas dans la majorité des
pays européens.
Quoi qu’il en soit, en l’absence d’un véritable
travail de concertation qui n’a pas eu lieu (ou de pure forme), nous allons
être confrontés, si cette loi est votée, à de nombreux recours tant au niveau
du conseil constitutionnel que devant les instances européennes. Pourquoi le
juge n’interviendrait-il pas d’emblée et seulement au bout de 15 jours ? Quelle
garantie sera donnée sur les 72 heures d’hospitalisation initiale, que d’aucuns
appellent déjà, et en particulier le syndicat de la Magistrature, « garde
à vue psychiatrique » ? Comment peut-on imaginer que la nécessité
d’un recours au juge, au quinzième jour d’une hospitalisation sous contrainte,
puisse ne pas s’appliquer également aux soins sous contrainte en ambulatoire ?
Sans compter que cela va demander des moyens en termes de juges, de greffiers,
d’experts alors même que toutes ces catégories de professionnels sont déjà
saturés. Bref, on va vers une catastrophe en termes de droit, de procédures de
recours et de soins.
Pourtant, ce projet de loi parle à juste titre de
la nécessité de lever les obstacles à l’accès aux soins. Nombre de familles
déplorent en effet de manière récurrente le fait d’être confrontée à des
patients en rupture de soins pour lesquels malgré leur sollicitation insistante,
aucune réponse n’est apportée. Ce constat méritait une véritable analyse afin
de déterminer la nature des obstacles, incluant les différents acteurs médicaux
et sociaux (médecins généralistes, travailleurs sociaux, police, pompiers) et
les équipes de psychiatrie elles-mêmes, afin d’y remédier et de limiter le
recours aux hospitalisations sous contrainte. Est-ce vraiment en décidant que
les soins pourront être obligatoires en ambulatoire que les équipes de secteur,
qui ont tendance à voir leurs moyens se déliter ou « rapatriés » sur
l’hôpital, pourront se mobiliser pour remédier à cet état de fait, alors que ce
que propose ce projet de loi est en contradiction avec l’éthique du soin
évoquée par le conseil de l’Ordre en 2007.
Nous comprenons le désarroi des familles
confrontées au fait de voir un de ses proches abandonné à domicile dans un déni
total de sa pathologie du fait qu’un certain nombre d’équipes de secteur se soient
insuffisamment mobilisées pour « aller vers » le patient. Mais est-ce
que l’UNAFAM peut vraiment croire qu’une telle loi qui privilégie la contrainte
à tout va en renforçant la stigmatisation des personnes atteintes de troubles psychiques,
davantage victimes qu’auteurs de troubles à l’ordre public comme cela a été
maintes fois rappelé, va apporter une solution à cette préoccupation légitime ?
Au lieu de ce subterfuge de soins ambulatoires sous contrainte ne convient-il
pas plutôt de donner davantage de moyens aux équipes en développant et en
élargissant, par exemple, les visites à domicile : elles représentent les
premières véritables garanties du suivi du soin et de l’accompagnement de la
personne et de son entourage.
Nous nous associons en revanche à la volonté de ce
mouvement de réclamer un nouveau plan santé mentale. La loi HPST a modifié les
conditions de travail sur les territoires et voudrait favoriser le
décloisonnement entre les équipes de secteur psychiatriques et les structures
médico-sociales et sociales d’accompagnement au quotidien qu’il est
effectivement nécessaire de développer. Mais faut-il encore prendre la mesure
de ces besoins et reconnaitre les exigences propres à la psychiatrie. Celles-ci
ne sauraient se calquer sur celles d’un simple modèle médical où ne serait pris
en compte que le traitement psychotrope au détriment de la complexité du soin
psychique et encore moins d’un modèle de surveillance policière. La maladie
mentale, en effet, qu’on l’appelle folie, troubles psychiques ou handicap psychique
met en question la conception même de l’humain et du lien social et il est
indispensable que cette dimension anthropologique soit prise en compte.
Nous appelons donc les pouvoirs publics à engager
rapidement une réelle concertation impliquant élus nationaux et territoriaux,
professionnels de la psychiatrie et du social, représentants des familles et
des usagers eux-mêmes, juristes, sur la manière d’organiser et de rénover la
politique de santé mentale à l’heure de la loi HPST et du développement des
aidants de proximité non professionnels.
Ce n’est que dans le cadre d’une telle réflexion
partagée que pourront s’inscrire alors les modalités de privation de liberté qu’exigent
certaines situations toujours douloureuses. Ces situations dramatiques ne
représentent, rappelons-le, qu’un pourcentage limité sur les centaines de milliers
de patients suivis en psychiatrie. Elles constituent, néanmoins à chaque fois,
des situations éprouvantes aussi bien pour les personnes elles-mêmes, que pour leur
famille et le corps social. Elles demandent une attention partagée afin
qu’elles fassent l’objet le plus rapidement possible d’un véritable accueil
professionnel, au lieu qu’elles soient politiquement exploitées pour alimenter
des peurs ancestrales et exclure encore un peu plus une catégorie de citoyens dont
la maladie a déjà suscité un retrait social.
Dans l’immédiat, la FASM Croix Marine ne peut que
s’associer à tous ceux qui demandent le retrait de ce projet de loi qui est
inapplicable dans sa forme et inacceptable quant au fond. Elle est prête en
revanche à participer à cette réflexion sociétale qu’elle appelle de ses vœux.
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